Nul doute que s’il avait entendu
ces ballets, il se serait levé et d’un grand éclat de voix, il aurait crié un
« Bravo ! » retentissant et aurait serré le chef, Sir Simon
Rattle, dans ses bras. Assurément, Serge de Diaghilev, le grand promoteur des
ballets de Stravinsky, aurait été enthousiasmé par cette interprétation du
London Symphony Orchestra.
L’Oiseau de feu est épique, Petrushka bucolique et le Sacre du printemps sauvage à souhait. Sir Simon Rattle connaît particulièrement bien son orchestre pour l’emmener dans l’univers du compositeur russe, en respectant scrupuleusement les équilibres sonores. Il y distille une puissance et une explosivité créatrices qui servent l’interprétation en inscrivant ces grandes œuvres du répertoire dans une fidélité à la tradition musicale russe où l’on retrouve des réminiscences de Moussorgski ou de Rimski-Korsakov. Des interprétations qui tiennent assurément lieu de références.
Par Laurent Pfaadt
Stravinsky Ballets, London Symphony Orchestra, dir. Sir Simon Battle, LSO Live
Le 70e anniversaire du compositeur allemand est l’occasion de réécouter ses œuvres.
Wolgang Rihm est certainement l’un compositeurs les plus importants de notre temps. Nombreux sont ceux, interprètes ou créateurs, à considérer sa musique comme prépondérante dans la création contemporaine. Totalement intégrées aux programmes des plus grands orchestres, ses œuvres sont devenues, dès son vivant, de véritables classiques qui tendent à explorer les tréfonds psychologiques de l’homme. En 2019, le festival Présences de Radio France, présenta ainsi seize de ses œuvres. Pascal Dusapin, autre grand nom de la création contemporaine et invité du festival, évoquait ainsi l’œuvre de Wolfgang Rihm : « il y a chez lui un mouvement tellurique qui m’évoque une rivière, laquelle peut se faire grand fleuve ou petit ruisseau : tantôt, tout est clair, on peut voir les poissons ; tantôt, le temps est mauvais, la rivière est agitée, le torrent devient boueux, chargé. »
A l’occasion de son 70e anniversaire, quelques-unes de ses œuvres emblématiques ressortent sous le label de l’orchestre symphonique de la radio bavaroise, BR Klassik, avec qui Rihm a établi un compagnonnage de longue date.
Né à Karlsruhe, Wolfgang Rihm fut très tôt influencé par Mahler et la seconde école de Vienne en particulier Anton Webern avant de forger son propre style qui rompit avec l’avant-garde musicale représentée notamment par Pierre Boulez et Karlheinz Stockhausen dont il fut pourtant l’élève.
Compositeur prolifique, il s’est aventuré dans tous les domaines : musique orchestrale et de chambre, opéra notamment avec son Dionysos extatique et fantasmagorique basé sur les poèmes de Nietzsche ou musique sacrée comme en témoigne son magnifique et si épuré Stabat Mater pour bariton et alto qui s’appuie sur un texte de la liturgie médiévale catholique. Parmi les quelques 500 pièces de ce compositeur prolifique à l’œuvre protéiforme, les deux Cds de la collection Musica viva du label de l’orchestre de la radio bavaroise présente quelques œuvres représentatives du compositeur. A la fois récentes (Stabat Mater, 2020) et plus anciennes comme Sphäre nach Studie (1993 remaniée en 2002) ou le célèbre Jagden und Formen (2008) et associant quelques-uns des plus grands solistes du monde comme l’altiste Tabea Zimmermann et le clarinettiste Jörg Widemann dans ce Male über Male 2 pour clarinette et 9 instruments assez fascinant, ces œuvres permettent de pénétrer facilement et intensément l’univers du créateur.
« Un compositeur se doit d’être à la fois hautement intellectuel mais également faire preuve d’émotions en musique » a coutume de dire Wolfgang Rihm. Et on peut dire qu’à l’écoute de ces disques, l’alchimie est parfaite.
