Un requiem allemand

Abbado © Cordula Groth
Abbado © Cordula Groth

Dernier concert de Claudio Abbado à la tête des Berliner Philharmoniker. Emouvant

 

Il y a deux ans, le 20 janvier 2014, disparaissait l’un des plus grands chefs d’orchestre du XXe siècle. En mai 2013, il donnait son dernier concert à la tête de l’orchestre philharmonique de Berlin qu’il dirigea entre 1989 et 2002. Le programme de ce dernier concert proposait Mendelssohn et Berlioz. Il est aujourd’hui possible de revivre ce moment historique grâce au très beau coffret publié par le label de l’orchestre.

Dans le Songe d’une nuit d’été de Félix Mendelssohn, on retrouve l’orchestre philharmonique de Berlin au meilleur de sa forme tel que l’a façonné Abbado : aérien tout en assumant son caractère
germanique. Avec un tempo assez lent, le chef dissèque méticuleusement le son en faisant ressortir tantôt les cordes, tantôt les vents. L’harmonie est ainsi parfaite et l’œuvre résonne comme un cristal
lumineux. Comme dans un orchestre de chambre, il se dégage un
sentiment d’écoute partagée.

La symphonie fantastique d’Hector Berlioz est encore plus belle. Rayonnante de douceur et de volupté, Abbado étire le tempo jusqu’à la rupture. Cette symphonie qu’Abbado ne donna jamais avec les Berliner avant ce concert prend ainsi l’aspect d’un conte hors du temps où le maestro joue habilement avec chaque famille
d’instruments. L’auditeur perçoit immédiatement l’incroyable
autonomie de l’orchestre qui fonctionnait selon le violoncelliste
Ludwig Quandt comme « un organisme ». Le chef laisse pleinement s’exprimer les bois qui structurent l’œuvre et lui donnent ce caractère bucolique. Il faut dire qu’ils sont portés par un Emmanuel Pahud et un Albrecht Mayer au sommet de leur art notamment dans la Scène aux champs. Les cuivres sont également très inspirés et surtout n’écrasent pas l’œuvre tandis que les cordes virevoltent, imprimant notamment dans le songe d’une nuit du Sabbat, un caractère fantastique dénué de peur, loin des interprétations qui martèlent l’arrivée du diable. On dirait la symphonie fantastique expliquée aux enfants.

A travers cette interprétation, témoignage de ce chef d’orchestre au soir de sa vie, Claudio Abbado remet ainsi son art entre les mains d’une jeunesse qu’il a toujours encouragé, notamment dans la formation de nombreux orchestres de jeunes. Le DVD qui accompagne ce coffret permet de s’en rendre compte. Le chef y est particulièrement touchant. On y voit le maestro le visage émacié mais l’œil toujours alerte et plein de vie dirigeant cet orchestre avec cette même élégance qui le caractérisait tout en se mettant au service de l’œuvre. « J’ai le sentiment qu’avec lui, plus qu’avec aucun autre chef, j’aurais pu dépasser mes limites » affirme la harpiste Marie-Pierre Lamglamet qui résume bien cette relation basée sur la confiance qu’entretenait
Abbado avec « ses » Berliner.

Ce coffret constitue ainsi un magnifique testament sonore de l’un des plus grands chefs du 20e siècle à la tête de l’orchestre le plus prestigieux de la planète. Il exprime avec force la volonté de cet homme qui consacra sa vie à transmettre aux autres son amour de la musique et aimait à répéter qu’ « écouter est plus important que
parler »
.

Berliner Philharmoniker – Claudio Abbado – The Last Concert, Berliner Philharmoniker Recordings, 2015

Laurent Pfaadt