Un
magnifique ouvrage revient sur l’histoire d’AC/DC. De quoi préparer leur venue
en France
Voilà
plus d’un demi siècle qu’ils nous convient en enfer via leur autoroute musicale
rythmée par le tocsin de leurs tubes. Cinquante ans plus tard alors qu’ils
reviennent en France pour leur unique concert à l’hippodrome Longchamp, il
devenait plus que nécessaire de se replonger dans le livre que Philippe
Margotin consacra à AC/DC à l’occasion du demi-siècle d’existence du groupe.
Tout
commence en 1973 en Australie. Deux frères d’origine écossaise, Malcolm et
Angus Young fondent ce qui deviendra l’une des formations les plus mythiques de
ce demi-siècle musical. La petite histoire raconte que c’est la sœur des
frères Young, Margaret qui, en voyant AC/DC « alternating current/direct current » (courant alternatif/courant
continu) sur un aspirateur eut l’idée du nom. Le 31 décembre 1973, influencé
par Slade et Alice Cooper notamment, le groupe donne son premier concert puis,
deux ans et demi plus tard, après avoir signé chez Atlantic Records, sort en
Europe, le 30 avril 1976, son premier album, High Voltage, prélude à
leur conquête du vieux continent. Il contient déjà quelques-uns de leurs
innombrables tubes : TNT, The Jack etIt’s a long way to
the top (If you wanna Rock n roll) que reprendra Metallica lors de
l’ouverture de leurs tournées. La déferlante ACDC est en route. Elle ne
s’arrêtera pas et continue toujours.
Les
albums s’enchaînent, Powerage (1978) qui matérialisa le passage au hard
rock, Highway to hell (1979) qui leur offrit la renommée mondiale, Back
in black (1980), For Those About to Rock
(We Salute You) en 1981, The Razor’s Edge (1990)
qui resta un an et demi dans les classements américains. Mais également les
tubes sur lesquels le livre revient abondamment en convoquant l’anecdote, la
petite histoire comme cette cornemuse sur It’s a long way to the top (If you
wanna Rock n roll) jouée par Bon Scott, une chanson que Brian Johnson
refusa toujours d’interpréter. Tout comme ces concerts, du Marquee, le temple
du rock anglais, à l’été 1976 au Madison Square Garden de New York en 1998. En
France où le groupe est venu à plusieurs reprises notamment au Pavillon de
Paris le 9 décembre 1979, l’accueil a toujours été incroyable. Pour preuve, les
50 000 places du concert du 13 août prochain se sont vendus en trois heures.
Cinquante plus tôt, en 1976, le groupe assurait la première partie de Raimbow à
Colmar !
Leurs
chansons deviennent des hymnes du cinéma d’action américain, des années 90 avec
Big Gun dans Last Action Hero avec Arnold Schwarznegger jusqu’à
nos jours et Stephen King, le roi du roman fantastique américain, leur proposa
de réaliser la musique de son film Maximum Overdrive. Cela donne Who
made who. AC/DC est définitivement entré dans la pop culture.
Bien
évidemment, comme dans chaque groupe, les drames frappèrent la formation sans
l’anéantir, renforçant ainsi le mythe : les décès de Bon Scott (1980) et
de Malcolm Young (2017), les départs et retours de Phil Rudd et Cliff Williams,
l’absence de Brian Johnson remplacé par un Axel Rose des Guns n Roses
dans une sorte de mercato surprenant. Le livre de Philippe Margotin, servi par
une très belle infographie, n’omet rien, bien au contraire.
Le groupe, confronté à l’évolution des styles musicaux connut au début au milieu des années 1980, une panne et refusa même un million de dollars des Rolling Stones pour interpréter leur première partie. Mais il était dit qu’AC/DC ne serait jamais débranché. Donc si vous voulez tout savoir d’AC/DC ou simplement découvrir ce groupe mythique, alors ce livre est pour vous. En fait non, c’est juste un livre indispensable à toute bibliothèque. Point.
Par Laurent Pfaadt
Philippe Margotin, AC/DC, le groupe, les albums, la musique Glénat, 288 p.
Power
Up Tour, la nouvelle tournée européenne d’ACDC entre le 17 mai et le 17
août 2024 passera notamment à l’hippodrome de Longchamp de Paris, le 13 août
2024.
Mika
est une sorte de papillon multicolore qui capte immédiatement la lumière et
l’irradie sur ceux qui le regarde. Car assister à un show de Mika constitue
toujours une expérience unique. La popstar est d’une énergie et d’une
générosité communicative qui transcende les générations. De 7 à 77 ans, les
spectateurs ont ainsi rempli le Dôme de Marseille pour célébrer le plus
français des chanteurs britanniques. Et il faut dire que Mika leur a bien
rendu. Il a enchaîné les titres de son dernier album Que ta tête fleurisse
toujours nommé ainsi en hommage au dernier cadeau de sa mère, un dessin, et
ses anciens tubes français et anglais, réalisant parfaitement la communion de
ses nouveaux fans – souvent les plus jeunes – spectateurs de The Voice et les
plus anciens, ceux qui ont vibré, il y a maintenant dix-sept ans (eh oui !),
sur Love Today, Grace Kelly ou Relax, Take it Easy, déclenchant
à chaque chanson, des démonstrations de bonheur et des déhanchements
incontrôlés !
Bougez
a ainsi donné le ton d’une soirée que les spectateurs ont passé le plus clair
de leur temps debout à danser. Les gradins assis, plutôt calmes et longs à se
mettre en route, ont montré la voie, ce qui n’a pas manqué de surprendre un
Mika qui a enchaîné, mi-ange mi démon, avec Sweetie Banana et Apocalypse
Calypso avant de faire résonner son timbre génial et toujours unique dans Underwater
et Happy Ending. Résultat : une pop colorée qui oscille entre
classicisme britannique et incursions psychédéliques où Mika se livre sur vie
personnelle, l’amour et la mort.
Bien
évidemment, il n’a pu s’empêcher de rendre hommage à cette autre artiste
britannique chère au cœur des Français, Jane Birkin, dans une chanson
tirée de son dernier album et écrit avant la mort de l’artiste, mais également
à cette mère disparue l’an passée d’une grave maladie avec C’est la vie, une
mère dont il s’est plu à rappeler quelques anecdotes et dans 30 secondes à
Carla de Coignac, finaliste de la Nouvelle Star en 2017 et qui composa avec lui
ce nouvel album réussi et intégralement en français. Car la musique de Mika est
une sorte de condensé de bonne humeur, de joie et son interprète, véritable
papillon multicolore tantôt rouge tantôt blanc ou jaune selon ses parures, aime
à butiner dans ses fleurs musicales tirées de cet arc-en-ciel sonore qu’il
dispense à son public.