Par Laurent Pfaadt
Wolfgang Rihm : #39 Sphäre nach Studie, Stabat Mater, Male über Male 2#40 Jagden und Formen, Symphonieorchester des Bayerisches Rundfunks, dir Stanley Dodds (#39) und Franck Ollu (#40), Music aviva, BR-Klassik
Un coffret revient sur la figure de Karel Ancerl,
mythique chef d’orchestre tchèque
Un grand orchestre, un chef mythique, un label légendaire. Avec cette trilogie, l’auditeur est assuré de passer quelques moments incroyables, uniques. En écoutant les enregistrements live de l’Orchestre Philharmonique Tchèque sous la direction de Karel Ancerl par la radio tchèque et gravés par le label tchèque Supraphon, les impressions laissées donnent le sentiment d’une expérience assez incroyable.
Dans l’histoire de la musique tchèque au 20e siècle, deux chefs d’orchestre marquèrent de leurs empreintes l’orchestre philharmonique du pays : Karel Ancerl et Vaclav Neumann. Si le second s’illustra durant la deuxième partie du 20e siècle, le premier connut un destin singulier marqué par les tragédies de l’histoire. Chef de l’orchestre de la radio tchèque entre 1933 et 1939, il fut, pendant la seconde guerre mondiale, déporté avec sa famille dans les camps de Theresienstadt et Auschwitz où certains de ses proches furent assassinés. Revenu vivant, il reprit alors la direction de l’Orchestre Philharmonique Tchèque.
Sous sa direction, ce dernier fut considéré comme l’un des meilleurs orchestres au monde et les enregistrements présentés tiennent lieu de référence comme par exemple, cette magique Ma Vlast (Ma Patrie) de Smetana à la dimension si onirique. Après les évènements de 1968, Karel Ancerl s’éloigna de l’orchestre pour privilégier sa carrière à l’étranger notamment à Toronto et au Concertgebouw d’Amsterdam.
Le coffret aligne ainsi les pépites. Des Beethoven d’anthologie en particulier cette deuxième symphonie, un Vaughan Williams à vous tirer des larmes, un éblouissant Martinu ou une Mer de Debussy absolument fascinante. Prokofiev, ce compositeur qui marqua un tournant dans sa carrière et le début de son aventure avec l’Orchestre Philharmonique Tchèque, est également présent avec La Suite Scythe.
Les œuvres réunies font également la part belle à la musique tchèque avec ses monuments : Dvorak, Smetana, Suk et sa Symphonie Asraël épique à souhait où la baguette d’Ancerl se fait sceptre. Le coffret s’autorise à juste titre une magnifique plongée dans la musique tchèque du 20e siècle avec des compositeurs peu connus tels que Jan Novak et son explosif concerto pour deux pianos ou Jindrich Feld.
Grâce à la merveilleuse maison de disques Supraphon, il nous est possible, pour notre plus grand bonheur, de redécouvrir ces enregistrements d’anthologie venus remplacer des gravures vinyles restées mythiques.
Par Laurent Pfaadt
Karel Ancerl, Live recordings, Czech Philharmonic Orchestra, Supraphon
A travers plusieurs enregistrements, Jean-Paul Gasparian rend hommage à Serguei Rachmaninov
Jean-Paul Gasparian est probablement l’un des pianistes les plus talentueux de sa génération. Vainqueur de plusieurs concours internationaux dont celui de Brême, il s’est révélé au disque avec un enregistrement remarqué consacré à Chopin (Evidence Classics).
Se saisissant aujourd’hui d’un Rachmaninov qui attire toujours autant – à raison d’ailleurs – les pianistes, Jean-Paul Gasparian livre deux disques tout à fait intéressants. Avec subtilité et profondeur, il entre dans ce deuxième concerto pour nous livrer une interprétation où le compositeur russe n’est pas martelé – ce qui devient une triste habitude – mais plutôt chevauché. La performance du pianiste est exceptionnelle, secondée par cet orchestre qui supporte tout à fait la comparaison avec les grandes phalanges, notamment dans cet adagio de toute beauté.
