La mémoire et la mer

Sous-titré La mémoire et la mer, le concert de l’OPS donné les 20 et 21 avril derniers débutait par une création de Bruno Mantovani, suivie d’œuvres de Prokoviev et de Debussy. Alexei Volodin tenait la partie piano et l’orchestre était dirigé par Aziz Shokhakimov.


Aziz Shokhakimov
©Jean-Baptiste Millot

Inspiré par l’invasion, en septembre 2020,  du Haut-Karabagh par un Azerbaïdjan soutenu par l’armée turque, évènement politique vite enterré par le virus Sarcov-2, Mémoria pour orchestre à cordes est le fruit d’une commande passée au compositeur Bruno Mantovani dans le cadre de sa résidence à Strasbourg. Dédiée à la mémoire de quatre étudiants de l’Université française d’Erevan, morts durant les combats, l’œuvre se déploie en un seul mouvement dont le long crescendo initialet le diminuendo finalencadrent une impressionnante cadence pour violon solo, vaillamment soutenue par Charlotte Juillard. Rassemblées au grand complet (64 musiciens), les cordes de l’OPS exécutent une musique insolite, jouant de la division entre les différents pupitres et distillant une atmosphère assez envoutante, à la fois tendue et contemplative.

Net changement d’atmosphère avec le troisième concerto pour piano de Prokoviev, qui s’inscrit dans l’exaltation  futuriste des années 1920. Le piano de Prokoviev – grand pianiste lui-même – est toujours une épreuve pour ses interprètes : Rachmaninov lui-même s’avouait en difficulté dans ce troisième concerto ! Dès l’entrée du premier mouvement allegro, Alexei Volodin et Aziz Shokhakimov ne font pas dans la demi-mesure. Ce caractère de combat entre piano et orchestre ne les empêchent pourtant pas de faire sonner les cinq belles variations du mouvement lent avec toute l’éloquence qui sied. Dans le dernier mouvement, d’une énergie roborative, Volodin fait preuve d’une aisance confondante pendant que Shokhakimov allume un feu d’artifice orchestral. 

Après l’entracte, il s’est levé un grand vent, le soir de ce 20 avril, sur La Mer de Debussy. Dans la langue de la météo marine, on eût parlé d’une ‘’houle très forte, voire grosse’’. Moyennant un orchestre au brio irréprochable, la traversée ne fut toutefois pas désagréable. Reste cependant qu’à l’écoute d’accords aux accents implacables et d’une lumière très blanche, on s’est bien souvent cru dans le Poème de l’extase d’Alexandre Scriabine plutôt que dans La Mer de Claude Debussy.

Michel Le Gris