Mika ne manque d’ailleurs pas de rappeler en chansons, ce qui constitue son ADN musical, cette ode à la différence qui infuse sa musique et transcende les générations, s’offrant même avec Big Girl(You are beautiful) un bain de foule dont le Dôme se souviendra et invitant un spectateur chanceux à venir danser un slow sur scène. C’est ce qu’on pourrait appeler l’effet papillon de Mika. Le public marseillais, conquis, entonna même avec lui un Moi, Andy et Paris, chanson où il évoque son compagnon c’est dire combien l’artiste est aimé ici. En guise de remerciement, Mika déploya un arc-en-ciel de son piano comme pour nous dire, dans un ultime message d’amour, que la musique est quelque part, somewhere over the raimbow. Et qu’il revient à chacun de le suivre.
Chaque
année c’est la même chose : Nîmes et le sud de la France ont rendez-vous dans
les mythiques arènes avec les légendes internationales de la musique. Les héros
du rock, du rap de la pop ou de la chanson française remplaceront les myrmidons
et autres toréadors le temps de quelques soirées qui resteront certainement
gravées dans toutes les mémoires. A commencer par celle du 31 mai qui verra le
grand Eric Clapton clôturer sa tournée française. D’autres artistes lui
emboîteront le pas : Simply Minds à l’occasion de son Global Tour accompagné
d’un Eagle-Eye Cherry qui assurera la première partie du groupe de Glasgow,
Avril Lavigne et surtout la star britannico-albanaise Dua Lipa qui donnera deux
concerts (12-13 juin) et fera tourner les têtes des mânes des princesses de la
Gaule romaine et de jeunes filles en larmes au son de Levitating, Physical
ou Don’t Start Now.
Les
nostalgiques des années 80-90 et de leurs walkmans repenseront à leurs jeans à
trous (que portent aujourd’hui leurs enfants !) et à leur survêtements Tacchini
en écoutant Offspring, Suzanne Vega et les pionniers du rap français (IAM et MC
Solaar). Ils verront à coup sûr, les nouveaux gladiateurs de la musique (PLK,
Ninho, SCH) rendre un hommage appuyé à leurs pères passés maîtres dans l’art de
la rime acérée comme un trident. Nul doute que le Champs-Elysées de SCH
résonnera d’un écho tout particulier dans l’antique cité qui couronnera
également Ninho (6 juillet), gladiateur musical aux 160 singles d’or, 90 de
platine et 50 de diamant.
Côté français, rien que le gratin de la chanson : Sofiane Pamart, Grand Corps Malade, Slimane, Dadju, Calogero ou le groupe Shaka Ponk qui fera ses adieux après avoir triompher sur les scènes du monde entier. Ils croiseront ces autres légendes établies comme Patrick Bruel et Etienne Daho, ou en devenir comme Bigflo & Oli qui refermera un festival qui promet d’ores et déjà. Des têtes vont à coup sûr tomber dans les arènes de Nîmes, mais elles tomberont en pamoison devant cette pléaide de poètes des temps modernes. Nul doute que le public saura réserver à tous ces artistes un accueil digne d’un triomphe romain.
Par Laurent Pfaadt
Le festival de Nîmes se tiendra du 31 mai au 20 juillet 2024. Pour retrouver toute la programmation et les diverses informations de ce dernier, rendez-vous sur : http://www.festivaldenimes.com
C’est toujours un plaisir que de se rendre au concert dans la salle du Munsterhof dont la beauté visuelle le dispute à l’excellence de son acoustique.
Le soir du lundi 18 mars, invités par le Centre Musical de la Krutenau, Charlotte Juillard, violon solo au Philharmonique de Strasbourg depuis dix ans, et ses collègues et amis Thomas Gautier, violoniste, Harold Hirtz, altiste et Alexander Somov, violoncelliste, eux-mêmes solistes ou anciens solistes à l’orchestre, offraient un concert de musique de chambre, tour à tour à deux, trois et quatre voix. Dès le duo pour violon et violoncelle op.7 de Zoltan Kodaly, joué avec intensité et concentration, on pressent un concert des plus soigneusement préparés. De cette composition écrite en la terrible année 1914 et dont les quatre mouvements offrent des traits avant-gardistes d’époque, la violoniste et le violoncelliste restituent parfaitement l’atmosphère méditative et anxieuse. C’est une toute autre ambiance, plus détendue et festive, qui émane de la sérénade op.10 de cet autre musicien, hongrois lui aussi et de la même génération que Kodaly : Ernö Dohnanyi. Compositeur, pianiste et chef d’orchestre, il fut le grand-père de Christoph von Dohnanyi, chef d’orchestre contemporain des plus respectés. Si, à l’instar de Bartok et de Kodaly, Dohnanyi puise aussi une part de son inspiration dans le folklore hongrois, son écriture est en revanche bien plus traditionnelle. Sa sérénade op.10 aura, en tout cas, permis au trio violon-alto-violoncelle de faire entendre la beauté de ses instruments, flattés par l’acoustique du lieu.
Charlotte Juillard
La
soirée s’achevait avec un chef d’oeuvre de la musique de
chambre, le neuvième quatuor de Beethoven, l’Opus 59 n°3,
troisième et dernier de la série des Razoumovsky.
Oeuvre
d’une puissance expressive exceptionnelle, avec un allegro initial
d’un héroïsme flamboyant, un mouvement lent d’une densité
poignante, un menuetto
qui
n’en est pas vraiment un et une incroyable fugue finale, anticipant
les derniers quatuors du compositeur. Dès le premier mouvement, on
est saisi par l’homogénéité et la virtuosité de ces quatre
musiciens qui donnent l’impression d’un ensemble constitué
depuis des lustres alors que, même s’ils se connaissent bien, ils
ne sont réunis que pour l’occasion. On est aussi emporté par leur
engagement, leur enthousiasme et leur prise de risques : à
l’écoute du tempo très vif, adopté par l’altiste Harold Hirtz
à l’entrée de la fugue finale, on ne peut qu’admirer la
propreté et la clarté de son jeu, et de celui de ses comparses.
