Nemanja Radulović

Les 4 et 5 avril derniers, dans une salle Érasme archi-comble, l’OPS proposait un programme fort attractif, associant Ravel et Tchaïkovski. Placé sous la conduite de son directeur Aziz Shokhakimov, l’orchestre accueillait le jeune et talentueux violoniste franco-serbe, Nemanja Radulovic, qui commençait ainsi sa résidence à Strasbourg.


Nemanja Radulović
copyright : Grégory Massat

Né en 1985, titulaire de très nombreuses distinctions, enregistrant pour Warner et Deutsche Gramophone, se produisant sur scène dans une apparence gothique et avec une présence très physique, Nemanja Radulovic nous aura fait entendre un concerto pour violon de Tchaïkovski, sortant vraiment des sentiers battus. Avec une technique hors pair et une sonorité magnifique, il en proposa une interprétation très engagée et intensément vivante, prenant parfois le risque de fragmenter le discours avec des ralentis extrêmes et des accélérations impressionnantes, assortis de legato d’une grande beauté, mais aussi de staccato de la plus grande virtuosité. En dépit de tous ces micro-évènements mis ainsi en avant, le résultat s’avère des plus convaincants et la grande ligne de l’oeuvre parfaitement cohérente, dans une ambiance prenante et enthousiasmante, mettant la salle en joie. Il faut dire aussi que Shokhakimov et l’orchestre, de toute évidence séduits par l’imagination et la liberté du violoniste, lui ont offert un écrin orchestral en parfaite harmonie. Radulovic a enregistré, il y a déjà sept ans, une belle version de ce concerto ; mais sa prestation strasbourgeoise nous a paru encore plus inspirée. On peut aussi écouter sa remarquable version du concerto pour violon de Beethoven qu’il dirige lui-même depuis son violon. Nombre de grands violonistes actuels se complaisent dans une esthétique souvent froide et marboréenne, parfois capricieuse et arbitraire. On est d’autant plus saisi par un tel jeu, libre et vivant, néanmoins très cohérent. Le dimanche 21 avril, Radulovic, avec le concours de Charlotte Juillard et d’un petit groupe de musiciens de l’OPS donnera, à la Cité de la Musique, un concert entièrement consacré à J.S.Bach.

Depuis les trois ans qu’il est en poste à Strasbourg, les quelques incursions d’Aziz Shokhakimov dans le répertoire français ne m’ont guère paru convaincantes. Que ce soit dans Bizet ou dans Debussy, la texture sonore s’avère souvent massive, assortie d’une respiration manquant de naturel. Aussi étions-nous curieux de l’entendre dans Ravel et heureux de constater que ce compositeur lui sied bien davantage. Ainsi nous eûmes, en début de concert, un Alborada del gracioso parfaitement ciselé et riche en timbres. Composée entre 1909 et 1911 à la demande de Serge Diaghilev, la symphonie chorégraphique pour choeur et orchestre Daphnis et Chloé, longue d’environ une heure, concluait la soirée. Inspiré du roman grec de Longus (3è s.) mettant en scène la rivalité de deux jeunes bergers pour la belle Chloé et les diverses aventures qui en résultent, ce chef d’oeuvre de Ravel livre sans doute sa plus belle orchestration. De sa discographie, évidemment abondante, se dégagent tout particulièrement la vision impressionniste de Pierre Monteux, celles très poétiques d’André Cluytens et Claudio Abbado, celle particulièrement animée de Charles Münch, enfin, aux allures plus expressionnistes, les deux remarquables versions laissées par Pierre Boulez. L’excellente prestation de Shokhakimov s’inscrit plutôt dans ce registre expressionniste. Ainsi abordée, le début de l’oeuvre et son puissant crescendo orchestral et choral offrent de singulières analogies avec celui de l’opéra de Karol Szymanowski, Le Roi Roger, au demeurant postérieur d’une dizaine d’années. Toujours dans cette optique, des passages comme la Danse grotesque de Dorcon (le rival de Daphnis tentant maladroitement de séduire Chloé) ou encore la Danse guerrière (celle des pirates ayant enlevé Chloé, jetant Daphnis dans le désespoir) et, bien sûr, la Bacchanale festive qui clôture l’oeuvre furent des moments particulièrement réussis, l’orchestre brillant de tous ses feux. En revanche, on a entendu atmosphère plus mystérieuse et poétique dans l’éveil des nymphes allant réanimer Daphnis évanoui, ou encore dans le célèbre Lever du jour sur lequel s’ouvre la troisième partie. Mais, dans son ensemble, cette prestation du Daphnis de Ravel fut un très beau moment, dont la réussite incombe aussi au Choeur Philharmonique, fort bien préparé par Catherine Bolzinger.

Michel Le Gris