Une vie d’acteur

Des plateaux de cinéma à la présidence des Etats-Unis, le destin fou de Ronald Reagan.

©getty images
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On aura beau dire ce que l’on veut mais il n’y a qu’aux Etats-Unis que ce genre de destin est possible. En tout cas dans une démocratie. Car l’histoire de ce fils de commerçant a quelque chose d’une success story que même le meilleur des scénaristes d’Hollywood n’aurait pu imaginer. Et pourtant, cette destinée exista bel et bien comme le démontre l’excellente biographie de Françoise Coste consacrée au 40e président des Etats-Unis.

Rien ne prédestinait ce garçon croyant et doté d’une bonté naturelle à devenir l’un des hommes les plus importants du XXe siècle. A l’heure où nombre de ses contemporains entrent dans les meilleures écoles du pays et occupent les plus hautes fonctions dans les administrations, Ronald Wilson Reagan est à 28 ans, assistant du procureur de New York…au cinéma. L’auteur explique parfaitement la construction intellectuelle et idéologique de ce démocrate libéral qui, lentement, glissa progressivement vers l’aile conservatrice des démocrates puis vers les républicains et vers cette nouvelle droite américaine. Après deux tentatives, Reagan fut finalement investi par les Républicains en 1980 pour affonter le président Jimmy Carter.

Françoise Coste montre à merveille que la victoire de Reagan, loin d’être un accident de l’histoire, est au contraire le reflet d’une Amérique qui se berce d’illusions sur sa puissance perdue. La thématique du déclin est d’ailleurs omniprésente dans le message présidentiel. « Le réconfort que Reagan trouvait à travestir le réel correspondait à ce dont ils (les Américains) avaient profondément besoin : un sentiment de simplicité et d’optimisme » écrit à juste titre l’auteur. L’acteur n’était d’ailleurs jamais bien loin puisque Reagan, en enrobant ses actions d’idéologie et de ressenti, parvint à faire illusion sur sa politique.

Si l’homme joua les seconds rôles au cinéma, sur les scènes internationale et intérieure, Ronald Reagan fut un acteur de premier plan, fossoyeur de l’Union soviétique et grand défenseur d’une Amérique des riches. Le livre n’omet rien du coût social et budgétaire de sa politique économique et fiscale influencée par Arthur Laffer, ni de sa relation avec l’Union soviétique entre « l’Empire du Mal » et le duo qu’il forma avec Gorbatchev. Plus intéressant et moins connu est la plongée que nous offre l’auteur dans les arcanes de la Maison-Blanche où les clans s’entre-déchirent et où la communication règne en maîtresse. Celle-ci, sous la houlette de Michael Deaver, consista à isoler le plus possible le président de la presse pour le préserver de ses gaffes tout en monopolisant l’image avec notamment ses fameux photos op, ces clichés permettant de construire une histoire présidentielle. Encore aujourd’hui, la communication de cette époque est citée en modèle.

Mais sa présidence fut également marquée par l’affaire Iran-Contra – le financement de la contre-révolution au Nicaragua par la vente illégale d’armes à l’Iran– dont le paroxysme fut atteint lors du « mensis horribilis » de novembre 1986 et dont Reagan parvint jusqu’au bout à dissimuler son degré d’implication. C’est peut-être à cette occasion qu’il joua le rôle de sa vie, entre Ubu Roi et Usual Suspects. A Oliver North, l’homme-orchestre du scandale à la Maison Blanche, Reagan déclara au moment de le congédier : « Ollie, vous êtes un héros national, votre vie ferait un superbe film ».

On ne change pas sa nature.

Françoise Coste, Ronald Reagan, Perrin, 2015.

Laurent Pfaadt