Le livre du mois

LénineRobert Service, Lénine

Avec Staline et Trotski, Lénine est la
troisième grande figure du
communisme. Inspirateur de l’une
des plus grandes révolutions de
l’histoire de l’humanité, il reste celui
par qui tout a commencé. C’est ce
qu’a bien compris Robert Service,
enseignant à l’université d’Oxford
dans cette biographie qui devrait
constituer l’une des références
majeures du personnage.

Ayant eu accès aux archives du Parti communisme et plus
particulièrement au « dossier Lénine », Robert Service jette une
nouvelle lumière sur celui qu’on a bien souvent opposé à la
brutalité de Staline dans un jeu de miroir hagiographique. Ce que
nous dit Service à bien des égards c’est que Staline trouva en
Lénine plus qu’un maître à penser. Si Staline fut un voyou, Lénine
apparaît plutôt comme un idéologue intransigeant agissant au gré
des évènements. Au final, tous les chemins mènent à la dictature
du prolétariat…

Laurent Pfaadt

Perrin (coll. Tempus)

Le CD du mois

Nozze di FigaroMozart, Le nozze di
Figaro

Poursuivant son
travail entamé
avec le Chamber
Orchestra of
Europe dans Don
Giovanni
, Cosi Fan
Tutte
et
l’Enlèvement au
Sérail
, le chef
canadien Yannick
Séguet-Séguin
revient cette fois-ci avec les noces de Figaro. Pétillant, plein de
vie, l’opéra est une fois de plus réinventé et transcendé.

Grâce à une interprétation réalisée comme les précédentes en
live à Baden-Baden par un orchestre qui a su préserver sa
dimension chambriste qui convient aisément à l’opéra et à ses
rebondissements rythmiques et à un casting somptueux, on
éprouve un plaisir non dissimulé à vibrer au son des voix de
Thomas Hampson (Conte), Sonya Yoncheva impériale et inventive
en Contessa, Anne Sofie von Otter (Marcellina) et Rolando
Villazon (Basilio), de retour au plus hiveau.

Les surprises viennent indiscutablement de Christiane Karg,
sublime Susanna, et d’Angela Brower qui campe un Chérubin
exalté et confirme l’attention portée aux rôles secondaires de
cette série mozartienne qui devrait faire date.

Laurent Pfaadt

Deutsche Grammophon

Le livre du mois

LithiumAurélien Gougaud, Lithium

Lithium c’est la rencontre entre Il
et Elle dans ce Paris du XXIe
siècle. Mais plus encore, Lithium
constitue le destin commun de
deux êtres au bord du gouffre,
enfermés dans cette mégalopole
moderne où la superficialité et la
fuite en avant se disputent le
leadership. Lithium, cet élément
chimique sensé soigner les
troubles bipolaires est devenu la
patrie de nos deux héros et de leurs milliers de semblables, ces bipolaires sociaux.

On y croise des ambiances qui vont du Loup de Wall Street à
Requiem for a dream où nos héros, entre drogue, sexe et argent
s’interrogent sur leur place dans cette société mondialisée,
aliénante et qui bien souvent atomise les individus qui cherchent
leur salut dans le divertissement.

Lithium d’Aurélien Gougaud devrait faire parler de lui lors de cette
rentrée littéraire. Il contient en effet de belles promesses, celles
d’une jeunesse qui se cherche et d’un écrivain qui s’est trouvé.

Laurent Pfaadt

Chez Albin Michel

 

 

En charmante compagnie

ColtmanHugh Coltman et Jamie Cullum
étaient à l’affiche d’un incroyable
concert

Jazz in Marciac, c’est des
découvertes et des redécouvertes.
La soirée du 13 août 2016 résuma à
elle seule cette atmosphère qui
constitue la richesse incomparable de ce festival. Si les
spectateurs étaient venus en grande partie pour Jamie Cullum,
star planétaire et illustre représentant de la nouvelle génération
du jazz, ils ont été bien inspirés d’assister au premier concert du
chapiteau, celui de Hugh Coltman. Peu connu en dehors des
puristes, le britannique qui vit en France et se produit avec son
groupe de blues, The Hoax, était à Marciac pour un concert en
hommage à Nat King Cole.

