Sur le méridien de Greenwich

Un Egyptien vivant à Londres reçoit l’appel d’un ami. Il doit organiser les funérailles d’un compatriote mort dans la capitale britannique, un jeune homme qu’il ne connaît pas mais dont il doit pourtant accompagner les derniers pas dans ce monde. Pendant plusieurs jours, Shady Lewis nous conte cette improbable épopée hors du temps menée par son personnage principal, sorte de Sébastien Brant du monde arabe embarqué dans cette Nef des fous british.


Dans ce roman où le burlesque côtoie le tragique, Shady Lewis évoque ainsi de multiples questions qui structurent nos sociétés modernes : la question des identités multiples dans ce monde uniformisé, celle d’être un musulman dans une société occidentale, celle de devoir lutter contre les préjugés des autres et d’être forcé de les adopter pour ressembler à l’image que les autres se font de vous, celle enfin du manichéisme qui structure nos modes de pensée. Ici le méridien de Greenwich est symbolique et se trouver d’un côté ou de l’autre ne signifie pas la même chose. Les allers-retours entre le présent et le passé du personnage, notamment l’histoire de sa grand-mère conteuse, ajoutent à ce jeu de masques, cette espèce de bal masqué sociétal dont on ne sait plus, avec délice d’ailleurs, ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Mais surtout, Shady Lewis, en utilisant l’arme de l’humour, réussit parfaitement à dépeindre une société britannique qui marche sur la tête après avoir tant vanté ce fameux multiculturalisme qui ne veut plus rien dire aujourd’hui.

Maniant une langue décapante qui joue à merveille avec les codes de l’absurde, Shady Lewis nous conduit à travers les méandres d’une administration et d’une société où les fous ne sont pas forcément ceux qui se trouvent dans les centres psychiatriques.

Par Laurent Pfaadt

Shady Lewis, Sur le méridien de Greenwich, traduit de l’arabe par May Rostom et Sophie Pommier
Chez Actes Sud, 208 p.

La Révolte

L’emprise psychologique qu’exerça le régime soviétique sur les esprits, en URSS mais également dans le monde entier rendait impossible l’idée même de révolte dans le système concentrationnaire soviétique. Il était ainsi inconcevable d’imaginer une telle initiative tant le communisme et son appareil répressif avait fait du légendaire fatalisme russe, l’un des socles de son pouvoir sur les êtres. Au mieux, l’idée de révolte appartenait au domaine des rêves, ceux que l’on oublie, que l’on enfoui de peur d’être trahi par les autres ou par soi-même et d’être expédié au goulag.


Sergueï Soloviev a enfoui ses rêves y compris celui de liberté dans des carnets. Car des carnets, il en a rempli. Des carnets de relevés surtout pour ce jeune topographe des années 1930 propulsé comme des millions de jeunes hommes dans cette grande guerre patriotique. Cette manie de consigner ses rêves aurait pu lui valoir la réputation d’un fou. Comme aux échecs qu’il pratiqua sur l’échiquier du destin où il joua avec les noirs de l’Armée de libération nationale d’un général Vlassov rallié aux Allemands par haine anticommuniste ou avec ceux des morts du camp du Struthof en Alsace où il fut expédié.

De retour en URSS, Soloviev fut broyé par le système et ses sbires du NKVD. Mais Soloviev ne renonça pas. « Je me mis à manger ma soupe en songeant à quel point ces enquêteurs, ces gars baraqués, se ressemblaient tous. Ils affichaient une assurance indéfectible, et pourtant, on lisait aussi dans leurs yeux : Je suis une victime autant que toi, nous sommes dans la même cage, sous la même loupe, dans la même prison » écrit-il. Expédié au goulag de Norilsk en Sibérie, Soloviev allait y jouer son coup de maître avec cette révolte fomentée en 1953, sorte d’épilogue d’un destin irrémédiablement tourné vers la liberté.

Nikolaï Kononov nous raconte tout cela dans ce livre passionnant qui rappelle par bien des aspects le météorologue d’Oliver Rolin. Ecrit à la première personne, l’auteur, journaliste russe ayant collaboré au New York Times ou au magazine Forbes, est « devenu » Soloviev, faisant de ce récit documentaire des mémoires romancées. Il a merveilleusement épousé la personnalité de son héros, ce topographe attaché à la nature, aux paysages, à ses couleurs, à ses variations comme ce vent alsacien qui « ne cessait jamais de hurler ». Ses descriptions de la folie des Allemands et de la réalité du goulag témoignent d’une normalité effrayante. Mais en Alsace comme en Sibérie, le froid et la faim ne parvinrent jamais à le vaincre. Et Kononov de montrer la résilience d’un homme passé à travers les deux totalitarismes du 20e siècle malgré les épreuves, les menaces et la mort toute proche. Un homme qui a su conserver la liberté de dire non, une liberté qu’aucun régime, même le plus répressif du 20e siècle, ne réussit à vaincre.

Par Laurent Pfaadt

Nikolaï Kononov, La Révolte, traduit du russe par Maud Mabillard
Aux éditions Noir sur Blanc, 400 p.

