Sleep

Un film de Jason Yu

Le premier film du Coréen Jason Yu arrive sur nos écrans trois semaines et demi après s’être aventuré en terres vosgiennes. Lors de la 31ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer, Sleep a en effet décroché le Grand Prix.


Bernard Werber remet le Grand Prix à Jason Yu

Retour sur ce qui a été une des bonnes surprises de la manifestation, qui d’ailleurs cette année n’en manquait pas. Après être passé par la filière du court-métrage, le réalisateur a fait un grand pas en avant avec son premier long. Le film est un modèle d’équilibre, dans lequel comédie et Fantastique se mélangent avec une évidence plutôt rare.
Sleep nous fait partager la petite vie tranquille de Hyeon-soo (le regretté Lee Sun-kyun) et Soo-jin (Yung Yu-mi), un gentil petit couple comme le cinéma asiatique sait si bien les représenter. Habitant un appartement douillet, le couple se prépare à la naissance de son premier enfant. Hyeon-soo est comédien professionnel, mais des problèmes de somnambulisme viennent progressivement perturber sa vie conjugale ainsi que sa vie professionnelle. Au début, son épouse ne s’en inquiète pas. Mais la naissance de leur enfant approche, et les crises de somnambulisme prennent des proportions de plus en plus inquiétantes. Hyeon-soo se défigure en se grattant compulsivement le visage, il vide le frigo et va jusqu’à tenter de sauter par la fenêtre.

Ce ne sont là que les manifestations les plus « normales » de son somnambulisme, nous n’éventerons pas les autres. Jason Yu a écrit le scénario de son film (seul moyen de devenir metteur en scène en Corée du Sud quand on est novice, selon lui), ce qui l’a aidé à savoir quoi filmer et comment le filmer. Sa caméra est intimiste, elle est au plus près du quotidien du couple. La force de son récit réside précisément dans sa capacité à illustrer la vie d’un couple aimant et harmonieux, et sa réaction à une situation inhabituelle. Le Fantastique s’immisce peu à peu dans l’histoire, mais de manière tellement furtive qu’on ne sait comment comprendre les événements. Ce qui est assez plaisant il faut le reconnaître.
Son calvaire prenant des proportions inquiétantes, Hyeon-soo va donc naturellement se tourner vers une clinique spécialisée dans les troubles du sommeil, qui va lui proposer toutes sortes de conseils et de médicaments. Et des petits trucs sur l’aménagement de leur appartement afin d’éviter toute forme d’accident. Au début tout semble aller dans la bonne direction. Mais finalement l’amélioration s’arrête aussi vite qu’elle a commencé. Appelée en renfort, la belle-mère va faire intervenir une médium, et c’est là que le film évolue vers autre chose. La médium sentira une présence malfaisante, très puissante, sans parvenir à en dire plus et à mettre le doigt sur le « fantôme » qui serait la cause des troubles grandissants de Hyeon-soo. Le couple va alors chercher une explication surnaturelle, et se mettre en quête d’événements violents ayant pu toucher leur cercle proche. Commence une recherche fastidieuse auprès des ex petits-amis éconduits. Elle ne donnera pas de résultats tangibles.
Sleep est un film captivant, à l’atmosphère envoûtante. Maîtrisé de la première à la dernière image, le spectateur y partage un moment clef de la vie d’un couple ordinaire. Selon sa propre sensibilité, pour expliquer ce qu’il voit à l’écran, le spectateur empruntera deux directions qui n’ont rien en commun. L’amateur de fantastique choisira naturellement le surnaturel, la poésie, tandis que le rationnel se raccrochera à des éléments plus cartésiens.

Quoi qu’il en soit, chacun trouvera dans Sleep matière à satisfaction. Questionné sur le sujet, Jason Yu s’en est d’ailleurs amusé, se gardant bien de dire de quel côté il se rangeait. Avec sa maîtrise du cadre et de l’espace, le metteur en scène se place déjà comme l’un des grands espoirs du cinéma coréen. L’empathie dont il fait preuve pour ses personnages est le petit plus qui a convaincu les membres du Jury Longs-Métrages du dernier Festival de Gérardmer. Son « feel good horror movie » comme il le décrit lui-même a pleinement mérité son Grand Prix.

Jérôme Magne