Dans l’œuvre pour piano seul, le Steinway reprend ses droits. Puissance et vélocité émanent de la deuxième sonate mais Gasparian évite tout débordement en domptant le fauve caché dans son instrument. Si la caresse se veut encore prudente dans le 4e Prélude, elle est étreinte dans le 10e. Une fois rassuré, le fauve devient non pas plus docile mais révèle sa majestueuse nature à travers les Moments musicaux. Reste alors cette merveilleuse Vocalise où triomphent natures humaine et animale avec un artiste au sommet de son art.
Par Laurent Pfaadt
Rachmaninov, Concerto n°2 in C Minor, Babadjanian, Heroic Ballad for Piano and Orchestra, Berner SymphonieOrchester, dir. Stefan Blunier, Claves records
Avec ce disque remarquable, les pianistes Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle rendent hommage au compositeur ukrainien Alexander Tsfasman
La musique a ceci d’incroyable qu’il y a toujours de nouvelles œuvres, de nouveaux compositeurs à découvrir grâce à ces interprètes qui extirpent des limbes du passé, partitions et airs oubliés. Bien qu’il fût célébré de l’autre côté du rideau de fer et que ses airs étaient sifflotés, personne ou presque en Occident ne connaissait Alexander Tsfasman (1906-1971). Sorte de Gershwin soviétique avec qui il est d’ailleurs associé sur ce très beau disque, le compositeur ukrainien partagea avec son alter ego musical, la passion d’un jazz qui hésita longtemps à s’approcher de la musique classique. Comme le rappela d’ailleurs Walter Damrosch, chef d’orchestre qui créa notamment An American in Paris de George Gershwin, « divers compositeurs ont tourné autour du jazz comme un chat autour d’une assiette de soupe chaude, attendant qu’elle refroidisse suffisamment pour lui permettre d’y goûter sans se brûler la langue… »
Sa Suite de jazz est pourtant d’une beauté incroyable qui tient beaucoup à l’interprétation que délivre les deux pianistes sur ce disque et on comprend aisément pourquoi elle est devenue si populaire en URSS. Subtil mélange à la fois d’une mélancolie tirée de cette âme russe trempée dans la tradition classique et de burlesque hérité du jazz, l’oeuvre séduisit jusqu’au grand Chostakovitch, lui- aussi très sensible aux influences jazz qu’il matérialisa dans son immortelle Suite Jazz n°2.
Et qui de mieux que Ludmila Berlinskaïa, pianiste émérite et fille du grand Valentin Berlinsky qui fut, avec le quatuor Borodine, l’un des plus grands interprètes des quatuors de Chostakovitch, pour ressusciter Tsfasman. En compagnie d’Arthur Ancelle, ils recréent à merveille l’alchimie nécessaire à l’interprétation des œuvres de Tsfasman, celle qui consiste à se situer à la jonction du classique et du jazz. « Nous avons appris à changer notre toucher, à entendre autrement, visant à unir swing et véritable rubato pianistique, sorte d’improvisation libérée sur fond d’ostinato rythmique précis » assurent ainsi les deux interprètes. Ludmila Berlinskaïa, après avoir entendu le grand Mikhaïl Pletnev interpréter la Suite de Jazz à Verbier, a immédiatement été séduite et n’a eu aucun mal à persuader son compagnon de jeu, Arthur Ancelle, de se lancer dans cette aventure devenue apothéose sur ce disque. Deux chatons s’amusant avec la pelote du grand chat ukrainien en somme.