Sa voix de crooner a immédiatement fait mouche. Plus habitué à
l’entendre sur BBKing, Coltman qui rappelle que son amour de
Nat King Cole lui est venu de sa mère à qui il a dédié la chanson
Morning Star, issue de l’album St Louis Blues en 1958, a réussi à
polir sa voix traditionnellement rocailleuse pour entonner les
titres de son dernier album solo, Shadows – Songs of Nat King Cole.
Dans un exquis mélange de grands classiques tels que l’inévitable
Mona Lisa sorti à l’été 1950 et de petites perles, Coltman a offert
un magnifique concert brûlant de passion et d’intimité
frissonnante. Il faut dire qu’il était accompagné de musiciens hors
pair notamment Thomas Naim à la guitare avec son faux air de
Clapton ou Bojan Z, victoire du jazz 2007, une fois de plus
incroyable au piano.

Mais avec Coltman, le blues n’est jamais bien loin et accompagné
de son harmonica, il n’a pas hésité à revisiter certains standards
du crooner de Montgomery ou à faire quelques infidélités à ce
dernier en allant du côté de Johnny « Guitar » Watson.

Quelques instants plus tard, le phénomène Jamie Cullum est
arrivé sur scène. Cullum revient avec autant de plaisir à Marciac
et cela se voit. Avec son énergie phénoménale, il a immédiatement
séduit le public. Avec ses musiciens de talent, il a entonné ses
grands tubes comme What a difference a day made, All At Sea. Mais
le concert fut également l’occasion de réécouter quelques tubes
qu’il a revisité comme Don’t Stop The Music de Rihanna (The
Pursuit, 2009), Amazing Grace, ou des titres plus anciens tels
qu’High and Dry (Pointless Nostalgic, 2002)

Les spectateurs furent immédiatement conquis devant cet
homme-instrument qui n’a pas hésité à jouer des percussions avec
son piano ou a ponctué ses morceaux de beatbox. Et entre deux
morceaux, il a communié comme d’habitude avec ce public qu’il
aime tant en usant de son charme et de son humour so british
notamment lorsqu’il s’est agi de s’excuser du Brexit. Ainsi, avec
plus de 250 000 personnes, le festival Jazz in Marciac a, une fois
de plus, fait honneur à sa réputation de meilleur festival de jazz de
l’hexagone. En attendant, la 40e édition, l’an prochain, qui
s’annonce déjà d’ores et déjà grandiose…

Laurent Pfaadt

Nouvelle saison, nouvelles sensations

© photo: Wade Zimmermann
© photo: Wade Zimmermann

La saison 2016-
2017 de la
Philharmonie du
Luxembourg
s’annonce une
nouvelle fois
palpitante 

On pense toujours
avoir tout vu à
Luxembourg. Et
puis, à chaque fois, d’année en année, l’orchestre philharmonique et sa merveilleuse
salle nous surprend, nous éblouis. Et cette nouvelle saison qui
démarre sur les chapeaux de roue avec rien de moins que l’une
des belles voix du monde, celle de la soprano colorature Diana
Damrau et l’une des plus illustres baguettes, celle du prochain
directeur musical des Berliner Philharmoniker, le russe Kirill
Petrenko, venu pour l’occasion accompagnée de la Bayerisches
Staatsorchester, ne devrait pas faire exception à la règle.

Comme d’habitude, il sera question de grands chefs (Riccardo
Chailly, Yannick Nézet-Séguin, John Eliot Gardiner, Valéry
Gergiev, Daniel Harding ou Sir Simon Rattle) et  – incroyable luxe –
les mélomanes pourront même comparer en février et en juin
2017 les directions mahlériennes de Gustavo Dudamel et de
Mariss Jansons à la tête du Symphonieorchester des Bayerischen
Rundfunks. Et si l’envie venait à leur prendre de changer de style,
ils n’auront que l’embarras du choix, avec le New York
Philharmonic, le Wiener Philharmoniker, le London Symphony
Orchestra ou les Arts Florissants de William Christie. Côté
répertoire, il y en aura pour tous les goûts. Ceux qui aiment
Mozart se régaleront devant Maria Joao Pires ou Nicolas Znaider.
Pour ceux qui préfèrent Beethoven, leurs rendez-vous
s’appelleront Joshua Bell qui dirigera l’Academy of St Martin-in-
the-Fields dans la sixième symphonie, Rudolf Buchbinder ou Jan
Lisiecki dans le cinquième concerto. Les amateurs de musique
russe retrouveront les deux grands solistes russes, Danill Trifonov
ou Denis Matsuev dans les deuxième et troisième concertos de
Rachmaninov et l’incomparable Patricia Kopatchinskaja dans le
célèbre concerto pour violon de Tchaïkovski tandis que les
amoureux d’opéra écouteront avec délice les voix sublimes de
Cécilia Bartoli, José Cura ou Thomas Hampson.