Au-delà de cette virtuosité commune, ce fut aussi et surtout une
grande interprétation de ce neuvième quatuor, dans un style assez
différent des tendances plus analytiques à l’oeuvre ces dernières
décennies et renouant avec une manière de jouer particulièrement
lyrique, usant souvent d’un très beau
legato
et rappelant, de façon étonnante, le jeu de certains grands
ensembles d’antan comme le Quatuor
Busch
(dans les années 1930-40) ou, plus près de nous, le
Quartetto Italiano.
Ainsi interprété, cet Opus 59 n°3 annonce, non seulement le
modernisme de la dernière musique de chambre de son auteur, mais
aussi le romantisme tardif d’un Johannes Brahms.
Dans
un tout autre esprit, il faut aussi féliciter la mairie de La
Wantzenau et le chef Philippe Hechler pour leur entreprise de
représenter sur scène l’opéra de Verdi, La
Traviata,
dans la transcription pour orchestre d’harmonie due à Lorenzo
Pusceddu. Pour ce faire, l’Orchestre d’Harmonie de La Wantzenau
fut mobilisé, en même temps que constitué un choeur d’amateurs,
au demeurant aguerris, et trois chanteurs solistes engagés. Dans
cette adaptation de l’opéra de Verdi, les dialogues sont remplacés
par un récit de l’action, remarquablement narré par l’acteur
Christophe Feltz. De même toutes les scènes chorales furent jouées
avec beaucoup de verve et de justesse, grâce au minutieux travail de
préparation accompli pendant six mois par l’équipe chorale sous
la direction de Gaspard Gaget, jeune chef de choeur doté d’une
déjà longue expérience. Dans une mise en scène sobre et efficace
de Lysiane Blériot, heureusement dépourvue des extravagances et
absurdités aujourd’hui visibles sur beaucoup de scènes, les deux
protagonistes Alfredo (Lee Namdeuk) et Violetta (Véronique Laffay)
emportèrent l’adhésion. Les musiciens de La Wantzenau et leur
chef, monsieur Hechler, restituèrent l’oeuvre avec justesse et
précision. Seule petite réserve concernant la sonorisation :
dans l’acoustique assez mate de la salle du Fil
d’eau,
elle était surement nécessaire, notamment pour les voix ; mais
peut-être eût-elle gagné avec quelques décibels en moins.
Quoi
qu’il en soit, ces deux représentations de La
Traviata, les
vendredi 15 et dimanche 17 mars témoignent du niveau artistique que
peuvent atteindre des musiciens amateurs sérieusement préparés et
profondément motivés.
Romantisme
tardif et débuts de la musique moderne caractérisaient les
programmes donnés au cours des deux premiers concerts de l’année
2024 par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg.
Composée
pour une petite formation d’instruments à vent et cinq instruments
à cordes par Arnold Schoenberg en 1908, la Symphonie de chambre
n°1 est une partition pleine de fraîcheur et porteuse des idées
nouvelles qui émergeaient alors en musique comme dans tous les arts.
C’est dans les années 1930, quand il effectuait aussi la
transposition pour grand orchestre du premier quatuor avec piano de
Johannes Brahms, que Schoenberg orchestrera également son œuvre de
jeunesse, lui ôtant du même coup son caractère de symphonie de
chambre. Elle n’en reste pas moins, avec sa thématique originale,
ses cinq mouvements enchainés et sa sonorité charnue et colorée,
d’une écoute fort intéressante, ainsi qu’en témoigna
l’excellente prestation de l’OPS et de son chef Aziz Shokhakimov,
lors du concert du 11 janvier dernier.
L’un
des chefs d’oeuvre de la littérature concertante du XXè siècle,
le Concerto pour violon et orchestre d’Alban Berg, dit ‘’A
la mémoire d’un ange’’, vint ensuite. Nous entendîmes,
pour l’occasion, le grand violoniste américain Gil Shaham que,
sauf erreur, nous n’avions pas vu à Strasbourg depuis 1998, quand
il donna un magnifique second concerto de Bela Bartok. Son approche
de celui de Berg mit au premier plan, avec une sonorité de violon à
la fois ténue et splendide, la dimension émouvante et intime de
l’oeuvre, sans taire pour autant ses côtés âpres et acerbes. Le
plus beau moment fut sûrement celui où, vers la fin de l’oeuvre,
le violon solo entame un dialogue avec les différents groupes des
cordes de l’orchestre : geste inhabituel, Gil Shaham fit alors
se lever successivement les premiers puis les seconds violons et les
altos dans un moment d’échange instrumental de grande intensité.
Petite déception cependant, du côté de l’orchestre, souvent
distant et réservé, notamment à l’entrée de la seconde partie
quand les sections de cuivre poussent ce cri déchirant qui, très
souvent, évoque le fameux tableau éponyme d’Edward Munch. Rien de
tel cependant, ce soir-là.
Le
concert s’acheva par le poème symphonique de Richard Strauss Ainsi
parlait Zarathoustra. Nonobstant
tout ce qui par ailleurs les distingue, une certaine communauté dans
la sonorité orchestrale n’en rapproche pas moins la musique de
Richard Strauss de celle de son contemporain Gustav Mahler. Sachant
Aziz Shokhakimov un interprète d’élection de celle-ci, on se
disait qu’il en serait sans doute de même avec celle-là ;
sauf si, peut-être, il se laissait emporter, comme cela arrive
parfois, par le côté grisant de l’œuvre de Strauss. Contre toute
attente, ce fut l’exact contraire. Dès la célèbre introduction,
rendue populaire par Stanley Kubrick dans son film Odyssée
de l’espace, on fut d’emblée
surpris par la lenteur du tempo et la couleur très mate du tutti
orchestral. Les deux parties suivantes (De ceux des
arrières-mondes et De
l’aspiration suprême) sedéroulèrent pourtant bien,
d’une grande clarté polyphonique et évitant judicieusement les
pianissimi inutiles. Mais, quand advinrent ‘’Des joies
et des passions’’, les
grandes déferlantes orchestrales attendues ne furent pas vraiment
entendues : l’ensemble se traîna et la texture sonore
s’enlisa. Certes les moments retenus et graves comme Le
chant du tombeau ou Le
chant du voyageur nocturne qui
conclut l’oeuvre se présentèrent plutôt bien mais les parties
plus animées comme Le convalescent et
Le chant de la danse, en
dépit du beau cantabile de la super soliste Charlotte Juillard,
manquèrent par trop de virtuosité, d’allant et de couleurs. Une
approche de l’oeuvre évitant, de fait, le clinquant mais
paraissant cependant vidée de sa substance.