La flèche ardente

Trois successeurs d’Edgar P. Jacobs, le fidèle Jean Van Hamme au scénario qui a ressuscité Blake et Mortimer avec L’affaire Francis Blake, La malédiction des trente deniers ou Le Dernier Espadon, Christian Cailleaux et Etienne Schréder, auteurs des dessins du diptyque consacré au professeur Septimus s’associent pour nous proposer une suite au Rayon U, le premier album de Jacobs paru en 1944. Le trio nous replonge ainsi dans cet univers à la fois préhistorique et futuriste du désormais cultissime Rayon U et dans cette suite où se mêlent une fois de plus à merveille monstres et fiction.


Les Iles noires sont toujours aussi convoitées. L’empereur d’Austradie charge ainsi sa nouvelle créature, le général Robioff, de prendre possession de ces dernières et de mettre la main sur l’uradium qui pourrait lui assurer le pouvoir absolu. Il faut alors toute l’ingéniosité de Lord Calder et de ses compagnons de Norlandie pour contrecarrer les terribles visées de Babylos III.

Les auteurs ont voulu dans cet album en tout point réussi, comme le rappelle Jean Van Hamme, « rester fidèles à l’esprit de Jacobs ». Le scénario de Van Hamme, expert en la matière, est à nouveau parfait avec son lot d’aventures et de rebondissements. Il y a même une forme d’hommage à Jacobs avec notamment la place prise par Adji, le serviteur de Lord Calder qui n’est pas sans rappeler Ahmed Nasir. L’évolution des personnages entre Le Rayon U et La Flèche ardente permet quelques libertés tout en respectant certains codes propres à l’univers du créateur de La Marque jaune comme la position des mains ou la manière de courir qui donnent immédiatement le sentiment d’être dans Jacobs.

Au final, le lecteur prend un plaisir immense à découvrir cette suite passionnante du Rayon U où l’on apprend enfin la véritable nature de ce dernier. « J’avais envie d’apporter une réponse à cette question » poursuit Jean Van Hamme. Donc, n’attendez plus.

Par Laurent Pfaadt

Jean Van Hamme, Christian Cailleaux, Etienne Schréder, La flèche ardente, avant Blake et Mortimer Tome 2 Dargaud, 48 p.

A lire également une nouvelle édition du Rayon U colorisée par Bruno Tatti (Dargaud, 48 p.)

L’appel de Naples

Le Musée Magnin de Dijon consacre une magnifique exposition à la collection De Vito

On pensait le sujet de la peinture italienne du XVIIe siècle épuisé, sans nouveauté. Et voilà qu’arrive pour la première fois en France les chefs d’œuvre de la collection De Vito, du nom de ce magnat italien des télécommunications, Giuseppe De Vito (1924-2015) qui accumula des toiles de maîtres napolitains avant de formaliser cette collection dans une fondation créée en 2011 et qui a aujourd’hui traversé la péninsule et les Alpes pour venir s’installer en Bourgogne.


Jusepe de Ribera – Saint Antoine abbé
© Fondazione De Vito, Vaglia (Firenze)
Photo Claudio Giusti

Et dire que le COVID faillit empêcher les amoureux du Seicento napolitain de contempler ce Ribera, ces Giordano, ces Stanzione ou ces Vaccaro. Il a fallu pour cela toute la passion et l’opiniâtreté de Nadia Bastogi, directrice scientifique de la Fondazione De Vito et de Sophie Harent, conservateur en chef du musée Magnin qui non seulement ont permis l’aboutissement de ce projet inédit tant au niveau des peintres exposés que de la nature de leurs oeuvres avec ces grands formats sortis pour la première fois de leurs écrins italiens.

A l’origine, comme le rappelle une section de l’exposition consacrée à Giuseppe de Vito, il y a un ingénieur, adepte des sciences dures qui se passionna pour la peinture napolitaine du XVIIe siècle. « Ce qui intéressa De Vito, c’est comprendre l’évolution de l’art napolitain » relate ainsi Sophie Parent. Sa rencontre avec le surintendant de Naples, Raffalleo Causa, signa le début de cette aventure artistique et conduisit à la formalisation d’une collection unique aujourd’hui visible par tous. 

A travers ces quarante tableaux répartis en neuf sections et traduisant un cheminement intellectuel et pictural parfaitement cohérent, cette collection montre le caractère précurseur de Giuseppe De Vito, attaché à la redécouverte de peintres oubliés et écrasés par la figure du Caravage notamment Massimo Stanzio ou Andrea Vaccaro. L’exposition s’attarde ainsi sur l’œuvre lumineuse de ce dernier avec notamment sa magnifique Sainte Agathe (vers 1640) et son bleu canard éclatant ou sur cette Judith tenant la tête d’Holopherne (vers 1645) d’un Massimo Stanzio dont le travail sur les étoffes à l’élégance raffinée rappelle le grand Zurbaran. 

