Une bibliothèque pleine de voitures

L’écrivain Gérard de Cortanze raconte avec passion l’histoire de l’automobile 

Chez les Cortanze, littérature et automobile ont toujours fait bon ménage. Et des rallyes de Monte-Carlo que disputa Charles au prix Renaudot que remporta Gérard en 2002, l’histoire se traverse en voiture et à toute allure. Son dernier livre permet ainsi de choisir sa monture parmi cent modèles afin de parcourir cette histoire de l’automobile mais surtout sa propre histoire. 


Alors retournons dans la bibliothèque de l’écrivain pour emprunter le juste bolide. Sur les rayonnages se trouvent ces voitures cachées dans les livres qui, non seulement, se dévoilent sous nos yeux mais disent aussi quelque chose de l’écrivain.

Il y a cette Delahaye 135 qu’admira aux 24h du Mans en 1938, une Violette Morris victorieuse du Bol d’or automobile en 1927 avant de basculer dans la collaboration à qui l’auteur consacra l’un de ses plus beaux livres, Violette Morris, la femme qui court (Albin Michel, 2019). Il y a cette Jeep Willys avec une Martha Gellhorn (Le roman de Hemingway, Le Rocher, 2011) déployant sa magnifique chevelure blonde en retirant son casque au moment d’entrer dans le camp de Dachau avec les Américains. Cette Renault 4 CV, cette « voiture optimiste » tirée de son Dictionnaire amoureux des sixties (Plon, 2018), une voiture qui « est en soit un roman » et dont la fabrication s’acheva en 1961. Et évidemment l’Alpine 110 Renault, « fille émancipée de la Renault 8 Gordini et de la R8 Major », la marque du cousin André. Enfin, ces Ferrari F355 ou F40, Lamborghini Diablo ou Maserati Quattroporte qu’auraient certainement conduit les Vice-rois s’ils avaient vécu à notre époque.

D’autres voitures apparaissent au fil des pages. Les Américaines rivalisent avec les Allemandes et les Japonaises lorsque se dévoilent la Ford Mustang Shelby GT500, la Porsche 911 ou la Nissan Fairlady dans ce magnifique concours de beauté. La course n’est donc jamais bien loin et atavisme oblige, celui qui écrivit sur les 24 h du Mans ne pouvait oublier la Matra Simca MS670 de Pescarolo et Hill (1972) ou la Peugeot 905 victorieuse au Mans il y a trente ans exactement. 

Vous l’aurez compris, ce livre est bien plus qu’une simple succession d’images. Gérard de Cortanze nous offre ici un voyage extraordinaire dans ce vingtième siècle automobile palpitant. A la manière d’un Phileas Fogg effectuant un tour du monde, le lecteur change de voiture selon ses envies et observe une époque, un moment, un morceau d’histoire, grimpant tantôt dans la Rolls-Royce Phantom, tantôt dans un combi Volkswagen, tantôt dans une Citroën XM. Mais surtout à travers ses choix personnels, Gérard de Cortanze nous accompagne dans notre propre album familial, celui de nos vacances et des récits de courses mythiques des repas du dimanche midi. Pour nous dire, que l’on soit passionné ou non d’automobile, qu’il y a toujours eu une voiture pour accompagner notre vie.

Par Laurent Pfaadt

Gérard de Cortanze, Une histoire de l’automobile en cent modèles mythiques
Chez Albin Michel, 240 p.

International Booker Prize

Maryse Condé, favorite de l’International Booker Prize 2023

L’International Booker Prize qui récompense une œuvre de fiction publiée dans une langue étrangère vient de dévoiler ses finalistes. A l’origine attribué tous les deux ans, il est devenu annuel depuis 2016 et a consacré quelques grands noms de la littérature du 20e siècle notamment Ismaël Kadaré, premier récipiendaire en 2005, deux prix Nobel (Alice Munro et Olga Tokarczuk), Philip Roth et l’Israélien David Grossmann. Un seul écrivain de langue française figure au palmarès, le palois David Diop pour son superbe roman Frères d’âmes (Seuil, 2018), sacré en 2021. Et la présence cette année dans les finalistes de deux livres écrits en français témoigne de la vitalité d’une langue française inscrite dans sa diversité.


Cette année, le jury du prix présidé par la romancière Leila Slimani a publié sa short list et la sélection, influencée par l’actualité, assume une subversion qui se décline dans les livres des divers finalistes. Alors qui succèdera cette année à l’indienne Geetanjali Shree et son roman, Ret Samadhi. Au-delà de la frontière, paru il y a deux ans aux éditions des Femmes ?