Lors
de la seconde exécution de son concerto piano n°3, à New York en
1909, le pianiste et compositeur Sergueï Rachmaninov était
accompagné à l’orchestre par Gustav Mahler. Le soir du 19 janvier
à Strasbourg, nous eûmes la jeune pianiste russe Anna Vinnitskaya,
dont les enregistrements des dernières années, consacrés à
Chopin, Brahms et Rachmaninov ont été très remarqués ; elle
avait, comme partenaire à l’orchestre, son compatriote Andrey
Boreyko, chef issu de la grande école pétesbourgeoise et doté d’un
très vaste répertoire, allant de la musique ancienne jusqu’aux
contemporains. On garde un grand souvenir de son passage au festival
de Colmar au tournant des années 2000 dans un concert Brahms donné
avec l’Orchestre National de Russie. A l’heure actuelle, Andrey
Boreyko est directeur de l’Orchestre Philharmonique de Varsovie, à
la suite de chefs réputés comme Antoni Vitt et Wiltold Rowicky.
Ce
troisième de Rachmaninov avec Vinnitskaya et Boreyko aura mis
quelque temps à se mettre en place. Si, pour finir, l’atmosphère
conflictuelle et sentimentale du mouvement lent et la verve du final
furent restituées avec virtuosité et sensibilité, en revanche la
neutralité du piano dans le fameux thème introductif de l’oeuvre
et un orchestre pour le moins décousu et aux timbres refroidis nous
valurent un premier mouvement assez déroutant. Après l’entracte,
nous entendîmes un très brillant Scherzo fantastique de
Josef Suk dont on se dit toutefois qu’il eût aussi bien pu ouvrir
le concert, histoire de réchauffer l’orchestre. Le grand moment de
la soirée fut une magnifique suite de L’Oiseau de feu
d’Igor Stravinsky, donné dans
sa version orchestralement allégée de 1945 : un orchestre
pleinement ressaisi et l’interprétation d’Andrey Boreyko,
exceptionnelle d’intelligence et d’inspiration, tant dans
l’énergie rythmique et la subtilité des phrasés que dans la
richesse des couleurs où, comme à l’accoutumé, la section des
cors de l’OPS s’est particulièrement distinguée.
Le
concerto pour hautbois de Richard Strauss et la grande symphonie en
ut majeur de Franz Schubert composaient le programme du concert donné
en la salle Érasme le vendredi 1er
décembre. Sébastien Giot, premier hautboïste de l’OPS, officiait
dans Strauss ; l’orchestre était dirigé par le chef allemand
Claus Peter Flor, bien connu à Strasbourg.
Bien
que l’oeuvre fasse partie de son répertoire, Sébastien Giot aura
fait une nouvelle fois la démonstration de son art en remplaçant au
pied levé son confrère François Leleux, initialement annoncé.
Dans cette œuvre tardive de Strauss, de conception néo-classique,
pétillante et plaisante à l’écoute mais truffée de difficultés
techniques, le soliste du Philharmonique fit entendre, dans les deux
mouvements extrêmes, la vivacité et la pétulance de son jeu mais
aussi ses qualités de legato
et
de chant dans la partie médiane. Un orchestre soyeux, avec des
cordes très fines et des instruments à vents disposés au premier
rang, lui a donné la réplique. Très fêté par la salle, le
hautboïste a offert en bis un extrait de la sixième fantaisie de
Telemann.
Composée
vraisemblablement fin 1827-début 1828, autrement dit quelques mois
avant sa mort, la neuvième symphonie de Schubert aurait bien pu
n’être jamais jouée, oubliée comme elle était dix ans durant
parmi les papiers de Franz déposés chez son frère Ferdinand. C’est
Robert Schumann qui, en 1838, mit la main sur le document. A la
simple lecture de cette extraordinaire partition, écrite par
Schubert à un âge où Beethoven composait sa première symphonie,
Schumann fut littéralement subjugué. Il la transmit à Félix
Mendelssohn qui, à la tête de son orchestre du Gewandhaus de
Leipzig, la donna en mars 1839 (de façon partielle).
Par
sa dimension, sa complexité formelle et ses mélodies infinies, on
peut la considérer comme l’emblème de la symphonie romantique
allemande. Comme toute grande œuvre, elle a suscitée des
interprétations des plus diverses, du lyrisme ou de l’exaltation
plus ou moins exacerbés des grands romantiques comme Wilhelm
Fürtwaengler ou Bruno Walter aux conceptions épiques ou héroïques
soutenues par des chefs comme Léonard Bernstein, Itzvan Kertez,
Charles Münch, Georges Szell, Herbert von Karajan et bien d’autres.
Initié par Nikolaus Harnoncourt, le courant historiquement informé,
qui privilégie la notion de restitution sur celle d’interprétation,
aura aussi fait valoir ses choix, selon moi plus convaincants dans
les symphonies de jeunesse de Schubert que dans les deux dernières,
l’Inachevée et la Grande. Quoi qu’il en soit, restitution ou
interprétation, aucun représentant du courant historiquement
informé, qu’il s’agisse d’Harnoncourt lui-même, de Brüggen,
de Gardiner ou de Van Immerseel n’ont entrepris d’épurer la
musique de Schubert de sa dimension, tenue jusqu’ici, pour
essentielle : l’expression du sentiment. La restitution d’une
œuvre n’a jamais signifié, pour eux, sa déconstruction. A la
tête d’un orchestre en grande forme et mené d’une main
indéniablement très sûre, c’est néanmoins cette perspective
insolite qu’aura tenu à faire entendre Claus Peter flor.
