Un dîner de génies

Le musée du Louvre a invité son homologue napolitain. Une occasion unique de contempler quelques grands chefs d’œuvre de la peinture européenne.

« A force de palais et de souverains installés dans le golfe, la ville est plutôt monarchiste que républicaine. Elle a besoin d’une reine ou d’un roi, mais seulement le dimanche. Les jours ouvrables, elle se gouverne toute seule, intolérante aux hiérarchies » note ainsi le célèbre écrivain italien Erri de Luca, dans son portrait de Naples qui figure en ouverture du magnifique catalogue qui accompagne l’exposition et tient lieu de véritable voyage pictural dans cette cité italienne à nulle autre pareille.


Raphael, Moïse devant le buisson ardent
© Luciano Romano Real Museo e Real Bosco di Capodimonte

De portraits, il en est d’ailleurs question dans la très belle exposition que consacre le musée du Louvre à son éminent invité transalpin, le musée de Capodimonte, venu avec quelques-unes des plus belles toiles de l’art européen. Car à la grande table que l’institution parisienne lui a dressé dans la Grande Galerie, comme un souverain invité dans celle des glaces de sa royale cadette, quelques places de choix ont été réservées aux grands maîtres que sont Léonard de Vinci ou Raphaël et leurs merveilleux cartons tirés des fresques des palais de Mantoue et du Vatican notamment ce Moïse devant le buisson ardent de toute beauté. Le pape, celui du Titien avec son fameux Portrait de Paul III avec ses petits-fils a même fait le déplacement et n’est pas venu seul puisqu’il est accompagné du Clément VII d’un Sebastiano del Piombo relégué cependant au milieu de l’auguste galerie. Eh oui, n’est pas Titien qui veut même si on sent chez ce dernier une petite pointe de jalousie de ne pas être l’objet de toutes les attentions de ces agapes touristiques, les visiteurs préférant La Flagellation du Christ d’un Caravage offrant d’émouvantes retrouvailles entre le fils et sa mère avec La Mort de la Vierge, l’une des fiertés du Louvre.

Caravage, La Flagellation du Christ
© Luciano Romano Real Museo e Real Bosco di Capodimonte

Ceux de moindre renommée mais non de qualité inférieure, qui ont pris place en bout de table, ont trouvé des homologues avec qui converser. L’exposition ainsi disséminée dans la Grande Galerie justifie sa pertinence : celle d’offrir un dialogue entre des Ribera, des Preti ou des Apollon et Marsyas notamment d’un Luca Giordano, artiste en vogue de cet été pictural qu’il fallait avoir à sa table. Le visiteur a ainsi le sentiment de revenir dans quelques ateliers napolitains pour découvrir des similitudes, des techniques avant que ces chefs d’œuvre ne s’envolent, à travers les vicissitudes de l’Histoire, de part et d’autre des Alpes. Le Saint Jérôme et l’ange du jugement d’un Ribera figurant un saint au corps vieillissant ou le Saint Nicolas en extase d’un Preti avec ses variations de blancs et de gris méritent assurément le détour. Nous reprendrons bien volontiers un peu de poissons de Giuseppe Recco ou de Parmesan surtout quand celui-ci vous est donné par la magnifique Antea.

Pour autant, il était à prévoir que même les strapontins de ce dîner pictural seraient convoités. Y viendraient s’assoir rois et maréchaux français et notamment le plus napolitain d’entre eux, Joachim Murat dont le portrait équestre d’Antoine Gros, rappelle, après les Farnèse et des Bourbons peints par l’espagnol Anton Raphael Mengs, que Naples fut une cité européenne en même temps qu’une ville monde, tant artistique que politique.

Vient alors le dessert forcément éruptif aux couleurs éclatantes et pimentées à faire rougir Lucrèce ou à draper la Judith d’Artemisia Gentileschi lorsque cette dernière s’apprête à découper ce dernier et non la tête d’Holopherne pour régaler nos yeux et nos papilles. Une magnifique exposition donc à voir et à revoir pour apprécier telle œuvre, tel détail, croiser le regard de Giulio Claro du Greco ou celui, apeuré de l’Abel de Spada. Une exposition pareille à un dîner où la curiosité comme l’appétit s’avèreront forcément insatiables.

Par Laurent Pfaadt

Naples à Paris.
Le Louvre invite le musée de Capodimonte, Musée du Louvre,
jusqu’au 8 janvier 2024

A lire le merveilleux catalogue de l’exposition :

Naples à Paris. Le Louvre invite le musée de Capodimonte, Louvre éditions, Gallimard, 320 p.

Ainsi que les romans d’Erri di Luca regroupés dans Itinéraires, le volume de la collection Quarto de Gallimard