Toutes ces merveilles en feraient presque oublier l’orchestre
résident. Après une première saison très réussie, le nouveau chef
Gustavo Gimeno conduira une fois de plus l’orchestre
philharmonique du Luxembourg dans des contrées familières
mais également inexplorées. Accompagnée de la violoniste Janine
Jansen, artiste en résidence 2016-2017, il s’aventurera dans le
concerto à la mémoire d’un ange d’Alban Berg, dans la cinquième
symphonie de Nielsen ou laissera filer ses violoncelles aux bords
des abysses de Sofia Gubaidulina pour mieux retrouver les
rivages bien connus des septièmes symphonies de Bruckner et de
Beethoven, du Sacre du printemps ou de Ravel.

Cette saison sera également l’occasion de nouveaux voyages
autour du monde en compagnie du Brésil de Marya Andrade, de
l’Inde d’Anoushka Shankar, du bassin méditerranéen avec le
Concert des Nations de Jordi Savall et de l’univers tout particulier
d’Avishaï Cohen. Enfin, après les rêves mégalomaniaques de John
Malkovich, les apprentis-Dieu de 2001 : l’odyssée de l’espace et le
saxophone de Wayne Shorter, il n’y aura qu’une seul chose à faire
pour se remettre de ces émotions : le yoga, accompagné d’un
duduk, d’un violoncelle ou d’une harpe !

Laurent Pfaadt

Retrouvez toute la programmation de la Philharmonie sur : https://www.philharmonie.lu/fr/

Le charme du piano, seul ou à deux

BuduLe label suisse
Claves met à
l’honneur des
pianistes
incroyables

Les Préludes de
Chopin sont un
peu le passage
obligé de tout pianiste qui veut faire carrière à l’image d’un Pollini,
d’une Argerich ou d’un Blechacz. Ces vingt-quatre pièces restent,
près de 180 ans après leur création, toujours aussi magiques et
constituent un étalon de la virtuosité et de la sensibilité d’un
pianiste amené à rester dans l’histoire de la musique. Et à ce petit
jeu, le pianiste brésilien, Cristian Budu, vainqueur du concours
international de piano Clara Haskil en 2013, qui a consacré
notamment Christoph Eschenbach ou le prodige coréen Sunwook
Kim, s’en tire avec les honneurs.

Les Préludes de Budu sont pleines de couleurs. Tantôt ondoyantes
notamment les 3e, 5e et 16e, ces pièces témoignent d’une vitalité
et d’une énergie faîtes de rythme et de maîtrise. Grâce à son
talent incroyable, Cristian Budu adapte en permanence cette
formidable énergie comme par exemple lorsqu’elle devient si
sensible dans le 15e prélude. Il y a quelque chose de si charmant à
se laisser embarquer par Cristian Budu que l’on ne résiste pas
longtemps. Au 24e et dernier prélude, véritable chef d’œuvre
d’interprétation, on entend parfois l’écho du légendaire Claudio
Arrau à Prague en 1960. Le disque est complété par les bagatelles
de Beethoven qui sont merveilleusement pétillantes.

Dans un style différent, le duo Françoise-Green régale nos
oreilles avec leur nouveau disque consacré à Bach, Schubert et
surtout Kurtag. Antoine Françoise et Robin Green, qui
enchantent depuis plusieurs années de nombreux festivals,
possèdent un style vraiment particulier et où la complicité est le
maître-mot. Avec eux, on oublie que l’art du piano est trop
souvent considéré comme un exercice solitaire. Leur complicité
est immédiatement perceptible et se transmet aux auditeurs.
Avec Bach, on reste dans le classicisme le plus absolu, sans
fioriture mais sans pour autant être mécanique.

Ce qui est particulièrement appréciable chez eux, c’est leur
approche de la musique de Kurtag. Celle-ci qui peut parfois
paraître hermétique est ici traitée avec douceur. Sous les doigts
des deux pianistes, pas de brutalité dans les sonorités mais au
contraire, une complicité étonnante, joyeuse et légère qui
donnent à ces Jeux, ces Jatélok du compositeur hongrois qui
évoquent l’enfance, une fluidité agréable.

