Premières

La Suite

Barbara Engelhardt, la directrice du Maillon renoue avec la pratique du Festival Premières qui fut créé en 2005 à l’initiative du TNS et du Maillon pour faire découvrir de jeunes metteurs en scène de plusieurs pays d’Europe. De 2005 à 2014, au cours des 9 sessions qui ont eu lieu, le Festival connut un grand succès et permit de rencontrer la jeune scène européenne. Aujourd’hui, avec, une Installation, quatre spectacles, des rencontres et des tables rondes, Le Maillon offre aux spectateurs des occasions de réfléchir à comment se construit le théâtre actuel compte tenu des nouvelles normes qui pèsent sur la production et la diffusion des œuvres.


A l’instar des anciennes propositions de Premières les spectacles sont innovants, originaux, parfois déroutants. Tel fut le cas pour « Sauvez Bâtard » qui nous présente un procès pour le moins déjanté. Signé du metteur en scène belgo-grec Thymios Fountas qui, pour sa première mise en scène nous invite à suivre le parcours d’un personnage, appelé Bâtard, accusé d’un meurtre qu’il ne se souvient pas avoir commis. Certes le cadavre est sur la scène devant ses yeux mais cela n’évoque aucun geste meurtrier de sa part. Ses juges et accusateurs sont de curieux personnages, dont les costumes illustrent leurs caractéristiques, l’un tout en noir se nomme Cafard, un autre Clébard et le troisième Clochard, autant dire des marginaux qui ont du mal à mettre en œuvre ce projet de jugement auquel ils sont sensés participer. Bâtard lui-même en jogging et casquette blanche semble plutôt décontracté, d’ailleurs, ne se dit-il pas poète, et se retire dans sa chambre pendant que les autres s’énervent et disent ne plus rien comprendre. Cafard jette en l’air les feuillets du dossier, ils vont et viennent, grimpent sur l’espèce de rocher derrière lequel ils semblent presque jouer à cache- cache. La situation est loufoque accompagnée d’une musique forte qui souligne une gestuelle débridée, vive mais parfaitement chorégraphiée.

Bientôt un nouveau personnage apparaît, lui pas du tout déguisé, genre beau gosse, élancé sportif c’est Ekart, un peu poseur, se vantant de prendre des cours d’anglais ce qui détonne et amuse dans ce milieu des laissés pour compte. Il tient à faire savoir qu’il n’est pas pédé et n’arrête pas de le répéter à qui veut l’entendre. Mais le voilà qu’il tombe amoureux, chose inattendue et paradoxale, amoureux de Bâtard.

Bâtard va devenir son partenaire de jeu dans cette partie de la pièce où c’est de relation et d’amour même qu’il sera question. Rencontres, déclarations, déclamations effusions, séparations, se déclinent comme les aléas romantiques des aventures amoureuses et cela ne manque pas d’humour.

Le tout étant dit dans un langage à faire frémir les académiciens mais qui est la signature d’un monde en devenir qui ne sait trop sur quoi bâtir son avenir.

Une pièce emblématique de cette distance à prendre vis à vis des institutions, ici la justice, et des préjugés comme la honte d’être pédé, vieille rengaine toujours d’actualité.

Ainsi le loufoque qui surprend et amuse laisse-t-il habilement, par le truchement du jeu dynamique des comédiens soutenu par une musique  très prégnante,  se dessiner  le monde tragicomique des anti-héros.

Représentation du 10 novembre


Ce même soir une autre proposition vient enrichir cette suite de Premières, il s’agit cette fois de voyager vers la Lituanie en compagnie d’images et de musique. Le journaliste, réalisateur de plusieurs films, Karolis Kaupinis offre ici son premier spectacle vivant « Radvila Darius, fils de Vytautas » en s’appuyant sur les archives de la télévision lituanienne des années 1989-1991. Oy voit de jeunes enfants répéter avec application des morceaux dans l’école de musique sous l’œil attentif du maître. Et on assiste à de nombreux débats et rencontres autour des problèmes posés par la nouvelle société, le pays ayant récemment reconquis son indépendance, comme trouver un nouveau nom pour les rues ou les places, agrandir les rues au prix de la coupe de chênes centenaires et pour ainsi dire « sacrés ». Certaines images peuvent passer pour
« historiques « comme ce trou creusé en pleine rue d’où jaillit du pétrole ou cet alignement de futurs mariés sur un banc de la mairie pour un mariage collectif. Pendant que nous suivons avec intérêt et amusement ces images du passé, derrière un rideau transparent quatre musiciens plutôt jazzy accompagnent plein d’élan la diffusion de ces reportages témoins manifestes d’une recherche d’identité.

Représentation du 10 novembre


Ces « Premières » ont inscrit à leur programme la reprise ici au Maillon du spectacle qui fut l’exercice de sortie de l’Ecole du TNS pour les Groupes 46 et 47 en novembre 2022. « La Taïgac court ».
(Voir le compte-rendu dans Hebdoscope de novembre 2022) Des quatre versions présentées alors, de ce texte de Sonia Chambretto, Barbara  Engelhardt a retenu celle d’ Antoine Hespel du Collectif La Volga

On a donc retrouvé cette mise en scène originale qui met en évidence le problème actuel  et crucial du dérèglement climatique et en fait un objet scénique drôle et percutant avec des comédiens très impliqués dans ces rôles de composition, Jonathan Benéteau Delaprairie, Yann Del Puppo, Quentin Ehret, Felipe Fonseca Nobre, Charlotte Issaly, Vincent Pacaud, tous bien décidés à donner une grande portée à l’avertissement qu’ils nous mettent en demeure d’entendre, celui  qui nous place  devant le pire sans que nous en prenions acte . 

Un premier travail qui méritait toute sa place dans ces Premières.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 17 novembre