Rencontre avec Jean Dufaux

« Avec Bonaparte, on ne sait jamais où situe l’ombre et la lumière »

On ne présente plus Jean Dufaux. Véritable légende vivante dans le
monde de la bande-dessinée, on lui doit notamment deux albums de
Blake et Mortimer (L’onde Septimus et Le Cri du Moloch) mais
également les séries Jessica Blandy, Murena ou Djinn. A l’occasion
de la reparution de l’intégrale de Double masque chez Dargaud,
thriller haletant qui voit le Premier consul confier à un voleur
professionnel, la Torpille, le soin de récupérer un objet d’une
importance capitale, Jean Dufaux revient pour nous sur le pouvoir
que suscite Napoléon Bonaparte sur l’imaginaire des créateurs.

Ce pouvoir ne naît-il pas de la rencontre entre un homme et son
époque ?

Effectivement, c’est une époque en mouvement, une époque qui
bascule et comme toujours, il y a un reflet dans le miroir, ce côté
ombre et lumière que j’ai voulu explorer dans Double masque. Et
avec Bonaparte, on ne sait jamais où se situe l’ombre et la lumière.
C’est pour cela que le masque est blanc dans l’album. L’Histoire a
ainsi toujours un reflet. Il y a l’interprétation dite classique de
l’Histoire mais il en existe une autre. Et nous avons plusieurs regards sur Bonaparte. Il y a la légende dorée et la légende de sang. Il y a des
gens qui détestent qu’on puisse fêter Bonaparte et d’autres lui
rendent grâce pour son œuvre majeure dans l’histoire de France.

Qui s’est transposée à la littérature…

Oui notamment chez Balzac ou Musset. Pourquoi ? Parce que
l’image qu’il a véhiculé dans cette jeunesse qui lui a succédé, entre
1815 et 1830, s’est heurtée – et ce fut l’un des grands cris de Balzac
– au retour d’une époque bourgeoise très codifiée où les jeunes
n’ont plus eu de place. Pour moi, l’épopée napoléonienne demeure
prodigieuse dans le sens où les jeunes y ont trouvé leur place. On
pouvait accéder au pouvoir, aux responsabilités même si on avait
vingt, vingt-cinq ans. C’est une chose dont Balzac a souffert et qu’il a
évoqué dans ses romans. Cette jeunesse de Bonaparte et de ceux
qui l’entouraient a toujours été pour moi très intéressante à
explorer.

Cela vous a-t-il inspiré pour Double masque ?

Exactement. Cette dimension m’a conduit à mettre dans le cycle
Double masque, de l’humour, du décalage que l’on rencontre
finalement assez peu dans l’épopée napoléonienne. On peut se
permettre de l’humour, de bousculer les conventions, presque de
blaguer quand on est avec des jeunes gens de vingt-cinq ans. Rien
n’est encore figé, on peut donc se moquer de Bonaparte, de son
épouse, de Cambacérès, des gens autour de lui. Car il s’agit d’une
époque nouvelle succédant aux années de plomb de la Révolution
française et de la Terreur. C’est quelque chose de vivant, permettant
à notre imagination de s’abandonner.

Par Laurent Pfaadt