Claus Peter Flor
Reconnaissons
que, malgré l’appel de cors volontairement sec et froid, le
premier mouvement
andante
puis allegro
ne manquait pas d’allure, sa grande énergie rythmique n’empêchant
ni la grande ligne, ni les épisodes lyriques de bien se faire
entendre. En revanche, à partir du second mouvement
andante con moto,
en dépit d’une petite harmonie disposée au premier rang de
l’orchestre et d’ailleurs dangereusement exposée, l’éradication
de la moindre touche sentimentale est devenue musicalement patente ;
de la musique, ne subsiste alors plus que la charpente, le noyau
émotionnel devenant absent. Le refus délibéré de faire chanter
les instruments et la volonté explicite d’égrener chaque note en
témoignent. Dans cet
andante
profondément émouvant dont l’atmosphère peut parfois évoquer le
cycle de lieder Le
Voyage d’hiver,
du moins avec les interprètes les plus sombres, ou bien la
Wanderer-Phantasie chez
les chefs
plus solaires,
Claus Peter Flor substitue à la ligne générale une froide analyse
clinique où l’insistance statique sur le détail occulte
complètement la perception de l’ensemble. L’extrême fin de
mouvement, ordinairement captivante de par sa forte ambivalence entre
inquiétude et sérénité, fut expédiée dans la plus totale
indifférence. La suite fut à l’avenant : élimination
radicale de la dimension viennoise du
scherzo
au profit d’une marche prussienne aux accents secs et péremptoires,
transformant l’admirable et poignant
trio
central, joué par les instruments à vents, en un semblant de
musique militaire. Nonobstant un jeu énergique et rapide, l’allegro
vivace
final n’en resta pas moins plombé du début à la fin, clouant au
sol tout ce que cette musique distille d’aspiration, d’élévation
et de libération, malheureusement bien absentes ce soir-là. En
regard du bel interprète de la musique romantique allemande que fut
Claus Peter Flor dans sa jeunesse, nous laissant notamment des
Mendelssohn rayonnants, on reste perplexe à l’écoute de ses
options du jour.
Le concert du vendredi 24 novembre dernier,
donné dans la salle Érasme et associant les noms de Beethoven et Bartok, restera dans la mémoire pour la
qualité des interprétations, tant du côté de l’orchestre dirigé par le chef
russe Stanislaw Kochanovsky que de celui de la partie soliste tenue par le
premier violon, Charlotte Juillard.
Commencé
en 1936 et créé en 1938, le deuxième concerto pour violon de Bela Bartok
reflète parfaitement, avec ses accents tantôt d’une grande gravité, tantôt
violemment inquiétants, l’atmosphère de l’Europe à l’époque où il fut composé.
Le compositeur lui-même s’apprêtait à émigrer aux Etats-Unis. Longue d’une
quarantaine de minutes, l’oeuvre se compose de trois mouvements, un allegro
initial construit sur l’opposition classique entre deux thèmes, un mouvement
lent et un rondo final optant, l’un et l’autre, pour le principe de la
variation. La modernité de l’œuvre réside surtout dans l’écriture thématique, à
la fois lyrique et abstraite, et dans l’orchestration, typiquement bartokienne
avec ses cuivres et ses percussions.
Les
qualités musicales d’un concertiste et celles du violon solo d’un orchestre ne
sont pas nécessairement les mêmes, et le répertoire qu’ils pratiquent diffère
quelque peu. Par ailleurs, les difficultés techniques de ce concerto sont très
grandes. Il faut se réjouir que Charlotte Juillard les ait brillamment
surmontées et lui ait permis de proposer une interprétation mettant
particulièrement en avant le côté lyrique de l’œuvre. A sa manière propre, elle
aura intuitivement retrouvé une tradition inaugurée dans ce concerto par des violonistes comme Yehudi Menuhin ou
Henryk Szeryng. Pour cet opus majeur qui est, à la musique, un peu ce que Le
Château de Kafka est à la littérature, Charlotte Juillard a opté pour des
cordes en boyaux qui lui ont permis d’obtenir de son violon une atmosphère particulièrement grave et énigmatique dans
les premiers et seconds mouvements, avant de laisser place à la sauvagerie du
finale . Elle aura, par ailleurs, bénéficié d’un soutien orchestral de la plus
haute qualité. Longuement et chaleureusement ovationnée à l’issue de sa
performance, la super-soliste de l’OPS a offert en bis une courte pièce de
Georges Énescù, Le ménestrier premier.
Depuis
deux siècles qu’on les joue, depuis un siècle qu’on les enregistre, les
symphonies de Beethoven ont fait l’objet d’une multitude de grandes
interprétations. D’Arthur Nikisch dans les années 1900 à Nikolaus Harnoncourt
de nos jours, en passant par Felix Weingartner, Arturo Toscanini, Wilhelm
Fürtwaengler, Bruno Walter, Fritz Reiner, Herbert von Karajan, Carl Schuricht
et bien d’autres, le potentiel de ces
partitions beethovéniennes a été plus qu’exploré. Même si la musique vivante en
salle de concert conserve un avantage émotionnel sur l’écoute chez soi, il n’en
demeure pas moins rarissime d’être aujourd’hui saisi lors de l’audition d’une
symphonie de Beethoven, après que tous les grands noms de la direction
d’orchestre y ont imprimé leurs marques. Cela est pourtant arrivé : ainsi, en 2007, lors de l’intégrale
Beethoven donnée en la salle Érasme par Paavo Järvi et ses musiciens de Brême ; cela le fut
aussi, ce vendredi 24 novembre, avec l’extraordinaire interprétation de la
symphonie héroïque par Stanislaw Kochanovsky et les musiciens de l’OPS. Elle ne
mérite que des éloges : beauté du chant, intelligence du phrasé,
effervescence rythmique, richesse des timbres, vitalité conquérante et
éloquence prenante de la première à la dernière note. Si le chef s’inspire des
équilibres sonores du courant historiquement informé, avec notamment une petite
harmonie très en avant, l’effectif orchestral conserve, en revanche, une
dimension symphonique assez traditionnelle,
d’environ soixante-cinq musiciens. Pour le reste, Kochanovsky ne craint
pas d’introduire de subtils ralentis ou de romantiques accélérations, tels
qu’on les faisait souvent au siècle dernier et tels qu’ils ont à peu près
disparu depuis. Avec le concours d’un orchestre de toute évidence conquis, nous
entendîmes ainsi une Éroïca d’une flamme et d’une profondeur mirobolantes. Un
chef que l’on souhaite vivement revoir.
Quelques versions recommandables du 2ème concerto pour violon et orchestre de Bela Bartok :
Henryk Szeryng, avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, dir. Bernard Haïtink (Decca)
André Gertler, avec l’Orchestre Philharmonique tchèque, dir. Karel Ancerl (Supraphon)
Ces
deux violonistes privilégient la dimension lyrique de l’oeuvre.
