Maria rêve

Un film de Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller

Après avoir remporté en 2020 le César du meilleur court-métrage avec Pile poil, le tandem Lauriane Escaffre / Yvonnick Muller réalise son premier long-métrage avec Maria rêve. Une bouffé d’air frais dans un quotidien parfois morose.

Dès le « lever de rideau », la bande-son met le spectateur dans l’ambiance. La voix inimitable d’Elvis Presley berce chaudement les premières scènes, on devine que le ton du film sera résolument optimiste, sans donner dans la béatitude naïve. Bien sûr, cela ne suffit pas pour faire un bon film, mais c’est déjà un bon début… Nous faisons connaissance de Maria, une femme de ménage qui se retrouve sur son lieu de travail pour la dernière fois. La vieille dame qui l’employait dans son grand appartement est effet décédée, les héritiers n’ont plus besoin de ses services. Discrète, effacée, Maria va vite rebondir. Elle va postuler pour rejoindre l’équipe de femmes de ménage de l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris, pour être aussitôt embauchée, à sa grande surprise.

Maria à la cinquantaine, elle est mariée depuis 25 ans à Oratio, actuellement à la recherche d’un emploi. D’un naturel aimable, Maria est une personne simple en apparence, mais très curieuse. Dans son nouvel environnement elle s’ouvrira à des choses auxquelles elle n’avait jamais été confrontée jusqu’ici, et s’émerveillera d’un monde dans lequel la chose la plus banale peut avoir un sens totalement inédit. Maria a traversé jusqu’ici l’existence sans trop d’anicroche, mais aussi sans grande joie. Une vie sans histoire, en somme, mais un peu terne. Aux Beaux-Arts, elle entamera un renaissance, aidée par un environnement qui stimule l’imagination.

A peine engagée, Maria s’intègre vite à l’équipe chargée du ménage du vénérable établissement. Les autres femmes qui la composent sont sans fard, généralement de bonne humeur, et plus expressives que Maria. Mais celle-ci va évoluer, peu à peu. Chaque journée de travail la fera découvrir de nouvelles choses, qu’elle accueillera à bras ouverts. Même si, parfois, elle ne comprendra pas tout ce qu’elle a sous les yeux. Les rapports entre élèves fantasques et enseignants farfelus la désarçonnent à l’occasion, mais cela ne lui fait pas peur. Maria a beau s’être emprisonnée au cœur d’une inexorable routine au fil des années, sa curiosité naturelle est toujours là, comme endormie par le quotidien. Tout ce temps elle est restée une grande rêveuse. Elle fera la connaissance d’une personne étonnante à plus d’un titre, Hubert le concierge. Et peu à peu tombera sous son charme.

Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller réalisent avec Maria rêve une comédie douce amère (plus douce qu’amère, heureusement). Leur mise en scène fait preuve d’une très grande sensibilité. Leur scénario, leur manière de filmer et leur compréhension des personnages est d’une grande délicatesse. Le tandem fait preuve de finesse, et on sent une connexion évidente et profonde avec les deux personnages principaux, Maria et Hubert. Pour autant, le film ne tombe jamais dans la mièvrerie. Maria rêve est un film drôle (notamment lorsque Lauriane Escaffre et Yvonnick Muller se mettent eux-mêmes en scène), mais qui sait être triste par moment. Sans jamais tomber dans les excès ou la caricature. Le long-métrage évite en effet les facilités et les scènes trop prévisibles (car attendues dans le genre de la comédie dramatique), grandement aidé par une excellente distribution.

Dans le rôle de Maria, la comédienne Karin Viard nous rappelle sa large palette d’interprétation. S’il est vrai qu’elle incarne d’ordinaire des femmes plutôt exubérantes, elle est ici toute autre. Dans un rôle qu’elle reconnaît elle-même comme étant à l’opposé de sa propre personnalité, elle parvient à incarner la douce et sensible Maria, un être toujours en retrait, discret et arrangeant. Face à elle il fallait le comédien apte à exprimer un savant mélange de sensibilité et virilité. Un petit côté lunaire, fantaisiste, dans un être à l’existence pourtant très concrète et à l’apparence de grand nounours.

Dans la peau d’Hubert, ce concierge des Beaux-Arts qui semble avoir toujours été là, Grégory Gadebois fait des merveilles. Il faut le voir pour le croire ! Le comédien parvient à traduire les nombreuses facettes de son personnage avec une apparente facilité et un naturel déconcertants. Tantôt timide, passionné, hésitant, débrouillard, Hubert va petit à petit cristalliser en lui toutes les rêveries de Maria, lui faire imaginer que, peut-être, un monde différent est là à sa portée. Un monde loin de son train train quotidien, plus exaltant que ce qu’elle a toujours connu. Beaucoup de choses passent par le regard de Grégory Gadebois. Celui-ci est tellement expressif qu’il en devient presque un personnage à part.

Quand Maria rêve s’achève, c’est sur une note optimiste, un nouveau départ. Maria peut désormais vivre ses rêves…

Jérôme Magne