Cette douceur est également perceptible dans la Fantasie en fa
mineur pour quatre mains. Leurs interprètes ont su à merveille
restituer cet amour caché du compositeur envers la comtesse
Caroline Esterházy dont Schubert était secrètement amoureux.

Laurent Pfaadt

Cristian Budu, Chopin & Beethoven, Claves records, 2016

Françoise-Green piano duo, Games, Chorales & Fantasy, the music of Kurtag, Bach and Schubert, Claves records, 2016

Les métamorphoses d’un orchestre

JochumL’orchestre symphonique de Bamberg fête ses 70 ans

Il y a deux catégories
d’orchestre : les grands
orchestres, prestigieux avec
une longue histoire derrière
eux, et les orchestres de
province. Entre les deux
subsistent encore quelques
ovnis musicaux dont fait
assurément partie l’orchestre
symphonique de Bamberg. Un ovni transnational parce que bien qu’allemand, l’orchestre tire son identité de cette
musicalité tchèque qui a prévalu à sa création.

En 1946 naquit l’orchestre symphonique de Bamberg sur les
ruines de l’orchestre philharmonique allemand de Prague dans
une Tchécoslovaquie qui comportait une minorité allemande
importante. Le chef d’alors, Joseph Keilberth, aujourd’hui
injustement oublié, présida à sa création et à sa consolidation à
partir de 1950. Le formidable coffret édité par Deutsche
Grammophon permet aujourd’hui  d’entendre ces témoignages
musicaux uniques de l’ancêtre de l’orchestre symphonique de
Bamberg. Kleiberth inscrivit pleinement l’orchestre dans le
répertoire symphonique allemand, dans Beethoven notamment,
créant ainsi cette identité unique qui colore l’orchestre et où le
folklore d’un Dvorak croise l’académisme du maître de Bonn.
L’arrivée d’Eugen Jochum en 1968 dont le frère avait déjà dirigé
l’orchestre entre 1948 et 1950 marqua un tournant puisque le
chef affirma un peu plus cette identité germanique autour du
romantisme tardif de Bruckner. Les deux frères qui partagèrent
cette même passion brucknérienne insufflèrent à l’orchestre un
son particulier en revenant notamment aux versions originales du
génie d’Ansfelden. Quelques grands chefs brucknériens comme
Günter Wand, Rudolf Kempe ou Herbert Blomstedt, nommé chef
honoraire de l’orchestre, y trouvèrent ensuite magnifique gant à
leur baguette de velours ou de fer.

1973 constitua un nouveau tournant pour l’orchestre lorsque le
remplaçant d’Eugen Jochum, Istvan Kertesz, brillante étoile de la
direction d’orchestre, trouva la mort en Israël. Lentement,
Bamberg s’enfonça alors dans une routine, dépassé par d’autres
orchestres.

Il fallut attendre un quart de siècle jusqu’à l’arrivée d’un
britannique, Jonathan Nott, pour voir l’orchestre renaître de ses
cendres. Sans prétention, Nott redressa lentement l’orchestre
jusqu’à l’inscrire à nouveau au sommet de l’Europe musicale en
reprenant à la fois cette tradition du romantisme tardif avec
Mahler notamment dont il réalisa plusieurs gravures de référence
mais également en s’appropriant le répertoire contemporain. Il
créa ainsi des œuvres de Bruno Mantovani, de Wolfgang Rihm et
de Jörg Widmann, certainement l’un des compositeurs les plus
talentueux de sa génération, qui a été, ces deux dernières années,
en résidence à Bamberg.

Le départ de Nott vers la Suisse et l’arrivée du jeune et talentueux
Jakob Hrusa ouvre une nouvelle période dans la vie de
l’orchestre. La nouvelle programmation laisse entrevoir une
fidélité à cette tradition germano-tchèque consubstantielle à
l’orchestre et en même temps offre un clin d’œil malicieux à
l’histoire de la musique dans laquelle l’orchestre de Bamberg a
définitivement pris toute sa place.

Laurent Pfaadt

Retrouver toute la programmation de la saison 2016-2017 sur :

https://www.bamberger-symphoniker.de/

A écouter : Bamberg Symphony – The First 70 Years, Deutsche Grammophon (17 CD)

A lire : Andreas Herzau, Nora Gomringer, Bamberg Symphony, Hatje Cantz, 2016