Claus Peter Flor

Le concerto pour hautbois de Richard Strauss et la grande symphonie en ut majeur de Franz Schubert composaient le programme du concert donné en la salle Érasme le vendredi 1er décembre. Sébastien Giot, premier hautboïste de l’OPS, officiait dans Strauss ; l’orchestre était dirigé par le chef allemand Claus Peter Flor, bien connu à Strasbourg.


© Gregory Massat

Bien que l’oeuvre fasse partie de son répertoire, Sébastien Giot aura fait une nouvelle fois la démonstration de son art en remplaçant au pied levé son confrère François Leleux, initialement annoncé. Dans cette œuvre tardive de Strauss, de conception néo-classique, pétillante et plaisante à l’écoute mais truffée de difficultés techniques, le soliste du Philharmonique fit entendre, dans les deux mouvements extrêmes, la vivacité et la pétulance de son jeu mais aussi ses qualités de legato et de chant dans la partie médiane. Un orchestre soyeux, avec des cordes très fines et des instruments à vents disposés au premier rang, lui a donné la réplique. Très fêté par la salle, le hautboïste a offert en bis un extrait de la sixième fantaisie de Telemann.

Composée vraisemblablement fin 1827-début 1828, autrement dit quelques mois avant sa mort, la neuvième symphonie de Schubert aurait bien pu n’être jamais jouée, oubliée comme elle était dix ans durant parmi les papiers de Franz déposés chez son frère Ferdinand. C’est Robert Schumann qui, en 1838, mit la main sur le document. A la simple lecture de cette extraordinaire partition, écrite par Schubert à un âge où Beethoven composait sa première symphonie, Schumann fut littéralement subjugué. Il la transmit à Félix Mendelssohn qui, à la tête de son orchestre du Gewandhaus de Leipzig, la donna en mars 1839 (de façon partielle).

Par sa dimension, sa complexité formelle et ses mélodies infinies, on peut la considérer comme l’emblème de la symphonie romantique allemande. Comme toute grande œuvre, elle a suscitée des interprétations des plus diverses, du lyrisme ou de l’exaltation plus ou moins exacerbés des grands romantiques comme Wilhelm Fürtwaengler ou Bruno Walter aux conceptions épiques ou héroïques soutenues par des chefs comme Léonard Bernstein, Itzvan Kertez, Charles Münch, Georges Szell, Herbert von Karajan et bien d’autres. Initié par Nikolaus Harnoncourt, le courant historiquement informé, qui privilégie la notion de restitution sur celle d’interprétation, aura aussi fait valoir ses choix, selon moi plus convaincants dans les symphonies de jeunesse de Schubert que dans les deux dernières, l’Inachevée et la Grande. Quoi qu’il en soit, restitution ou interprétation, aucun représentant du courant historiquement informé, qu’il s’agisse d’Harnoncourt lui-même, de Brüggen, de Gardiner ou de Van Immerseel n’ont entrepris d’épurer la musique de Schubert de sa dimension, tenue jusqu’ici, pour essentielle : l’expression du sentiment. La restitution d’une œuvre n’a jamais signifié, pour eux, sa déconstruction. A la tête d’un orchestre en grande forme et mené d’une main indéniablement très sûre, c’est néanmoins cette perspective insolite qu’aura tenu à faire entendre Claus Peter flor.

Claus Peter Flor

Reconnaissons que, malgré l’appel de cors volontairement sec et froid, le premier mouvement andante puis allegro ne manquait pas d’allure, sa grande énergie rythmique n’empêchant ni la grande ligne, ni les épisodes lyriques de bien se faire entendre. En revanche, à partir du second mouvement andante con moto, en dépit d’une petite harmonie disposée au premier rang de l’orchestre et d’ailleurs dangereusement exposée, l’éradication de la moindre touche sentimentale est devenue musicalement patente ; de la musique, ne subsiste alors plus que la charpente, le noyau émotionnel devenant absent. Le refus délibéré de faire chanter les instruments et la volonté explicite d’égrener chaque note en témoignent. Dans cet andante profondément émouvant dont l’atmosphère peut parfois évoquer le cycle de lieder Le Voyage d’hiver, du moins avec les interprètes les plus sombres, ou bien la Wanderer-Phantasie chez les chefs plus solaires, Claus Peter Flor substitue à la ligne générale une froide analyse clinique où l’insistance statique sur le détail occulte complètement la perception de l’ensemble. L’extrême fin de mouvement, ordinairement captivante de par sa forte ambivalence entre inquiétude et sérénité, fut expédiée dans la plus totale indifférence. La suite fut à l’avenant : élimination radicale de la dimension viennoise du scherzo au profit d’une marche prussienne aux accents secs et péremptoires, transformant l’admirable et poignant trio central, joué par les instruments à vents, en un semblant de musique militaire. Nonobstant un jeu énergique et rapide, l’allegro vivace final n’en resta pas moins plombé du début à la fin, clouant au sol tout ce que cette musique distille d’aspiration, d’élévation et de libération, malheureusement bien absentes ce soir-là. En regard du bel interprète de la musique romantique allemande que fut Claus Peter Flor dans sa jeunesse, nous laissant notamment des Mendelssohn rayonnants, on reste perplexe à l’écoute de ses options du jour.

Michel Le Gris