Maryse Condé, L’évangile du nouveau monde, Buchet/Chastel & Pocket

La Guadeloupéenne, victorieuse du Prix Nobel alternatif en 2018 fera indiscutablement figure de favorite. Elle représentera avec son dernier roman, L’Evangile du nouveau monde, la chance la plus sérieuse de la langue française d’inscrire une nouvelle fois son nom au palmarès. Dans ce roman qui transpose la vie de Jésus dans une Guadeloupe contemporaine, le lecteur suit les aventures de Pascal, jeune métis né d’une mère musulmane puis adopté par une famille chrétienne et propulsé nouveau messie des Antilles. La tâche de ce dernier s’avère particulièrement délicate, surtout dans ce monde contemporain désincarné en mal d’utopies. D’autant plus que notre brave héros n’est pas très motivé pour faire don de sa personne à l’humanité. Les temps ont décidément bien changé. « J’ai imaginé Dieu comme un Guadeloupéen ordinaire qui vaquait à ses occupations quotidiennes comme jouer aux cartes, boire du rhum ou aller à la fosse aux coqs » affirme ainsi Maryse Condé dans le très beau portrait que lui consacra en avril le New York Times. Après En attendant la montée des eaux (JC Lattès, 2010) et Le Fabuleux Destin d’Ivan et Ivanna (JC Lattes, 2021), L’Evangile du Nouveau Monde se veut, à travers ses personnages incroyables, ses anti-héros, critique de ce monde contemporain si tortueux dans lequel nous vivons. Cette histoire est sublimée, une fois de plus, par la prose magnifique et si intelligente d’une Maryse Condé qui nous rappelle que l’amour peut venir à bout de tous les obstacles et qu’il relève, à chaque fois, du divin. Et si l’International Booker Prize annonçait le Nobel ?

Gauz, Debout-payé, Le Nouvel Attila & Le Livre de Poche

Le livre du franco-ivoirien Gauz sera l’autre chance française. Dans Debout-Payé, sacré meilleur premier roman 2014 par le magazine Lire, l’auteur nous relate l’histoire d’Ossiri, un étudiant ivoirien arrivé sans papiers en 1990 et devenu vigile comme son père. Cette saga familiale est le prétexte pour aborder d’autres thèmes tels que le regard de la société française sur ses immigrés ou les relations entre l’Afrique et l’Occident. Avec sa langue piquante, Debout-Payé est aussi un portrait acide de notre société de consommation.

Gueorgui Gospodinov, Le pays du passé, Gallimard

Le très beau roman du bulgare Gueorgui Gospodinov entraîne son lecteur dans une clinique un peu spéciale dirigée par un certain docteur Gaustine. Celle-ci permet à ses patients atteints d’Alzheimer pour la plupart de replonger dans leur passé grâce au décor de chambres inspirées d’une époque favorite de leur vie. Mais la tentation de se replonger dans ses souvenirs peut s’avérer dangereuse surtout quand cette méthode vient à être utilisée par des Etats pour revenir à un passé plus ou moins glorieux. Dans ce livre inclassable à la frontière entre le réel et l’imaginaire, l’auteur, disciple revendiqué du grand Borges, nous propose une réflexion à la fois drôle et glaçante sur la mémoire, le passé et l’utilisation que nous en faisons.

Eva Baltasar, Boulder, Verdier

Dans ce court roman qui a rencontré un beau succès lors de la dernière rentrée littéraire, finaliste du prix des Inrockuptibles 2022, l’écrivain catalane Eva Baltasar suit la cuisinière d’un navire marchand dont la vie est bouleversée par une maternité. Boulder ne souhaitait pas d’enfant mais une histoire d’amour fulgurante, ardente avec une femme rencontrée dans le sud de la Patagonie en a décidé autrement. Ici l’érotisme le plus libéré rivalise avec l’assignation la plus violente sitôt l’amour évaporé. Boulder est ainsi l’histoire d’une femme puissante, d’un granit qui finit par se fissurer avant de se reconsolider. Ce livre, premier roman écrit en catalan à atteindre la finale de ce prix, ne laissera aucun lecteur insensible.

Whale de la sud-coréenne Cheon Myeong-kwan (Europa Editions) et Still Born de la mexicaine Guadalupe Nettel, (Fitzcarraldo Editions), deux ouvrages non traduits en français viennent compléter la liste des finalistes d’un prix qui sera remis le 23 mai prochain.

Par Laurent Pfaadt