Le résultat est un disque aux multiples couleurs qui unit deux styles musicaux pour former une œuvre unique parfaitement restituée et donnant l’impression d’un chat espiègle bondissant sur les touches de deux pianos. Sous les doigts de Berlinskaïa et Ancelle, cette facétieuse musique semble sortie d’un film muet, et on se plaît à imaginer une variation moderne du Dictateur de Chaplin sous les ors actuels du Kremlin avec, au piano devant l’écran, ce compositeur ukrainien caricaturant la course folle du dictateur au son des Flocons de neige. Il y a véritablement quelque chose d’addictif dans cette musique que l’on écoute encore et encore. Après Praga digitals, Supraphon, qu’il est bon de retrouver à nouveau ce label merveilleux qu’est Melodiya pour accompagner ce chat ukrainien qui n’a, assurément, pas fini de nous surprendre sous les doigts félins de Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle.
Par Laurent Pfaadt
Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle, Gershwin, Tsfasman, Melodiya
Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle interpréteront Gershwin, Tsfasman et d’autres à l’occasion du concert maquant les 10 ans de leur collaboration, le 10 mars 2022 à 20h30 à la salle Gaveau.
Poursuivant son réinterprétation des symphonies de Dmitri Chostakovitch, le chef italien Gianandrea Noseda, s’aventure cette fois-ci dans les travées glacées et terrifiantes de la septième symphonie du compositeur soviétique. Créée il y a tout juste 80 ans dans une Leningrad assiégée par la Wehrmacht, cette septième est certainement l’une de ses plus connues.
Ici, plus de rythmes angoissants, saturés d’un stalinisme derrière chaque porte mais plutôt des arpèges pleins de virtuosité et de théâtralité. A la tête du LSO dont il est l’un des principaux chefs invités, Gianandrea Noseda maîtrise parfaitement les équilibres sonores et évite toute monumentalité pour offrir une interprétation en forme de cri particulièrement poignant dans l’adagio. L’absence de monumentalité ne voulant pas dire légèreté, il conserve assez judicieusement un lyrisme qui éclate magistralement dans le finale. Avec cette 7e symphonie, le chef italien s’affirme un peu plus comme l’un des grands interprètes de notre temps du maître soviétique.
Par Laurent Pfaadt
Shostakovich, Symphony 7, London Symphony Orchestra, dir. Gianandrea Noseda, LSO recordings
Si bien souvent le noir rivalise avec le blanc, comme la nuit avec le jour, sur le clavier, ils doivent cohabiter, s’épouser pour ne faire qu’un. Voilà le sentiment que l’on ressent à l’écoute de ce très beau disque où Bach répond à Schoenberg, Berg et Webern sous les doigts d’Hortense Cartier-Bresson.
Quel plaisir de retrouver à nouveau cette incroyable pianiste. Après Brahms, elle nous convie cette fois à un nouveau voyage qui confronte le grand Bach à la seconde école de Vienne. Ici, la pianiste délivre un dialogue majestueux où l’ombre et la lumière passent ainsi d’une Toccata à l’incroyable sonate de Berg avant de revenir dans la transcendance du grand Bach. L’alchimie est parfaite, les frontières du jour et de la nuit finissent par s’estomper pour faire qu’un, dans cette aube ou ce crépuscule musical où il n’y a plus de frontières car elles se fondent dans un même tout. Assurément une magnifique expérience discographique.
Parmi la nouvelle génération de quatuors qui a émergé ces dernières années, le Novus Quartet mérite une attention toute particulière. Au-delà de l’excellence des talents réunis, son approche des œuvres interprétées est particulièrement intéressante. Formé en 2007 par quatre musiciens coréens, il semble avancer dans une temporalité musicale en puisant à chaque fois dans ses expériences précédentes matière à nourrir les suivantes comme un voyage musical où l’instant joué conserve le souvenir d’accords passés.