Mattia Preti – La Déposition du Christ
© Fondazione De Vito, Vaglia (Firenze)
Photo Claudio Giusti

Malgré deux passages très brefs, Le Caravage marqua profondément de son empreinte la peinture napolitaine. La présence dans la collection De Vito de plusieurs œuvres dont le Saint Jean Baptiste enfant d’un Battistello (vers 1622) ou le Saint Jean Baptiste dans le désert (vers 1630) de Stanzione évoquent cette filiation picturale dominée à Naples par la figure tutélaire d’un Jusepe de Ribera dont le Saint Antoine abbé (1638) semble interpeller le visiteur. Car cette peinture napolitaine du Seicento qui traverse l’exposition dans toutes ses dimensions esthétiques se divisa en deux périodes : celle du ténébrisme des héritiers du Caravage et celle du baroque de la deuxième moitié du XVIIe siècle avec deux grandes figures, Luca Giordano et Mattia Preti. A ce titre, le visiteur restera très certainement pantois devant le regard terrifié et les yeux écarquillés du Saint Jean de la puissante Déposition du Christ d’il Cavaliere Calabrese(vers 1675). Ici la scène semble encore en mouvement tant la charge émotionnelle accentuée par la vue da sotto in su (de dessous vers le haut) est forte avec ce ciel d’orage qui semble contenir une colère divine prête à éclater et un Joseph d’Arimathie ployant sous le poids du Christ. Cette oeuvre « montre la capacité de Preti à mêler précision du mouvement, intensité émotionnelle, sens de la composition et virtuosité décorative » nous rappelle Sophie Harent dans le magnifique catalogue qui accompagne cette exposition à propos d’un tableau qui mérite presque, à lui seul, la visite.

Parfois, l’exposition se mue en une enquête policière dans la salle du fameux Maître de l’annonce aux bergers qui constitua la grande passion de Giuseppe De Vito et dont l’identité reste encore sujette à discussions : s’agit-il d’une seule personne, d’un épigone de Ribera ou de plusieurs mains ? Reste l’incroyable puissance de ses tableaux et notamment ce Rebecca et Eliézer aux puits (vers 1635-1640) montré seulement pour la deuxième fois. Emporté dans cette course effrénée à l’abîme pictural, le visiteur semble submergé devant tant de beautés. Il croyait tout connaître. Il n’a encore rien vu.

Naples pour passion, chefs d’œuvre de la collection De Vito, Musée Magnin, Dijon, jusqu’au 25 juin 2023 puis au musée Granet à Aix-en-Provence à partir du 15 juillet 2023.

Par Laurent Pfaadt

A lire le catalogue accompagnant l’exposition : 

Naples pour passion, chefs d’œuvre de la collection De Vito, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 160 p.

Back to Baku

A la veille d’un nouveau Grand Prix d’Azerbaïdjan, le roi est-il de retour ? Après sa deuxième place à Melbourne, Lewis Hamilton semble n’avoir pas dit son dernier mot. Le champion le plus titré de l’histoire de la F1 – à égalité avec Michael Schumacher – en a vu d’autres. C’est ce que montre le livre de Frédéric Ferret, journaliste à l’Equipe. Sur le circuit urbain de Bakou qu’il avait dompté le 29 avril 2018 face à Raïkkönen et Perez dans une course absolument folle où les Red Bull s’étaient sabordées, Lewis Hamilton mit ce jour-là un coup d’arrêt aux Ferrari et entama sa marche triomphale vers un cinquième sacre. Pourtant, trois ans plus tard, en 2021, sur ce même circuit qui de son propre aveu s’avéra « traumatisant », Hamilton allait perdre en partie son titre de champion du monde…


Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Pourtant, le Britannique était habitué à une certaine routine, celle d’enchaîner les titres avec son équipe Mercedes comme on enfile des perles. Il est pourtant bien loin le temps où ce jeune garçon de treize ans admirait Mika Hakkinen au volant de sa McLaren Mercedes lors de la victoire du pilote finlandais au Grand Prix du Brésil en 1998. Cette même McLaren Mercedes qui allait faire en 2008 de ce surdoué, un des plus jeunes champions du monde.

Vingt ans exactement sépare Interlagos de sa victoire à Bakou. Vingt ans d’une aventure qui débuta en F1 en mars 2007. Il est alors 4e sur la grille de départ du Grand Prix d’Australie. Cinq grands prix plus tard, il remporte sa première victoire au Canada, l’une de ses plus belles selon l’auteur, avant de lutter jusqu’au bout face à un Kimi Raïkkönen sur Ferrari qui ne le devança que d’un petit point.