Gil Shaham et l’Orchestre Symphonique de Chicago, dir. Pierre Boulez (DG) mettent en avant la dimension abstraite et moderniste du concerto.
Les
samedi soir 25 et dimanche après-midi 26 novembre, la Chorale Strasbourgeoise
donnait son concert annuel, principalement consacré cette année à des œuvres de
Joseph Haydn. Il faut d’abord saluer la qualité du programme qui aura permis
d’entendre des œuvres que l’on joue rarement et qui, si elles ne sont pas les
plus grandes du compositeur, méritent largement l’écoute.
Purement
orchestral dans sa première partie, le concert débutait par la petite ouverture
de Xerxès de Haendel, suivi du plus ambitieux divertimento en sol
majeur de Haydn. Pour ce faire, Gaspard Gaget, le jeune directeur de la
Chorale Strasbourgeoise, avait obtenu le concours du Kammerensemble
Kehl-Strasbourg, très attentif et réactif à sa direction durant tout le
concert. En seconde partie, les quatre motets Responsaria de venerabili
Sacramento, rarement joués, révèlent de grandes beautés vocales. D’une durée
d’un peu moins trente minutes, la Missa Sancti Nicolai, elle aussi en
sol majeur, est également une intéressante partition vocale, offrant des
moments polyphoniques, un bel épisode fugué et un dona nobis pacem final
assez émouvant.
Outre
la vingtaine de musiciens et la soixantaine de choristes, Gaspard Gaget avait
réuni un quatuor vocal de qualité dont la soprano et le ténor furent
particulièrement mis en valeur durant la
Missa Sancti Nicolai. Les quelques imperfections audibles durant
le premier concert au Palais des Fêtes de Strasbourg avaient complètement
disparu le lendemain après-midi, dans l’église Santa Maria de Kehl. Un ensemble
orchestral et choral judicieusement disposé dans l’acoustique plutôt mate de
l’église a permis au jeune chef talentueux d’accélérer quelque peu le tempo,
obtenant de ses musiciens une verve et une cohésion d’un niveau peu banal pour
un concert d’amateur.
Le
grand compositeur polonais aurait eu, le 23 novembre, 90 ans. Devenu de son
vivant l’un des plus grands compositeurs du 20e siècle, ses œuvres
telles que son Threnos « à la mémoire des victimes d’Hiroshima »,
un Requiem polonais ou son opéra Les diables de Loudun ont depuis
longtemps intégré le répertoire de toutes les salles de concert du monde. A
l’occasion d’un concert de l’orchestre philharmonique de Strasbourg en mars
2004 nous l’avions rencontré. Hebdoscope republie son interview.
Krzysztof Penderecki
Monsieur Penderecki, vous dirigerez jeudi soir, l’une de
vos œuvres, le Concerto grosso pour trois violoncelles. Pouvez-vous nous parler
de la genèse de cette pièce ?
Vous
savez, je suis particulièrement attiré par les violoncelles. J’ai d’ailleurs
écrit plusieurs œuvres pour violoncelles dont deux concertos. Le violoncelle me
fascine car il recèle toutes les possibilités inimaginables. Au départ, ce
concerto devait réunir cinq violoncelles au lieu de trois mais le problème se
pose rapidement lorsqu’il s’agit de réunir solistes de qualité. Le violoncelle
est l’un des rares instruments qu’il est possible de démultiplier à l’infini.
Un jour, en tournée au Japon, on me proposa même de composer des petites pièces
pour mille violoncelles !
Je crois que vous avez un lien particulier avec ce pays,
le Japon comme en témoigne l’une de vos œuvres les plus connues, le Threnos
« à la mémoire des victimes d’Hiroshima »
J’ai
écrit cette œuvre alors que je n’avais même pas trente ans mais j’ai toujours
gardé cette même fascination pour l’Asie. Elle est si différente
culturellement, philosophiquement. C’est cela qui m’attire. J’ai été ravi
d’avoir été le premier chef étranger invité du China Philharmonic. Par
ailleurs, l’Asie possède une musique si intéressante, faite d’instruments issus
d’une longue tradition.
A plus de 70 ans, votre activité créatrice est-elle
toujours aussi féconde ?
J’essaie d’écrire tous les jours même si ce n’est qu’un peu mais j’en ai besoin pour me motiver. En ce moment, je travaille sur trois œuvres majeures notamment une Passion selon saint Jean pour l’inauguration en novembre 2005 de l’Église de la Vierge à Dresde, détruite durant la guerre. Les autres œuvres sont un ballet pour orchestre, le Leader Circus et une dernière œuvre folle, une petite pièce pour orchestre réunissant trois clarinettes et deux clarinettes solo.
Un programme fort bien conçu et des musiciens inspirés nous ont valu
une belle soirée dans la salle Érasme, lors du concert en abonnement de
l’Orchestre philharmonique de Strasbourg donné le vendredi 20 octobre dernier.
Les Danses roumaines de Béla Bartok constituaient une bonne entrée en
matière, servies par un orchestre jouant en petite formation et des musiciens
debout : la virtuosité des archets, très sollicitée dans les parties
véloces, s’en trouva amplifiée sans rien ôter à la texture soyeuse des danses
plus douces et mélancoliques.