Leurs troisième et huitième quatuors de Chostakovitch procèdent de cette logique presque filiale. Leurs interprétations ont comme capté la queue de comète webernienne de leur disque précédent pour la projeter dans l’astre noir du compositeur soviétique. Comme un Mahler inspirant les symphonies de Chostakovitch. Il y a quelque chose de tout à fait particulier et de fascinant à écouter ces quatuors. Dans le même temps, les passages mouvementés sont presque hitchcockiens, notamment dans le 8e. Grâce à une prise de son une fois de plus exceptionnelle (dans les studios de la SWR), ces deux quatuors superposent à merveille l’angoisse passée d’un homme et celle, présente, d’une époque. Une résonance qui confine à l’exceptionnel.
Un coffret exceptionnel et un nouveau disque signent le retour du mythique label Praga Digitals
Il est si fréquent de devoir constater la fin ou la transformation – c’est-à-dire souvent la fin – d’un label et ces dernières années, les exemples n’ont pas manqué, pour se réjouir de la renaissance de l’un d’eux. Et quand celui-ci se nomme Praga Digitals, label ô combien légendaire, la curiosité pique inévitablement le critique. Car quel label ! Fondé il y a trente ans, en 1991, par un Français, Pierre-Émile Barbier, afin d’éditer les archives de la radio tchécoslovaque, Praga Digitals est désormais propriété de la société de productions Little Tribeca dirigée par Nicolas Bartholomée, l’un des meilleurs ingénieurs du son du monde, qui a souhaité voir perdurer l’esprit originel de Praga en entamant la digitalisation de son catalogue.
Le critique a ainsi fait connaissance de Praga Digitals voilà près de vingt-cinq lorsque, voulant ramener un souvenir musical d’un voyage praguois, il est tombé sur un enregistrement de la 9e symphonie de Chostakovitch par l’orchestre philharmonique tchèque sous la direction de Zdenek Kosler (1967). Ce disque qui figure toujours en bonne place dans sa discothèque se retrouve aujourd’hui dans ce merveilleux coffret célébrant les 30 ans du label.
Sur ce même disque figurait également la 5e de ce même Chostakovitch par le Leningrad Philharmonic Orchestra sous la direction du grand Mravinsky, malheureusement absente du coffret. Pour autant, le chef soviétique est fidèlement représenté avec plusieurs enregistrements de référence de Prokofiev, Stravinsky, Bartók et son majestueux Musique pour cordes, percussions et célesta de 1967 ainsi qu’un Tchaïkovski résonnant avec force dans une Pathétique grandiose et un premier concerto pour piano accompagné du grand Richter venu prêter main-forte au chef. Tous deux délivrent une interprétation puissante, solennelle mais sans précipitation. Comme un grand fleuve russe en somme. Et si la sélection a écarté la 5e de Chostakovitch, elle a fait le choix judicieux de sa 13e Babi Yar dirigé par un Kirill Kondrashin dans la grande salle du conservatoire de Moscou, le 20 décembre 1962, soit deux jours après sa création par le même Kondrashin. D’autres pépites symphoniques traversent le coffret : le deuxième concerto de Bartók avec Anda et Fricsay et une symphonie de psaumes de Stravinsky dirigée par un Igor Markevitch à la tête de l’orchestre symphonique russe.
Cependant, ces trésors symphoniques ne doivent pas faire oublier que Praga Digitals fut avant tout un extraordinaire vecteur de diffusion de la musique de chambre tchèque. Avec un quatuor Pražák nouvelle génération d’abord sous la figure tutélaire de l’altiste Josef Kluson qui signe avec cet anniversaire un nouvel enregistrement consacré aux trois derniers quatuors de Haydn tout en s’inscrivant assurément dans une filiation naturelle avec son illustre aîné. Mais également avec les quatuors Zemlinsky et Kocian qui trouvèrent dans ce label, des écrins à la mesure de leurs extraordinaires talents. Il n’y a qu’à écouter ou réécouter Martinu (Zemlinsky) et Smetana (Kocian) pour s’en convaincre. Et bien entendu qui dit quatuors tchèques dit bien évidemment musique tchèque avec quelques monuments comme les quatuors « américain » de Dvorak et « Lettres intimes » de Janáček (Pražák). Ce dernier est également à l’honneur à travers un voyage musical passionnant de l’orchestre philharmonique tchèque dans la maison des morts et sur les traces de LaPetite renarde rusée avec comme guide un Vaclav Neumann fidèle à lui-même. Enfin, les amoureux de musique de chambre apprécieront avec délice les trios Guarneri et Oïstrakh. Qu’on le veuille ou non, voici donc un vitrail de plus dans la cathédrale discographique de la fin du 20 siècle et du début du 21e. Vitrail qu’il revient à tous les amoureux de musique de contempler cette incroyable lumière musicale praguoise qui illumina le ciel gris de ce jour où j’acheta ce fameux CD et qui, aujourd’hui, continuera, à n’en point douter, d’enchanter nos oreilles avec de nouveaux disques.