(L to R): Valtteri Bottas (FIN) Mercedes AMG F1 on the podium with team mate and race winner Lewis Hamilton (GBR) Mercedes AMG F1. 13.09.2020. Formula 1 World Championship, Rd 9, Tuscan Grand Prix, Mugello, Italy, Race Day. – www.xpbimages.com, EMail: requests@xpbimages.com © Copyright: Charniaux / XPB Images

Hamilton sut tirer les leçons de cet échec qu’il n’a jamais accepté. Un petit point pour battre le record de Schumacher, cet autre monstre sacré à qui il doit être comparé. « Ils ont en commun une motivation et une détermination extrêmes qui leur ont permis de connaître le succès qu’ils ont » assure Ross Brown ingénieur légendaire interviewé par l’auteur et qui fréquenta les deux hommes. Un point, c’est peut-être ce que l’histoire de la F1 retiendra. Car Lewis Hamilton dut en permanence lutter contre les meilleurs pilotes de son époque, parfois même au sein de sa propre écurie contre Fernando Alonso, puis contre Nico Rosberg dont l’accrochage en 2018 au premier tour du Grand Prix d’Espagne allait offrir à un rookie de 18 ans, Max Verstappen, sa première victoire. Mais comme tous les grands fauves du sport, à l’image d’un Mohamed Ali qu’il vénère, Hamilton fonctionne, comme son idole Ayrton Senna, à l’instinct. « Hamilton est un créateur hors pair, refusant toute préparation préalable, jouant sur l’improvisation permanente » écrit ainsi Frédéric Ferret. 

La carrière de Lewis Hamilton est une histoire de patience et de travail aboutissant à tous les records : plus de cent pole positions, 188 podiums à ce jour, 103 victoires sur 31 circuits différents. Le journaliste qui suit le champion depuis près d’une vingtaine d’années n’omet rien dans son livre : les grandes victoires et les titres comme les erreurs et les « coups » de celui qui a « écrasé tous les records et reconstruit la discipline ». Comme à Bakou en 2017 lorsqu’il provoqua le quadruple champion du monde, Sébastian Vettel qui finit par lui donner un coup de roue et écopa d’une pénalité. Bakou encore.

Dans le même temps, le champion aux sept couronnes est devenu un objet de pop culture. Ses tenues vestimentaires, ses prises de position contre le racisme et en faveur du mouvement #Blacklivesmatter après la mort de George Floyd en ont fait une icône qui a dépassé le cadre de la formule 1. En septembre 2020, à l’image d’un Tommie Smith au JO de 1968, il monte en vainqueur du Grand Prix de Toscane avec un T-Shirt « Arrest the cops who killed Breonna Taylor » en référence à cette jeune femme tuée par la police de Louisville dans le Kentucky en mars 2020. Il a même prêté sa voix à une voiture dans le dessin animé Cars 2 (2011).

Arrive aujourd’hui la nouvelle génération emmenée par Max Verstappen et, à l’image d’un Mohamed Ali sur le retour, Lewis Hamilton connaît ses premières défaites notamment ce KO d’Abu Dhabi en 2021 qui suscite encore de vives discussions et ouvrit l’ère du Hollandais. Celle du Britannique est-elle pour autant refermée ? Car l’histoire du sport fonctionne par cycles. « On sait désormais que, dans n’importe quelle condition, l’Anglais sait gagner. Avec la manière. Il sait également perdre. Ce n’est pas une légende…c’est de l’histoire » écrit le journaliste de l’Equipe. Pour autant, les exemples de Lauda ou de Prost ont montré qu’il ne faut jamais enterrer les grands champions. Alors Bakou fera-t-il mentir à nouveau cette même histoire ?

Par Laurent Pfaadt

A lire :
Frederic Ferret, Les années Hamilton, Solar éditions/L’Equipe, 160 p.

La carrière de Lewis Hamilton étant indissociable de Mercedes et de son écurie de course Mercedes-AMG Petronas Formula One Team, la rédaction vous conseille également l’ouvrage AMG Mercedes, élégance et puissance (Glénat, 2022)

A voir :
Cars 2 (2011)

Un mythe en perte de vitesse

Fin mai se tiendra la fameuse course des 500 miles d’Indianapolis dont l’étoile pâlit cependant depuis plusieurs années

Tandis qu’Monaco se déroulera la course automobile la plus prestigieuse du monde, aux Etats-Unis se tiendra celle qui fait office de référence dans le sport automobile américain : les 500 miles d’Indianapolis. Située sur le circuit de l’Indianapolis Motor Speedway non loin de la capitale de l’Indiana, cette course sur circuit ovale est, depuis 1911, une véritable institution. Ainsi chaque weekend précédant le Memorial Day, elle réunit les meilleurs pilotes d’Indycar, ce championnat regroupant des monoplaces, sorte de Formule 1 américaines.


