en novembre à l’ops

Le concert du vendredi 24 novembre dernier, donné dans la salle Érasme et associant les noms de Beethoven et  Bartok, restera dans la mémoire pour la qualité des interprétations, tant du côté de l’orchestre dirigé par le chef russe Stanislaw Kochanovsky que de celui de la partie soliste tenue par le premier violon, Charlotte Juillard.


Charlotte Juillard
© Grégory Massat

Commencé en 1936 et créé en 1938, le deuxième concerto pour violon de Bela Bartok reflète parfaitement, avec ses accents tantôt d’une grande gravité, tantôt violemment inquiétants, l’atmosphère de l’Europe à l’époque où il fut composé. Le compositeur lui-même s’apprêtait à émigrer aux Etats-Unis. Longue d’une quarantaine de minutes, l’oeuvre se compose de trois mouvements, un allegro initial construit sur l’opposition classique entre deux thèmes, un mouvement lent et un rondo final optant, l’un et l’autre, pour le principe de la variation. La modernité de l’œuvre réside surtout dans l’écriture thématique, à la fois lyrique et abstraite, et dans l’orchestration, typiquement bartokienne avec ses cuivres et ses percussions.

Les qualités musicales d’un concertiste et celles du violon solo d’un orchestre ne sont pas nécessairement les mêmes, et le répertoire qu’ils pratiquent diffère quelque peu. Par ailleurs, les difficultés techniques de ce concerto sont très grandes. Il faut se réjouir que Charlotte Juillard les ait brillamment surmontées et lui ait permis de proposer une interprétation mettant particulièrement en avant le côté lyrique de l’œuvre. A sa manière propre, elle aura intuitivement retrouvé une tradition inaugurée dans ce concerto  par des violonistes comme Yehudi Menuhin ou Henryk Szeryng. Pour cet opus majeur qui est, à la musique, un peu ce que Le Château de Kafka est à la littérature, Charlotte Juillard a opté pour des cordes en boyaux qui lui ont permis d’obtenir de son violon une atmosphère  particulièrement grave et énigmatique dans les premiers et seconds mouvements, avant de laisser place à la sauvagerie du finale . Elle aura, par ailleurs, bénéficié d’un soutien orchestral de la plus haute qualité. Longuement et chaleureusement ovationnée à l’issue de sa performance, la super-soliste de l’OPS a offert en bis une courte pièce de Georges Énescù, Le ménestrier premier.

Depuis deux siècles qu’on les joue, depuis un siècle qu’on les enregistre, les symphonies de Beethoven ont fait l’objet d’une multitude de grandes interprétations. D’Arthur Nikisch dans les années 1900 à Nikolaus Harnoncourt de nos jours, en passant par Felix Weingartner, Arturo Toscanini, Wilhelm Fürtwaengler, Bruno Walter, Fritz Reiner, Herbert von Karajan, Carl Schuricht et bien d’autres,  le potentiel de ces partitions beethovéniennes a été plus qu’exploré. Même si la musique vivante en salle de concert conserve un avantage émotionnel sur l’écoute chez soi, il n’en demeure pas moins rarissime d’être aujourd’hui saisi lors de l’audition d’une symphonie de Beethoven, après que tous les grands noms de la direction d’orchestre y ont imprimé leurs marques. Cela est pourtant arrivé  : ainsi, en 2007, lors de l’intégrale Beethoven donnée en la salle Érasme par Paavo Järvi  et ses musiciens de Brême ; cela le fut aussi, ce vendredi 24 novembre, avec l’extraordinaire interprétation de la symphonie héroïque par Stanislaw Kochanovsky et les musiciens de l’OPS. Elle ne mérite que des éloges : beauté du chant, intelligence du phrasé, effervescence rythmique, richesse des timbres, vitalité conquérante et éloquence prenante de la première à la dernière note. Si le chef s’inspire des équilibres sonores du courant historiquement informé, avec notamment une petite harmonie très en avant, l’effectif orchestral conserve, en revanche, une dimension symphonique assez traditionnelle,  d’environ soixante-cinq musiciens. Pour le reste, Kochanovsky ne craint pas d’introduire de subtils ralentis ou de romantiques accélérations, tels qu’on les faisait souvent au siècle dernier et tels qu’ils ont à peu près disparu depuis. Avec le concours d’un orchestre de toute évidence conquis, nous entendîmes ainsi une Éroïca d’une flamme et d’une profondeur mirobolantes. Un chef que l’on souhaite vivement revoir.

Quelques versions recommandables du 2ème concerto pour violon et orchestre de Bela Bartok :

Henryk Szeryng, avec l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam,
dir. Bernard Haïtink (Decca)

André Gertler, avec l’Orchestre Philharmonique tchèque,
dir. Karel Ancerl (Supraphon)

Ces deux violonistes privilégient la dimension lyrique de l’oeuvre.

Gil Shaham et l’Orchestre Symphonique de Chicago,
dir. Pierre Boulez (DG) mettent en avant la dimension abstraite et moderniste du concerto.

Les samedi soir 25 et dimanche après-midi 26 novembre, la Chorale Strasbourgeoise donnait son concert annuel, principalement consacré cette année à des œuvres de Joseph Haydn. Il faut d’abord saluer la qualité du programme qui aura permis d’entendre des œuvres que l’on joue rarement et qui, si elles ne sont pas les plus grandes du compositeur, méritent largement l’écoute.


Purement orchestral dans sa première partie, le concert débutait par la petite ouverture de Xerxès de Haendel, suivi du plus ambitieux divertimento en sol majeur de Haydn. Pour ce faire, Gaspard Gaget, le jeune directeur de la Chorale Strasbourgeoise, avait obtenu le concours du Kammerensemble Kehl-Strasbourg, très attentif et réactif à sa direction durant tout le concert. En seconde partie, les quatre motets Responsaria de venerabili Sacramento, rarement joués, révèlent de grandes beautés vocales. D’une durée d’un peu moins trente minutes, la Missa Sancti Nicolai, elle aussi en sol majeur, est également une intéressante partition vocale, offrant des moments polyphoniques, un bel épisode fugué et un dona nobis pacem final assez émouvant.

Outre la vingtaine de musiciens et la soixantaine de choristes, Gaspard Gaget avait réuni un quatuor vocal de qualité dont la soprano et le ténor furent particulièrement mis en valeur durant la  Missa Sancti Nicolai. Les quelques imperfections audibles durant le premier concert au Palais des Fêtes de Strasbourg avaient complètement disparu le lendemain après-midi, dans l’église Santa Maria de Kehl. Un ensemble orchestral et choral judicieusement disposé dans l’acoustique plutôt mate de l’église a permis au jeune chef talentueux d’accélérer quelque peu le tempo, obtenant de ses musiciens une verve et une cohésion d’un niveau peu banal pour un concert d’amateur.

                                                                                                          Michel Le Gris