L’Europe doit lire notre littérature et nous devons aussi lire la leur

Son Excellence le Dr Ali Bin Tamim est le secrétaire général du Sheikh Zayed Book Award et président de l’Abu Dhabi Arabic Language Center. Il a été auparavant président du centre de la Grande Mosquée Sheikh Zayed puis manager général de l’Abu Dhabi Media Company entre 2016 et 2019. A l’occasion de la remise des Sheikh Zayed Book Award, il est revenu sur l’importance de ce prix littéraire, le mieux doté du monde arabe ainsi que sur la littérature arabe.


Dr Ali Bin Tamim
© SZBA

Quels sont les objectifs de ce prix ?

Ils sont de plusieurs natures : apprécier les auteurs, les encourager, supporter les recherches scientifiques et la création. Nous avons une préoccupation dans cette partie du monde arabe, celle de mettre en lumière la langue arabe mais également les recherches qui sont menées sur cette dernière et sur la culture arabe notamment au niveau des rapports qu’elles entretient avec les autres cultures.

Nous célébrons cette année la 17e édition du Sheikh Zayed Book Award. Avez-vous vu des changements, des évolutions dans la littérature, en particulier dans le roman ?

Oui. Il ne fait aucun doute qu’il y a plus d’histoires critiques, d’histoires sombres. Les grandes lignes de la fiction contemporaine arabe ne sont toujours pas définies avec clarté auprès des lecteurs même si les romans des pionniers arabes comme Naguib Mahfouz ou Gamal Ghitany ont tracé des lignes et des courants clairs. C’est pourquoi le Sheikh Zayed Book Award et l’International Prize for Arabic Fiction ont établi différentes listes, longues puis courtes – c’est une nouveauté – afin d’encourager la lecture et de permettre la découverte et la compréhension des différents styles romanesques.

Avez-vous souhaité mettre quelque chose en avant cette année ?

Renforcer l’exigence du prix. Le Sheikh Zayed Book Award est le prix littéraire le plus important dans le monde arabe, le plus complet. Et surtout il est indépendant. Il s’intéresse essentiellement aux livres récents avec une attention particulière aux qualités intellectuelles qu’ils dégagent. C’est pourquoi nous nous attachons, via notre comité scientifique, à soumettre les candidatures à des critères d’évaluation de haut niveau.  

Pourquoi en Europe devrions-nous lire de la littérature arabe selon vous ?

Nous devrions plutôt nous poser la question suivante : pourquoi un arabe devrait-il lire de la littérature arabe ? Cette question est bien plus difficile que la vôtre. Pourquoi les Français en particulier Antoine Galland et les autres Européens ont-ils traduit les Mille et Une nuits ? Pourquoi l’attention des Européens s’est-elle focalisée sur ce livre ? Pourquoi ce dernier a-t-il changé la manière de raconter des histoires ? Ces questions ont été au centre de la réflexion des critiques britanniques et américains. Pourquoi le livre a-t-il changé leur approche centralisée de la vie et pourquoi n’écouteraient-ils pas des gens dont la narration est partie intégrante de leur cœur ? Ils en sont arrivés à la conclusion qu’ils devraient apprendre de l’art de la narration du Moyen-Orient, du monde arabe mais également d’Amérique du Sud et de l’Espagne.

L’art de la narration dans le monde arabe est ancien et divers. Mais pour répondre à votre question, L’Europe doit lire notre littérature et nous devons aussi lire la leur. Pour apprendre d’elle. Pour se renouveler. Mais aussi pour qu’elle apprenne de nous. C’est une rue à double sens. Les premiers romans arabes se sont inspirés de la tradition littéraire européenne comme cette dernière s’est inspirée de nous. Prenez Zaynab de Muhammad Husayn Haykal publié en 1913 et qui peut être considéré comme le premier roman arabe. Il a été influencé par la tradition littéraire européenne. Alors pour répondre à votre question, pourquoi devrions-nous lire de la littérature arabe, peut-être parce qu’après Muhammad Husayn Haykal, ses successeurs notamment Naguib Mahfouz ont élaboré leur propre voix littéraire, celle du nouveau roman arabe en y mêlant cette tradition européenne, l’apport de Muhammad Husayn Haykal et l’art ancestral de la narration arabe.

Par Laurent Pfaadt