Au cours des 122 éditions de l’épreuve, quelques grands noms du sport américain y ont forgé leur légende : A.J. Foyt, Al Unser ou Rick Mears notamment qui ont remporté chacun quatre fois la course et ont acquis le statut de héros américains. Plusieurs champions du monde de F1, Graham Hill, Emerson Fittipaldi ou Jacques Villeneuve ont également triomphé à Indianapolis. Idem dans le paddock avec de grands patrons d’écurie comme Roger Penske, Carl Haas ou Chip Ganassi. Certaines marques y ont glané leurs lettres de noblesse comme Ford ou Oldsmobile, ajoutant au triomphe de l’industrie automobile américaine des succès sportifs de prestige. Mais c’est certainement Chevrolet qui symbolise plus qu’aucune autre marque les 500 miles d’Indianapolis. Personne, pourtant, ne sait que le fondateur de la marque, Louis Chevrolet, disputa la course au début des années 20 et que son frère Gaston la remporta en 1920 sous les couleurs d’une France qui allait devoir attendre près d’un siècle (2019) pour qu’un autre de ses compatriotes, Simon Pagenaud, boive à nouveau le traditionnel verre de lait réservé au vainqueur. Mais si Chevrolet est aujourd’hui devenu un fleuron de l’industrie automobile américaine et une légende de la culture américaine, tout le monde a oublié qu’à l’origine, elle était…suisse. L’écrivain suisse Michel Layaz estime ainsi dans son livre, Les Vies de Chevrolet (ZOE éditions), que « personne ne se souvient (pas même en Suisse ou en France) que Louis Chevrolet a été le cofondateur de cette marque devenue célébrissime » avant d’ajouter : « les 500 miles d’Indianapolis vont offrir à Louis Chevrolet l’occasion d’une sorte de revanche sur le mauvais sort. En effet, en 1920, quand son frère Gaston gagne cette course déjà mythique aux USA, il la gagne sur une Frontenac, une voiture entièrement (châssis et moteur) conçue par Louis. A ce moment-là, Louis n’a pas le droit d’utiliser son patronyme puisqu’il l’a cédé pour une bouchée de pain à l’autre fondateur de la Chevrolet Motor Car Company, à savoir Billy Durant. » William Crapo « Billy » Durant qui avait fondé quelques années plus tôt General Motors.

Pour autant, comme le rappelle Sylvain Cypel, ancien correspondant du Monde aux Etats-Unis, le sport automobile et les 500 miles d’Indianapolis ne sont plus aussi populaires qu’avant et ont suivi le déclin de l’industrie automobile américaine. « Les patrons d’équipes automobiles ont connu souvent une grande notoriété, mais elle est en forte baisse, comme l’est l’industrie automobile en général. Le temps de la gloire de GM et Ford est amplement passée. Et avec elle celle du sport automobile américain. Le sport automobile est un résidu important de cette gloire passée, mais le déclin de l’industrie lourde américaine a entrainé l’automobile dans sa chute, au profit des Asiatiques, Toyota, Honda et les Coréens, et même les Européens, à un moindre degré » dit-il. Si bien que la Formule 1 dont la popularité est en constante croissance et a même le droit à sa série à succès sur la plateforme Netflix, ne fasse un retour en force avec trois grands prix cette année sur le territoire américain (Miami, Austin et Las Vegas), attirée par des investisseurs aux abois ou décidés à supplanter dans le cœur d’un public américain plus friand de baseball et de football, une Formule Indy en perte de vitesse. Et comme un symbole de ce déclassement américain, la domination du motoriste Honda, victorieux de quinze des vingt dernières éditions. Seul Chevrolet a pu, timidement, contester cette domination qui va bien au-delà du sport.

Reste le mythe, magnifiquement entretenu par la pop culture avec d’abord l’autre instrument majeur du soft power américain, le cinéma. Dès 1932, la course inspire Howard Hawks dans The Crowd Roars avec James Cagney dans le rôle-titre. Puis dans Virages de James Gladstone en 1969, Paul Newman y interprète un pilote engagé dans les 500 miles d’Indianapolis. Ce tournage allait d’ailleurs lui transmettre le virus du sport automobile puisque Paul Newman pilota plusieurs voitures (Ford Mustang et Ferrari 365 GTB) et fonda avec Carl Haas une écurie de courses, la Newman/Haas Racing, engagée en Indycar et qui recruta d’anciens pilotes de F1 comme Alan Jones, Nigel Mansell ou Sébastien Bourdais.

En France, les 500 miles d’Indianapolis ont trouvé un écho majeur dans la bande-dessinée et notamment dans les aventures de Michel Vaillant de Jean Graton qui en fit, à de nombreuses reprises, le lieu des exploits du pilote français. Plus récemment, Vincent Dutreuil et Denis Lapière sont revenus, dans le premier album de la série Légendes – Dans l’enfer d’Indianapolis – sur la fameuse course de 1966 (voir interview).

Pourtant, à l’heure où les puissances financières ont fait du sport et du divertissement des enjeux majeurs en matière d’investissement et d’image, le mythe ne suffit plus. Si tout le monde connaît Max Verstappen ou Lewis Hamilton, il n’en est pas de même avec Helio Castroneves ou Takuma Sato, pourtant multiples vainqueurs des 500 miles d’Indianapolis. Et il est fort à parier que fin mai, les yeux du monde entier, y compris ceux qui font le sport automobile mondial, ne brillent davantage pour Monaco, une vieille dame assurément plus séduisante que son aînée américaine.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Vincent Dutreuil, Denis Lapière, Dans l’enfer d’Indianapolis, Légendes Michel Vaillant, 64 p, 2022

Michel Layaz, Les vies de Chevrolet, ZOE, 128 p, 2021

A voir :

Virages de James Gladstone (1969) avec Paul Newman

Se souvenir. Ensemble

Il y a quatre-vingts ans, le ghetto de Varsovie se soulevait contre l’occupation nazie

Pendant plusieurs semaines, du 19 avril au 16 mai 1943, dans le ghetto de Varsovie, cette partie de la ville regroupant près de 400 000 juifs, des hommes et des femmes regroupés dans l’organisation juive de combat, affrontèrent l’occupant nazi qui avait, depuis l’été 1942, déporté massivement les juifs de Varsovie vers le camp de la mort de Treblinka. Des héros du quotidien, les armes à la main, sans espoir de victoire, firent ainsi naître un espoir, un feu qui ne s’éteignit jamais tandis que d’autres, regroupés dans l’organisation Oneg Sabbat, œuvrèrent dans l’ombre pour lutter contre la volonté des nazis de faire disparaître toute trace physique et mémorielle du ghetto.