Longuement travaillé et remanié
entre 1989 et 1993, le concerto pour violon de György Ligeti comprend, dans son
ultime version, cinq mouvements d’une durée totale d’environ une demi-heure,
durant laquelle le soliste est mis à rude épreuve. Cette œuvre attachante intègre
un matériau sonore d’origine hongroise dans une écriture, par ailleurs, très
avant-gardiste. Son premier mouvement s’ouvre de manière étonnante, comme un
bruit à peine audible se transformant d’abord en son, avant que la musique ne
s’installe vraiment. L’orchestration se compose d’un très petit quatuor d’une
vingtaine de cordes, complété par deux flutes, un hautbois, deux clarinettes,
deux cors, une trompette, un trombone et un grand nombre de percussions. On se
souvient de la belle exécution, plutôt mélodieuse, donnée lors d’un concert
d’avant le confinement de 2020, dirigée par Marko Letonja ; Charlotte
Juillard, la supersoliste de l’orchestre,
tenant la partie violon. C’est une vision beaucoup plus exacerbée que
nous auront fait entendre, le soir du 20 octobre, le chef Aziz Shokhakimov et
la violoniste Patricia Kopatchinskaja, d’une technique instrumentale et d’une
présence scénique hors du commun. En 2020, pour la cadence concluant l’agitato molto final, Charlotte Juillard
avait retenu la version écrite par le compositeur Thomas Adès, Patricia
Kopatchinskaja a proposé la sienne propre, impétueuse et véhémente, s’achevant
sur une mise en scène insolite, simulant une casse des instruments de
l’orchestre !… De cette interprétation de l’œuvre pleine de surprises,
on se demande néanmoins ce qu’ eût pensé le compositeur lui-même, qui en avait confié la création au violoniste
Sascho Graviloff et à l’Ensemble Intercontemporain de Pierre Boulez pour une
approche d’une gravité et d’un sérieux aux antipodes de celle-ci ? En bis,
la violoniste invitée et la supersoliste de l’orchestre se sont sympathiquement
réunies en duo dans une belle pièce pour violon, toujours de Ligeti, connue
sous le nom de Ballade si joc.
La musique du ballet Petrouchka d’Igor Stravinski, qui met en
scène les mésaventures et malheurs d’un pantin doté d’amour et de vie, n’est
plus joué aujourd’hui que dans sa version de concert. D’une richesse de timbre
rendant justice à la prodigieuse orchestration de Stravinsky, Aziz Shokhakimov
et les musiciens de l’OPS en ont proposé une puissante et prenante
interprétation. Elle s’inscrit dans la tradition des chefs russes, soulignant
particulièrement le dramatisme de l’œuvre, à la différence d’interprétations
occidentales mettant souvent en relief les aspects plus ludiques de la
partition.
Avec Pôle-sud-CDCN, Musica a programmé sur la musique de John Cage un spectacle de danse conçu, chorégraphié et interprété par Lenio Kaklea , un solo particulièrement inventif, une sorte d’hommage au compositeur qui fut l’inventeur, pourrait-on dire du piano préparé. Accompagnée du pianiste Orlando Bass, elle a choisi « Sonates et Interludes » pour cette prestation au cours de laquelle elle déploie tout son corps, parcourant le plateau à grandes enjambées, s’amusant à se filmer avec une caméra vidéo pour explorer certaines parties de son visage, qu’elle déforme par des grimaces, étirant sa bouche, agrandissant son œil.
L’inventaire des modes pianistiques de John Cage, elle s’en fait l’écho par sa fantaisie, ses mouvements amples et virtuoses, relevant dans la partition le matériau de sa construction chorégraphique, de la marche au saut suivi d’arrêts en suspension, alternant glissades au sol et élans comme pour essayer d’attraper ce qui tombe du ciel. Elle se rapproche du pianiste lui, très concentré sur son jeu, puis elle disparait quelques instants avant de revenir évoluer, torse nu pour un final qui souligne clairement le pouvoir libérateur de la danse moderne. Représentation du 19 septembre
Musica au Maillon pour « Place » le 22 Septembre En création française une œuvre sur la gentrification dont la partie musicale est signée Ted Hearne ainsi que le livret pour lequel il s’est adjoint le rappeur Saul Williams.
Place – Ted Hearne
Cela aboutit à une pièce engagée, un oratorio pour six voix et 18 instruments du Collectif lovemusic basé à Strasbourg. Un spectacle total dont les textes nombreux et riches de références sociales et politiques nous touchent autant que les images. Ted Hearne veut nous rendre sensibles à ce problème qu’il a découvert et vécu, lui qui est né à Chicago, et qui a cru d’abord que la musique pouvait faire fi des appartenances sociales et ségrégatives. En prenant conscience qu’il n’en était rien, il s’est lancé sur ce thème pour exposer comment la prise de possession des quartiers populaires par des personnes aisées a constitué un bouleversement dans les mœurs des habitants confrontés à l’augmentation des loyers ou aux contrôles policiers devenant plus fréquents. Projections d’images des quartiers, dialogues filmés, ou chantés, on trouve une richesse de propositions autant sur le plan de l’image que du chant et de la musique.
Il s’agit d’une sorte de dialogue e entre le compositeur et le rappeur, le premier se sent quelque peu coupable d’être malgré lui complice des accapareurs ne serait-ce parce qu’il est blanc. En témoignent ces passages où il est question de leur fils respectif. En effet au début du spectacle une vidéo nous montre l’auteur chantant une berceuse à son fils et posant la question « où virons-nous ? La musique est harmonieuse pendant que défilent des images des villas d’un quartier bourgeois.
La réponse viendra plus tard quand Saul William fera dire aux chanteurs «What about my son, et mon fils alors ? »
Ted Hearne pour ne pas tomber dans le suprémacisme pratique le collage qui permet de mettre en quelque sorte sur un pied d’égalité les références aux auteurs de différentes obédiences comme celles aux différents compositeurs. On y croisera par exemple, aussi bien des textes de Gilles Deleuze, que de James Baldwin et des musiques de Nina Simone ou de Haendel…
Une œuvre finement élaborée à partir de réflexions politiques qui nous a donné le plaisir de l’écoute et celui non moins important celui de se confronter aux problèmes du monde et d’en faire notre affaire.
Michael Levinas
Grand moment ce lundi 25 septembre à la Cité de la musique et de la danse pour entendre l’Ensemble Intercontemporain sous la direction de son nouveau directeur Pierre Bleuse dans un concert intitulé « L’Ebranlement » qui nous offre les œuvres de trois compositeurs, trois moments d’une musique très colorée, très vivante, d’abord de Michael Levinas en création mondiale « Les voix ébranlées » où l’on passe de murmures aux sons graves, où les instruments semblent parler et justifient le titre, une composition savamment tissée qui procure un vrai plaisir de l’écoute.
Suivie dans un deuxième temps par « La Horde » de Hugues Dufourt, œuvre inspirée par un tableau du peintre Max Ernst portant ce même titre et pour laquelle l’artiste emploie la technique du frottage ce qui se retrouve d’une certaine façon dans l’écriture de cette partition qui fait la part belle aux frémissements et aux frottements. Ça gratte, ça racle, on fait vibrer, amplifiant des sons qui peuvent paraître discordants, on multiplie les coups d’archet. Au final le piano et la flûte nous conduisent vers l’apaisement et le silence.
