Renaissance tchèque

Un coffret exceptionnel et un nouveau disque signent le retour du
mythique label Praga Digitals

Il est si fréquent de devoir constater la fin ou la transformation –
c’est-à-dire souvent la fin – d’un label et ces dernières années, les
exemples n’ont pas manqué, pour se réjouir de la renaissance de l’un
d’eux. Et quand celui-ci se nomme Praga Digitals, label ô combien
légendaire, la curiosité pique inévitablement le critique. Car quel
label ! Fondé il y a trente ans, en 1991, par un Français, Pierre-Émile
Barbier, afin d’éditer les archives de la radio tchécoslovaque, Praga
Digitals est désormais propriété de la société de productions Little
Tribeca dirigée par Nicolas Bartholomée, l’un des meilleurs
ingénieurs du son du monde, qui a souhaité voir perdurer l’esprit
originel de Praga en entamant la digitalisation de son catalogue.

Le critique a ainsi fait connaissance de Praga Digitals voilà près de
vingt-cinq lorsque, voulant ramener un souvenir musical d’un
voyage praguois, il est tombé sur un enregistrement de la 9e
symphonie de Chostakovitch par l’orchestre philharmonique
tchèque sous la direction de Zdenek Kosler (1967). Ce disque qui
figure toujours en bonne place dans sa discothèque se retrouve
aujourd’hui dans ce merveilleux coffret célébrant les 30 ans du label.

Sur ce même disque figurait également la 5e de ce même
Chostakovitch par le Leningrad Philharmonic Orchestra sous la
direction du grand Mravinsky, malheureusement absente du coffret.
Pour autant, le chef soviétique est fidèlement représenté avec
plusieurs enregistrements de référence de Prokofiev, Stravinsky,
Bartók et son majestueux Musique pour cordes, percussions et célesta
de 1967 ainsi qu’un Tchaïkovski résonnant avec force dans une
Pathétique grandiose et un premier concerto pour piano
accompagné du grand Richter venu prêter main-forte au chef. Tous
deux délivrent une interprétation puissante, solennelle mais sans précipitation. Comme un grand fleuve russe en somme. Et si la
sélection a écarté la 5e de Chostakovitch, elle a fait le choix judicieux de sa 13e Babi Yar dirigé par un Kirill Kondrashin dans la grande salle
du conservatoire de Moscou, le 20 décembre 1962, soit deux jours
après sa création par le même Kondrashin. D’autres pépites
symphoniques traversent le coffret : le deuxième concerto de
Bartók avec Anda et Fricsay et une symphonie de psaumes de
Stravinsky dirigée par un Igor Markevitch à la tête de l’orchestre
symphonique russe.

Cependant, ces trésors symphoniques ne doivent pas faire oublier
que Praga Digitals fut avant tout un extraordinaire vecteur de
diffusion de la musique de chambre tchèque. Avec un quatuor
Pražák nouvelle génération d’abord sous la figure tutélaire de
l’altiste Josef Kluson qui signe avec cet anniversaire un nouvel
enregistrement consacré aux trois derniers quatuors de Haydn tout
en s’inscrivant assurément dans une filiation naturelle avec son illustre aîné. Mais également avec les quatuors Zemlinsky et Kocian
qui trouvèrent dans ce label, des écrins à la mesure de leurs
extraordinaires talents. Il n’y a qu’à écouter ou réécouter Martinu
(Zemlinsky) et Smetana (Kocian) pour s’en convaincre. Et bien
entendu qui dit quatuors tchèques dit bien évidemment musique
tchèque avec quelques monuments comme les quatuors
« américain » de Dvorak et « Lettres intimes » de Janáček (Pražák).
Ce dernier est également à l’honneur à travers un voyage musical
passionnant de l’orchestre philharmonique tchèque dans la maison
des morts et sur les traces de La Petite renarde rusée avec comme
guide un Vaclav Neumann fidèle à lui-même. Enfin, les amoureux de
musique de chambre apprécieront avec délice les trios Guarneri et
Oïstrakh. Qu’on le veuille ou non, voici donc un vitrail de plus dans la
cathédrale discographique de la fin du 20 siècle et du début du 21e.
Vitrail qu’il revient à tous les amoureux de musique de contempler
cette incroyable lumière musicale praguoise qui illumina le ciel gris
de ce jour où j’acheta ce fameux CD et qui, aujourd’hui, continuera, à
n’en point douter, d’enchanter nos oreilles avec de nouveaux disques.

Par Laurent Pfaadt

Praga Digitals, 30 years, 30 CD Limited Edition