Polin © Maciek Jazwiecki

Les survivants et en particulier ceux du ghetto, à commencer par Marek Edelman, perpétuèrent, après-guerre, le souvenir de cette insurrection. Ce devoir de mémoire prit alors des formes diverses. D’abord sous forme de récits. Puis les générations suivantes, parfois des enfants de survivants racontèrent, par le biais du roman, ce qui fut. Et le ghetto devint une sorte de dibbouk pour de nombreux écrivains comme par exemple pour Agata Tuszynska, l’une des plus importantes romancières polonaises. « Chaque jour, je suis dans le ghetto de Varsovie » nous affirmait-elle ainsi lors d’une rencontre en juin 2022. Le 7 décembre 1970, le chancelier Willy Brandt s’agenouilla devant le monument marquant le souvenir de l’insurrection du ghetto de Varsovie perpétuant un devoir de mémoire étendu désormais aux anciens bourreaux et à toute l’humanité. Celui-ci se matérialisa ensuite à Varsovie dans des institutions comme l’Institut historique juif qui rassemble les documents collectés d’Oneg Sabbat puis dans le Musée Polin, inauguré il y a tout juste dix ans cette année.

Chaque année à partir du 19 avril, Varsovie se pare de jonquilles. Cette tradition impulsée par Marek Edelman s’est muée depuis quelques années en un véritable travail de mémoire qui relie les différentes générations à travers le pays. Une campagne socio-éducative avec pour slogan « La mémoire nous relie » et impliquant de nombreuses écoles voit des volontaires, souvent des jeunes, distribuer dans les rues de Varsovie, des jonquilles en papier, symbole de la mémoire commune du soulèvement du ghetto. En 2023, pour la première fois, des jonquilles seront distribuées par des bénévoles dans cinq villes polonaises : Łódź qui célébrera son 600e anniversaire, Cracovie, Wrocław, Białystok et Lublin, capitale européenne de la jeunesse en 2023, afin que cette mémoire reste vivace.

Le musée Polin à Varsovie, haut lieu de l’histoire juive en Pologne consacre quant à lui jusqu’au 8 janvier 2024 une exposition à cet anniversaire. Baptisée « Une mer de feu autour de nous. Le sort des civils juifs pendant le soulèvement du ghetto de Varsovie », elle montre trente-trois photos inédites du ghetto juif de Varsovie prises par Zbigniew Leszek Grzywaczewski, un pompier polonais de 23 ans, et retrouvées dans la collection familiale de ce dernier. Ces photos possèdent une valeur exceptionnelle car il s’agit des seules photos du ghetto prises par un non-allemand. Aujourd’hui, ces témoignages uniques permettent au visiteur de poser un autre regard sur la barbarie de l’écrasement du ghetto.

D’autres évènements ont commémoré et commémoreront cet anniversaire. Ainsi le 20 avril s’est tenue dans l’auditorium du musée Polin, la création mondiale par le Sinfonia Varsovia Orchestra sous la conduite de la cheffe d’orchestre Anna Duczmal-Mróz, du concerto pour piano « Pour Josima » de la jeune compositrice polonaise Hania Rani. Cette œuvre lui a été inspirée par une jeune pianiste adolescente du ghetto, Josima Feldschuh, qui réussit à s’évader du ghetto avant de mourir de tuberculose le 21 avril 1943. Durant ce concert fut également joué le concertino pour piano et orchestre que Władysław Szpilman, le « Pianiste » de Polanski, écrivit dans le ghetto. Nul doute que Wiera Gran, chanteuse et héroïne du roman d’Agata Tuszsynska et dont Szpilman était l’accompagnateur, l’entendit.

Ces notes de musique qui se sont élevées dans le ciel, avec ces jonquilles plantées dans le sol relient ainsi entre eux, ceux qui, hier et aujourd’hui, ont combattu et continuent de combattre les soldats de l’oubli.

A voir jusqu’au 8 janvier 2024 au musée Polin de Varsovie, l’exposition « Une mer de feu autour de nous. Le sort des civils juifs pendant le soulèvement du ghetto de Varsovie ».