La troisième partie du concert était réservée à la création mondiale de « The Tailor of Time » une commande de Musica, l’Ensemble Intercontemporain et le Festival d’Automne à Paris à la compositrice australienne Liza Lim qui a puisé son inspiration dans la poésie de Jelaluddin Rumi, un mystique soufi persan du XIIIème siècle. Ecrite pour hautbois, harpe et orchestre l’œuvre fait la part belle au hautbois tenu par Phlippe Grauvogel et à la harpe jouée par Valeria Kafelnikov, tous deux très versés dans la musique contemporaine. Leurs échanges et dialogue est repris, soutenu par l’orchestre, développant une palette sonore riche et variée pendant que les percussionnistes s’adonnent à des bruitages, se lançant dans des bricolages qui font même sourire les musiciens surtout quand ils vont jusqu’à suspendre des casseroles, des cymbales, des cloches et divers objets sur lesquels ils projettent de l’eau et que, sans vergogne, ils se mettent à pousser des cris. A ce charivari succéderont le solo du hautbois, les glissandos de la harpe, et les coups d’archet en rythme soutenu qui contribuent à donner à cette partition toute son expressivité.
A souligner la remarquable interprétation des musiciens de l’Ensemble Intercontemporain toujours dans la justesse et la conviction.
Nous retrouvons ce même Ensemble Intercontemporain le lendemain à la Cité de la musique et de la danse pour nous font entendre, sous sa direction deux œuvres du compositeur allemand Enno Poppe. Ses deux pièces soulignent combien il est inventif et prolixe. Les morceaux très courts de « Blumen » marqués par les frémissements tout en finesse et en subtilités, s’expriment entre éclats, intensité, frénésie et contrastes.
Poppe, lui est un vrai personnage, qui vit sa musique avec tout son corps et semble la danser en la dirigeant.
Dans « Prozession » pour lequel plusieurs batteries sont installées, la composition en neuf parties fait se rencontrer les instruments deux par deux, les percussions, elles, n’arrêtant pas de jouer. La parttion est très structurée, le son souvent très fort, le rythme martial avant de devenir lent, les sons doux, répétitifs, méditatifs, quasiment mystiques. Une très belle rencontre avec ce compositeur assurément plein d’originalité.
Dans le registre de l’originalité nous avons vécu un moment bien particulier avec le spectacle « Anatomia » au cours duquel la pianiste et performeuse Claudine Simon nous fera vivre une expérience unique et pour le moins inattendue, en l’occurrence, le démontage, pièce par pièce d’un piano. D’abord, installé au milieu du dispositif scénique, il dispense ses accords et harmonies de façon classique. Nous sommes bien sûr intrigués par les nombreux fils qui pendent au-dessus du plateau. Nous en comprenons l’usage quand, au fur et à mesure du déroulement du spectacle, on verra advenir la déconstruction de l’instrument dont les différents éléments seront suspendus à ces fils. Quelques sons émergent encore de ce « carnage » auxquels s’ajoutent des martèlements, des grattages et autres sons et bruits obtenus en triturant le corps du piano dépecé.
C’est ainsi que l’on découvre la complexité de cet instrument et que, à notre grand étonnement, dépouillé de son intégrité il résonne encore.
Au Palais des Fêtes nous attend ce samedi un des derniers concerts du festival sur le sol français, une création de Jérôme Combier exécutée par l’Ensemble Cairn dirigé par Guillaume Bourgogne. Pas moins de 6 dispositifs orchestraux sur le plateau autour duquel ont pris place les spectateurs, celui du centre voué essentiellement à des manipulations d’objets, tuyau en bois sur lequel on frappe, papiers que l’on froisse, envolées de pétales qui bruissent, sons enregistrés puis renvoyés. Tous ces éléments de percussion n’empêchent pas les instruments de l’orchestre de se produire, alto, violoncelle, piano et accordéon jouent leur partition. Puis surgissent les sons métalliques des lames d’acier, des cloches, des carillons que l’on frappe et fait résonner. La musique s’immisce dans ces bruitages, parfois elle semble supplier, gémir, gronder devenir orage avant que nuance et délicatesse ne réapparaissent à l’instar de cette dernière manipulation qui nous montre ce filet de sable que l’on fait couler dans la lumière, comme pour mesurer le temps avec un sablier.
Les objets inanimés prennent vie dans la musique et ainsi le compositeur, Jérôme Corbier et le percussionniste Corentin Mariller rendent-ils hommage à l’Arte Povera.
La clôture du Festival s’effectuera à Bâle, en toute beauté .
Après la visite du Musée Tinguely deux concerts nous attendent auxquels cette visite nous a en quelque sorte préparés, en particulier concernant les compositions de Simon Steen-Andersen puisque comme le peintre et sculpteur Steen -Andersen pratique l’art du collage et du recyclage ce dont il s’est expliqué » dans sa conférence de l’après-midi où il est question de sa technique de composition et de partitions construites à partir d’éléments collectés comme on le ferait avec des legos mélangés.
Premier concert, celui de Zone Expérimentale sous la direction artistique de Sarah María Sun dans lequel les œuvres de Steen illustrent son propos, étant successivement inspirées de J.S Bach, Schumann et Mozart, toutes intitulées « Inszenierte Nacht » la nuit mise en scène.
Ce même concert nous permet de redécouvrir une œuvre de Georges Aperghis « Les sept crimes de l’ amour » et de Enno Poppe « Fleisch » avec d’excellents solistes comme Alexandre Ferreira Silva au vibraphone et percussion ou Marc Baltrons Fabregas au saxophone
Le deuxième concert se tient au Sportzentrum Pfaffenholtz à la frontière entre Bâle et Saint-Louis, une grande salle de sport bien nécessaire pour accueillir l’immense formation destinée à exécuter le « Trio » pour orchestre de Simon Steen-Andersen précédé de « La musique de revue » de Sofia Gubaidulina et de Slimazel » de Michael Wertmüller, toutes ces œuvres écrites pour big band et orchestre étaient confiées au Basel Sinfonietta dirigé par Titus Engel avec le NDR Big Band et le Chorwerk Ruhr.
Un impressionnant regroupement d’interprètes pour ce remarquable concert de clôture du Festival Musica qui fêtait ses quarante années d’existence toujours accompagné d’un public nombreux, fidèle et curieux.