L’appel de Khalk’ru

Abraham Merritt (1884-1943) fut l’une de mes premières rencontres littéraires. Avec la Nef d’Ishtar (1923) tirée d’un sac poubelle enfermé dans le grenier d’un oncle fan de SF et qui comptait comme autres trésors Robert Bloch, Clifford D. Simak ou Alfred Van Vogt, j’entrai véritablement en littérature. L’atmosphère enchantée de la découverte de ce trésor, ces vieux J’ai Lu aux tranches colorées et aux illustrations signées Caza et d’autres, dignes des meilleurs films d’aventures correspondait parfaitement aux grands thèmes de cet auteur qui influença notamment le grand Lovecraft lui-même et les générations suivantes d’auteurs de fantasy tels que Michaël Moorcock, Fritz Leiber ou Robert Silverberg. « Au-delà de sa popularité, c’est surtout pour son rôle d’avant-gardiste, de précurseur que l’on se souvient de lui aujourd’hui. Pionnier d’un genre nouveau dont il définit les codes, il donne les bases de ce qu’on appellera par la suite l’heroic fantasy » écrit ainsi Thierry Fraysse, directeur éditorial de Callidor dans la postface de l’ouvrage.


C’est donc avec un immense plaisir que je relus – et oui, j’ai fini par lire tout Abraham Merritt – les habitants du mirage, roman publié en 1932 et qui retrouve aujourd’hui une seconde jeunesse, 90 ans plus tard, grâce aux éditions Callidor. Ces dernières, fondées en 2011, sont données pour mission de redonner vie, tel un Frankenstein littéraire, à ces pépites et auteurs oubliés ou indisponibles parmi lesquels Robert W. Chambers, célèbre feuilletoniste américain, Eric Rücker Eddison dont la trilogie de Zimiamvie s’apparenta au Seigneur des anneaux de notre époque ou la suffragette Stella Benson.

Les habitants du mirage se déroule en Alaska. Là-bas, un jeune vétéran de la Première guerre mondiale, Leif Langdon et son ami cherokee Jim, découvrent, au cours de leur expédition, une vallée perdue où vit un peuple reclus menacé par Dwayanu, l’un de ses anciens souverains morts. Ce dernier prend bientôt possession de l’esprit de Leif qui se retrouve embarqué dans cette aventure, tandis qu’au loin résonne l’appel du Khalk’ru, cette « invocation…ou plutôt (…) l’évocation d’un Être, d’un Pouvoir, d’une Force ». Civilisations perdues, monstres horribles, sorcellerie et femmes magnifiques avec notamment Evalie, le lecteur retrouve dans ces pages tous les ingrédients qui ont fait le succès de ces livres de la fin du 19e siècle et de la première moitié du 20e, entre fantastique et aventure, et portés par des écrivains restés célèbres tels que Conan Doyle avec sa saga du professeur Challenger et surtout Henry Rider Haggard et son roman She. A ce récit, Merritt y ajoute sa touche, sa peinture littéraire avec la résurgence de civilisations perdues – le lecteur aura la surprise de rencontrer des Ouïghours – et une distorsion du temps permettant le retour dans le présent de guerriers, grand prêtre et autres sorcières. Des personnages appelés à envahir cette nouvelle forme littéraire. En effet, la même année que Les habitants du mirage (1932) paraît la première aventure d’un autre héros au destin littéraire mondial, Conan le Barbare, de l’américain Robert E. Howard.

Dans cette nouvelle édition, le texte est accompagné d’illustrations signées Virgil Finlay, illustrateur américain qui travailla avec Merritt à The American Weekly, un supplément dominical appartenant au magnat de la presse Randolph Hearst, après une collaboration avec Weird Tales. Avec ses fonds blancs et noirs, et ayant recours à diverses techniques tirées de la gravure, les illustrations de Finlay traduisent à merveille l’animalité et le mystérieux de l’univers de Merritt. Ces illustrations donnent ainsi à l’ouvrage non seulement une nouvelle jeunesse mais également une dimension ancienne, fantastique.

Quatre-vingt-dix ans après sa parution, ce très beau livre permet ainsi de faire ressortir des greniers de la littérature un auteur injustement oublié et de faire rêver, en ces fêtes de fin d’année, des lecteurs qui ne l’ont jamais oublié.

Par Laurent Pfaadt

Abraham Merritt, Les habitants du mirage
Chez Callidor, 400 p.