Par Laurent Pfaadt

Tous les renseignements sur la commémoration du 80e anniversaire du soulèvement du ghetto sont à retrouver sur https://www.pologne.travel/fr/serwis/actualites/commemorations-du-80e-anniversaire-de-linsurrection-du-ghetto-de-varsovie#i

Et bien entendu quelques conseils de lecture pour entrer dans le ghetto :

Samuel D. Kassow, Qui écria notre histoire ? Les archives secrètes du ghetto de Varsovie, Grasset, 594 p. 2011

Agata Tuszsynska, Wiera Gran, l’accusée, Grasset, 416 p.

http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/lheroine-de-tous-mes-livres-cest-la-memoire/

Marek Edelman, Mémoires du ghetto de Varsovie, Liana Levi, 192 p. 2002

Ercole Bernabei

Le madrigal fut un genre musical polyphonique très à la mode aux 16e et 17e siècles. Essentiellement vocal, il associait des voix qui pouvaient cependant être remplacées par des instruments tels que le lirobe, ancêtre du violoncelle, ou la basse de viole dont les musicalités rappellent la voix humaine. Les plus avertis connaissent ainsi ceux de Giovanni Pierluigi da Palestrina qui en composa plus de 130 ou ceux de Claudio Monteverdi. C’est d’ailleurs dans cette Italie baroque, celle d’un autre compositeur romain, Ercole Bernabei (1622-1687) que nous plonge ce très beau disque.


Protégé du cardinal Flavio Orsini de la puissante famille des Orsoni qui donna papes et condottiere et à qui il dédie ces madrigaux, Ercole Bernabei est quelque peu oublié aujourd’hui. Avec ce disque, il est ressuscité de la plus belle des manières. Ces madrigaux, enregistrés pour la première fois, manifestent une incroyable beauté musicale. Il y a indubitablement quelque chose de céleste dans les voix de cristal de Myriam Arbouz et Marine Fribourg. Associées à la douceur de leurs homologues masculins, leur complémentarité est stupéfiante. L’ensemble Faenza est en appui, modulant son accompagnement avec intelligence. Le clavecin distille avec passion ses incursions et brille dans les toccata de Simonelli et passacaille de Pasquini tandis que théorbe et guitare, tels des oiseaux posés sur les branches de ce jardin musical, sont là pour nous rappeler la douceur du sud de l’Europe et de la vie artistique romaine.

Ces interprétations restituent ainsi à merveille l’atmosphère de ces palais romains où se retrouvaient prélats et puissants et où le théorbe de Bernabei devenait, à l’instar du pinceau d’un Pierre de Cortone, mort l’année de l’impression de ces quinze pièces, l’instrument d’un soft power qui ne disait alors pas encore son nom. Sans savoir que quelques 350 années plus tard, l’humanité finirait par se souvenir du compositeur et non du commanditaire grâce à ce disque merveilleux.

Par Laurent Pfaadt

Ercole Bernabei (1622-1687), Concerto madrigalesco,
Faenza dir Marco Horvat, EnPhases

« Dans les albums Légendes, Michel Vaillant ne peut pas gagner »

La course des 500 miles d’Indianapolis de 1966 demeure encore aujourd’hui gravée dans toutes les mémoires. Plusieurs champions ou futurs champions du monde de F1 – Jim Clark, Emerson Fittipaldi, Mario Andretti, Jacky Stewart et Graham Hill – prirent le départ d’une course qui connut un carambolage phénoménal dans les premiers tours mais surtout un épilogue inattendu et contesté. Michel Vaillant y était. C’est ce que nous raconte son scénariste, Denis Lapière, dans ce premier album de la série Légendes, entre course, mafia et une superbe brune, Rhonda, qui ne laisse pas insensible Steve Warson.


La course des 500 miles d’Indianapolis est indissociable de l’univers de Michel Vaillant. On la retrouve d’ailleurs dès le premier album, Le Grand Défi et dans ce premier opus de la série Légendes.

Oui, c’est vrai. Beaucoup de fans m’ont demandé de faire revenir Michel Vaillant dans les années 60-70 parce que ces années constituent un âge d’or de la course automobile. Et je ne voulais pas refaire des histoires de Michel Vaillant à l’ancienne. Donc j’ai utilisé ce prisme pour revisiter l’histoire du sport automobile avec la course d’Indianapolis de 1966 et y mettre une véritable histoire de Michel Vaillant tout en respectant la course telle qu’elle s’est déroulée. En plus dans cette course où il y a pas mal de zones d’ombre et d’interrogations, j’essaie d’apporter des réponses avant tout fictionnelles. On s’amuse ainsi avec l’histoire. Le but des albums Légendes est à la fois de mêler documentaire – tout ce qui est dit est vérifié et historique – et fiction parce que c’est une histoire de Michel Vaillant avec des ingrédients purement fictionnels. Cela nécessite donc beaucoup de documentation, de travail et d’imagination !

Cette alchimie impose au scénariste que vous êtes une vérité notamment concernant le résultat…

Malheureusement ça m’embête un peu car dans les albums Légendes, a priori Michel Vaillant ne peut pas gagner la course parce qu’il y a un vrai vainqueur. Mais je vais trouver un truc pour que, quand même, il en gagne une ! (rires)

Etes-vous êtes allés sur place, à Indianapolis, faire du repérage ?

Moi non mais Jean-Louis Dauger qui travaille avec nous et s’occupe du marketing de la marque Michel Vaillant y est allé. Il nous a ramené de nombreuses photos qui ont été fort précieuses pour reconstituer l’ambiance de la course.