Plus de deux ans après sa disparition, un coffret monumental revient sur la carrière du célèbre chef letton à la tête de l’orchestre symphonique de la radio bavaroise
Une vie de héros. Eine Heldleben comme le nom du poème symphonique de Richard Strauss. La vie du chef d’orchestre letton a fini par se confondre avec la musique qu’il interpréta et notamment avec ce Strauss qu’il affectionnait tout particulièrement. Ce Strauss que l’on retrouve dans ce coffret monumental réunissant la quasi- totalité des enregistrements que Jansons réalisa à la tête de l’Orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise (Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks) qui fut, peut-être avec le Concertgebouw d’Amsterdam, « son » orchestre.
Avec le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Mariss Jansons transcenda quelques grandes pages du répertoire. Son cycle des symphonies de Beethoven en 2012 reste encore aujourd’hui l’une des versions de référence. Bruckner, Mahler ou Chostakovitch attestent également avec force de sa grande compréhension et de son incroyable sensibilité à l’égard du répertoire post-romantique et contemporain. La version de la 8e symphonie de Mahler présentée ici est d’une beauté à couper le souffle. Œuvre monumentale, totale, cette interprétation inédite parmi les quinze que compte le coffret, résonnera longtemps aux oreilles des auditeurs. Sa 10e d’un Chostakovitch qui figura à l’affiche de l’un de ses derniers concerts parisiens et imprégnée de son expérience auprès du grand Mravinsky à Leningrad, dévoile avec fracas ce message qui doit faire « appel aux sentiments humains les plus profonds ».
Ce coffret très complet permet également d’apprécier le chef dans un répertoire qu’on ne lui associait peut-être pas immédiatement comme ce très beau War Requiem de Benjamin Britten avec Emily Magee et Mark Padmore ou encore Haydn. Soucieux également de valoriser la création contemporaine, les disques consacrés à Wolfgang Rihm, Jorg Widmann ou Rodion Shchedrin permettent à la fois de comprendre son approche de la création contemporaine et de l’inscrire dans une histoire de la musique plus longue.
Mariss Jansons se montra également à l’aise dans le répertoire sacré, du Requiem de Mozart à la Berlin Mass d’Arvo Pärt eux-aussi inédits en passant par la Messe n°3 de Bruckner, la Messa da Requiem de Verdi ou la plus rarement jouée San Cecilia Messe de Gounod. Capable aussi bien de sortir le Requiem de Mozart d’un tombeau que d’élever dans les cieux ce sublime Stabat Mater de Poulenc transcendée par la voix de Genia Kühmeier, le chef letton s’est souvent entouré des plus belles voix de la planète – Anna Prohaska, Mia Persson, Gerhild Romberger ou Anja Harteros – qu’il s’évertua à mettre à l’honneur dans ses concerts. Il faut donc écouter et réécouter, encore et encore, les enregistrements de Mariss Jansons, pour se pénétrer du message de ce chef unique, ce héros ayant désormais rejoint le Walhalla des musiciens d’exception.
Par Laurent Pfaadt
Mariss Jansons, The Edition, Chor & Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, 70 CDs, 72-pages Book, BR Klassik