Concert magistral de l’un des plus grands pianistes vivants
La Quinzaine Musicale de San Sébastian réserve toujours des surprises et en ce 10 août, celle-ci fut de taille. On savait pertinemment qu’un concert de Grigori Sokolov ne ressemblait à rien d’autre mais on ne s’attendait pas à un tel choc.
Sous les dorures du théâtre néo-renaissance Victoria Eugenia, le pianiste russe qui a l’habitude de ne jamais dévoiler son programme à l’avance, débuta par la partita°1 en si bémol majeur de Jean-Sébastien Bach. Il faut dire que l’on n’avait pas entendu cette pièce interprétée ainsi depuis bien longtemps. Le pianiste construisit lentement son édifice personnel, embarquant l’auditeur dans un voyage musical totalement déconcertant où le rythme hallucinant de l’allemande n’eut de beauté que cette sarabande qui restera certainement dans toutes les mémoires. En guise de conclusion, la gigue exprima une joie de vivre qu’éprouva très certainement – malgré l’image de sévérité qui lui colle à la peau – Jean-Sébastien Bach.
Si les programmes des concerts de Sokolov peuvent parfois apparaître déroutant en mêlant pièces baroques et romantiques, ces dernières ne servent en fait qu’à construire l’atmosphère de son univers pianistique dans lequel le pianiste entraîne jusqu’à l’ivresse des auditeurs comblés. Preuve en fut une nouvelle fois avec la sonate n°7 de Beethoven dans laquelle il laissa exploser toute la passion du jeune compositeur, étendant le tempo du second mouvement jusqu’à la rupture. En alternant férocité et sensibilité, Sokolov fit monter une émotion qui nous a bouleversés.
Déjà bien éprouvé, le spectateur n’était pas au bout de ses émotions car la sonate en la mineur de Schubert fut un choc. Avec Sokolov, cette musique raconte une histoire, elle évoque un destin, une époque et traduit parfaitement ce sentiment de nostalgie libéré de toute forme de regret ou de tragédie. Grâce à son toucher si exceptionnel, celui qui remporta le concours Tchaïkovski en 1966 à 16 ans seulement, délivra une partition d’une générosité rare. Revenant à quatre reprises pour offrir à un public ravi d’autres moments de communion et de bonheur, Grigori Sokolov prouva que la musique n’est pas jouée pour être écoutée mais bel et bien pour être aimée.
A écouter : Grigori Sokolov, the Salzburg Recital,
Deutsche Grammophon, 2015
Laurent Pfaadt