A quoi les fans doivent-ils s’attendre dans les futurs albums de la série Légendes ?

Il est prévu de revisiter d’autres courses de légende comme le grand prix de Monaco 1971. On fera peut-être même toute la saison 1970 qui fut une saison absolument incroyable et effroyable avec trois morts dont celui qui deviendra champion du monde, Jochen Rindt. C’est la seule fois dans l’histoire de la F1 que cela est arrivé. On veut aussi revisiter les grandes courses des 24h du Mans avec notamment celle de 1967, surnommée « la course de tous les records », dans deux ans probablement.

Et je crois que Michel Vaillant n’en a pas fini avec Indianapolis qu’il a gagné par ailleurs…

Oui l’année prochaine, le prochain épisode de la nouvelle saison se tiendra à Indianapolis mais de nos jours ! Alors patience….

Propos recueillis par Laurent Pfaadt

A lire :

Vincent Dutreuil, Denis Lapière, Dans l’enfer d’Indianapolis,
Légendes Michel Vaillant, 64 p, 2022

Bible mécanique

Plonger dans le livre de Peter Nygaard, c’est entrer à la fois dans le monde fascinant de la Formule 1, le plus populaire des sports mécaniques mais surtout c’est effectuer à retour dans un passé tout personnel, dans celui des courses que nous regardions à la télévision, enfant avec nos pères et adulte avec nos enfants. Avec sa narration et sa succession de photos magnifiques tirées de ses archives personnelles et d’anecdotes, l’auteur nous embarque immédiatement pour un voyage sur les plus grands circuits et dans les paddocks de ces quelques soixante-dix dernières années.


Il faut dire que le livre brille par sa complémentarité. En parcourant ainsi toute l’histoire de la F1, Peter Nygaard ne se limite pas seulement à la simple énumération des faits. Certes, il liste en fin d’ouvrage tous les champions du monde, dans une sorte de galerie de portraits où chacun, de Fangio à Verstappen en passant par Stewart, Lauda ou Prost, est affublé d’un titre, d’un surnom, celui parfois que l’on entendait dans la bouche des commentateurs. Prost est le professeur, Häkkinen, le Finlandais volant luttant contre l’impitoyable baron rouge, Michael Schumacher, et Jochen Rindt, le champion posthume remportant le titre mondial après son décès à Monza, le 5 septembre 1970. Les drames terribles, ceux de Gilles Villeneuve, de Roger Williamson ou d’Ayrton Senna, revers de la médaille des victoires éclatantes sont là et nous rappellent la fragilité de ce sport qui ne tient parfois à rien.

La partie consacrée aux évolutions technologiques est également fascinante. Fibre de carbone, volant, pneus – l’apparition des pneus slicks date de 1971 – sécurité comme la mise en place du halo qui sauva certainement la vie de bon nombre de pilotes ces dernières années, toutes ces considérations montrent également que la F1 est l’antichambre des évolutions qui touchent nos voitures du quotidien. Avec ce livre, la Formule 1 prend parfois des airs d’œuvres d’art, de musée du Design qu’il s’agisse de l’évolution des monoplaces ou de la comparaison fascinante des casques, ces armures modernes qui tantôt disent quelque chose de chaque pilote, tantôt semblent tout sortis, comme le casque de Mario Andretti, de films de science-fiction.  

McLaren

Mais tout champion en devenir a besoin, comme un cavalier, d’un cheval à la hauteur de ses ambitions. C’est cette complémentarité, cette alchimie entre un pilote et sa voiture qui fabrique les légendes de la Formule 1. Dans cette course sans cesse recommencée que raconte à merveille l’auteur, il y a bien évidemment ce cheval noir cabré de Maranello à qui Peter Nygaard a d’ailleurs consacré un autre ouvrage avec ses cavaliers successifs, mais également tous ces autres chevaux qui ont changé de robes au fil des décennies : verte chez Lotus, argentée chez Mercedes, bleue chez Ligier. Le lecteur verra ainsi que les McLaren n’ont pas toujours été blanches et rouges mais qu’elles ont aujourd’hui retrouvé leur orange originelle lorsqu’elles étaient pilotées par Bruce McLaren et qu’elles étaient floquées du célèbre logo Gulf qui barra également la Ford GT40 victorieuse au Mans en 1968, logo qui a d’ailleurs renoué ces dernières années son partenariat avec l’écurie britannique.

Au fil de ces pages que le lecteur ouvrira soit au hasard pour se laisser surprendre, soit pour suivre l’évolution d’une discipline et de ces monoplaces qui ont, depuis leur apparition, fasciné notre imaginaire collectif, il laissera ces images pénétrer ses souvenirs. Formule 1 de Peter Nygaard a donc tout d’une bible pour non seulement tout passionné de F1 mais également pour tous ceux qui ont été, un moment ou un autre, percuté dans ce carambolage culturel par un sport qui a et continue très largement de dépasser ses simples frontières mécaniques.

Par Laurent Pfaadt

Peter Nygaard, Formule 1, 2e édition, préface Laurent-Frédéric Bollée
Chez Glénat, 480 p. 2022