salle Érasme

Un programme fort bien conçu et des musiciens inspirés nous ont valu une belle soirée dans la salle Érasme, lors du concert en abonnement de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg donné le vendredi 20 octobre dernier.


Les Danses roumaines de Béla Bartok constituaient une bonne entrée en matière, servies par un orchestre jouant en petite formation et des musiciens debout : la virtuosité des archets, très sollicitée dans les parties véloces, s’en trouva amplifiée sans rien ôter à la texture soyeuse des danses plus douces et mélancoliques.

© David Amiot

Longuement travaillé et remanié entre 1989 et 1993, le concerto pour violon de György Ligeti comprend, dans son ultime version, cinq mouvements d’une durée totale d’environ une demi-heure, durant laquelle le soliste est mis à rude épreuve. Cette œuvre attachante intègre un matériau sonore d’origine hongroise dans une écriture, par ailleurs, très avant-gardiste. Son premier mouvement s’ouvre de manière étonnante, comme un bruit à peine audible se transformant d’abord en son, avant que la musique ne s’installe vraiment. L’orchestration se compose d’un très petit quatuor d’une vingtaine de cordes, complété par deux flutes, un hautbois, deux clarinettes, deux cors, une trompette, un trombone et un grand nombre de percussions. On se souvient de la belle exécution, plutôt mélodieuse, donnée lors d’un concert d’avant le confinement de 2020, dirigée par Marko Letonja ; Charlotte Juillard, la supersoliste de l’orchestre,  tenant la partie violon. C’est une vision beaucoup plus exacerbée que nous auront fait entendre, le soir du 20 octobre, le chef Aziz Shokhakimov et la violoniste Patricia Kopatchinskaja, d’une technique instrumentale et d’une présence scénique hors du commun. En 2020, pour la cadence concluant l’agitato molto final, Charlotte Juillard avait retenu la version écrite par le compositeur Thomas Adès, Patricia Kopatchinskaja a proposé la sienne propre, impétueuse et véhémente, s’achevant sur une mise en scène insolite, simulant une casse des instruments de l’orchestre !… De cette interprétation de l’œuvre pleine de surprises, on se demande néanmoins ce qu’ eût pensé le compositeur lui-même,  qui en avait confié la création au violoniste Sascho Graviloff et à l’Ensemble Intercontemporain de Pierre Boulez pour une approche d’une gravité et d’un sérieux aux antipodes de celle-ci ? En bis, la violoniste invitée et la supersoliste de l’orchestre se sont sympathiquement réunies en duo dans une belle pièce pour violon, toujours de Ligeti, connue sous le nom de Ballade si joc.

© David Amiot

La musique du ballet Petrouchka d’Igor Stravinski, qui met en scène les mésaventures et malheurs d’un pantin doté d’amour et de vie, n’est plus joué aujourd’hui que dans sa version de concert. D’une richesse de timbre rendant justice à la prodigieuse orchestration de Stravinsky, Aziz Shokhakimov et les musiciens de l’OPS en ont proposé une puissante et prenante interprétation. Elle s’inscrit dans la tradition des chefs russes, soulignant particulièrement le dramatisme de l’œuvre, à la différence d’interprétations occidentales mettant souvent en relief les aspects plus ludiques de la partition.

                                                                                   Michel Le Gris