Une nation de saints et de martyrs

Plusieurs ouvrages reviennent sur la construction de la nation hongroise

Budapest

De quoi la Hongrie est-elle le nom ? D’un royaume de magyars
établi au Moyen-Age ? D’une partie de l’empire des Habsbourg
devenu en 1867 austro-hongrois ? D’un satellite progressiste de
l’Union soviétique ? D’un archétype de démocratie illibérale ?

« Un pays qui se complaît dans la nostalgie d’avoir été grand » écrit
Catherine Horel, grande spécialiste de la Hongrie, dans son nouvel ouvrage fort éclairant. Ce qu’elle fut assurément. D’emblée, il faut
reconnaître que la Hongrie, à l’instar de la France, possède une
histoire millénaire. D’où cette notion de grandeur. D’ailleurs, c’est à
la même époque, celle où Hughes Capet devint le premier capétien à
monter sur le trône de ce qui n’était pas encore la France, c’est-à-
dire vers l’an mille, que les premières bases de l’état hongrois furent
jetées après l’apparition du terme même de Hongrois, un siècle
auparavant. Grand car choisi par Dieu, ce qui conditionne tout et
ouvre l’histoire d’une nation qui va s’échafauder autour de héros,
surtout de rois, de saints et de martyrs. Et en premier lieu avec
Etienne, ce roi devenu saint grâce au soutien de l’église catholique.
Sur cette terre où l’origine des Hongrois reste encore sujette à
discussion, le culte des saints rois – Etienne puis Emeric et Ladislas –
sert ainsi de ciment à l’édification d’une cathédrale mémorielle. La
formidable somme d’érudition coordonnée par Marie-Madeleine de
Cevins et réunissant 96 chercheurs venus de dix-sept pays ne dit pas
autre chose. Après une première partie en forme d’essai collectif, la
seconde, brillant dictionnaire, définit ainsi ce roi : « la figure d’Etienne
comme fondateur de l’Etat et de l’Eglise de Hongrie est devenue une pièce
maîtresse de la légitimation du pouvoir étatique, ainsi que de la
construction de l’identité nationale hongroise ».

Les bases étant jetées, les divers auteurs déroulent l’évolution de la
nation hongroise, toujours placée sous cette trinité : royauté, saints
et martyrs. La royauté avec la succession des dynasties, des Arpad et
Luxembourg aux Habsbourg en passant par le roi Matthias Corvin
qui fonda la première bibliothèque princière d’esprit Renaissance au
nord des Alpes réunissant jusqu’à 2000 volumes. Les « saints » qui
oscillèrent entre religion catholique et protestantisme, elle-même
divisée en une nouvelle dichotomie, les partisans des Habsbourg
fidèles au catholicisme et les protestants inscrits dans une Réforme
dont les idées véhiculées très tôt par l’imprimerie contribuèrent à
façonner les oppositions futures, au XVIIIe d’abord puis surtout
entre 1848 et 1867, date du compromis austro-hongrois. « Le
protestantisme a énormément contribué à la formation de la nation
hongroise, à la naissance des sentiments nationaux. Jusqu’à la fin de la
seconde guerre mondiale, les églises protestantes ont été animées par des
tendances anti-monarchiques et patriotiques » affirme ainsi János
Havasi ancien journaliste à la télévision hongroise et diplomate,
ayant notamment été entre 2015 et 2019, directeur de l’institut
hongrois de Paris.

Les martyrs enfin qui jalonnent la construction de la nation
hongroise et servent régulièrement à renforcer l’identité du pays.
Les chrétiens face aux Ottomans à partir du XIVe siècle, les nobles
rebelles contre les Habsbourg lors du printemps des peuples de
1848, les morts de la Première guerre mondiale sacrifiés sur l’autel
du traité de Trianon le 4 juin 1920, les communistes progressistes
autour de la figure d’Imre Nagy face aux Soviétiques en 1956 et
enfin les discours de Viktor Orban à l’encontre de l’Union
européenne. Catherine Horel explique ainsi parfaitement le
tournant de 1918-1920, véritable césure dans l’histoire de la
Hongrie. Si cette dernière accède enfin à une indépendance tant
revendiquée, elle l’obtint au prix de l’amputation d’une partie de son
territoire, plantant ainsi les germes d’une contre-révolution
autoritaire incarnée par l’amiral Horthy qui fustigea les « ennemis
intérieurs » notamment la classe politique et les juifs et dont on sait
où elle mena. Mais surtout elle brouilla pour longtemps la frontière
séparant héros et martyrs. De quoi alimenter un peu plus le débat.

Par Laurent Pfaadt

Catherine Horel, Histoire de la nation hongroise, Des premiers
Magyars à Viktor Orban,

Chez Tallandier, 384 p.
https://www.tallandier.com/livre/histoire-de-la-nation-hongroise/

Démystifier l’Europe centrale, Bohème, Hongrie et Pologne du VIIe
au XVIe siècle, sous la direction de Marie-Madeleine de Cevins,

Passés composés, 996 p.