La menorah des champions

Une exposition revient sur l’identité juive de plusieurs clubs européens de football 

Qu’ont en commun le Bayern Munich, Tottenham Hotspur, l’Austria Vienne et l’Ajax Amsterdam, à part peut-être de se retrouver dans le même groupe d’une future Champions League ? C’est de posséder dans son ADN une forte dimension juive qu’elle soit historique ou récente, naturelle ou sciemment construite.


C’est ce qu’explore avec pertinence l’exposition du musée juif de Vienne baptisée un brin provocateur Super Jews. Car les juifs, comme dans de nombreux métiers et parties des sociétés allemande et autrichienne, ont contribué à la gloire sportive de ces pays. Ainsi plusieurs clubs autrichiens dit « juifs » comme le SC Hakoah, l’Austria Vienne ou le Vienna FC conduisirent avec leurs joueurs juifs l’Autriche vers les sommets de l’Europe footballistique en alimentant notamment la fameuse « Wunderteam » qui écrasa 6-0 en mai 1931 à Berlin une Allemagne qui prit bientôt sa revanche politiquement en intégrant l’Autriche après l’Anschluss de 1938, en renvoyant le football autrichien à un amateurisme mortifère et en assassinant, durant la Shoah, nombre de joueurs juifs dont la mémoire est évoquée dans l’exposition. Pourtant, c’est en Allemagne même que naquit, grâce à un juif, le plus grand mythe du football moderne, celui du Bayern Munich porté notamment par Kurt Landauer. Président du club jusqu’à l’arrivée des nazis en 1933, il fut ensuite déporté à Dachau avant de reprendre après la guerre ses fonctions de président d’un club devenu non seulement le symbole de la lutte contre les nazis mais également le tenant d’une popularité qui ne s’est jamais démentie en Israël.

D’autres clubs comme le mythique Ajax d’Amsterdam qui vit les exploits d’un Johann Cruyff ou celui de Tottenham dans le nord de Londres ont eux aussi acquis une réputation de « clubs juifs » non pas à cause d’une tradition historique mais en réaction à des supporters racistes et antisémites. C’est ainsi que ces deux clubs virent la naissance en leur sein de clubs de supporters revendiqués comme juifs comme à Tottenham avec la « Yid Army » qui emprunte le terme péjoratif de « youpin » alors que leurs membres ne sont pas juifs. Une exposition qui permet ainsi de réhabiliter le football et leurs supporters et de montrer que même dans un stade, il existe des espaces de tolérance.

Par Laurent Pfaadt

Super Jews, Jewish Identity in the Football Stadium,
Jüdisches Museum Wien jusqu’au 14 janvier 2024

Le combat du siècle

Il y a quatre-vingt ans naissait l’un des plus grands boxeurs de l’histoire : Joe Frazier, celui qui écrivit la légende du noble art en compagnie de son illustre adversaire Mohamed Ali.


Ali/Frazier, ces deux noms demeurent indissociables et restent attachés à trois matchs parmi les plus mythiques de la catégorie des poids lourds. Mais si la faconde et la victoire d’un Ali lors de ce troisième match, ce « Thrilla in Manilla » resté célèbre pour sa violence, éclipsa un Joe Frazier relégué trop vite dans la catégorie des éternels perdants, la très belle BD de Luca Ferrara et Loulou Delola rend enfin justice à ce boxeur exceptionnel.

Traçant le portrait d’un enfant rêvant de fuir sa condition, travaillant dans les champs de coton et qui dut se battre toute sa vie notamment en s’entraînant dans les abattoirs où il travaillait – inspirant par la même occasion un certain Sylvester Stallone – les deux dessinateurs construisent une sorte d’anti-Ali refusant d’intégrer la Nation of Islam « la souffrance du peuple noir a forgé mon corps mais n’a pas rempli mon âme de haine envers les Blancs » tout en décrivant à merveille la relation de haine et de complicité que Frazier entretint avec son adversaire de toujours.

Grâce un travail très bien documenté tant sur le ring – les célèbres photos du combat Ali/Liston sont immédiatement reconnaissables – que sur cette époque marquée par la lutte pour les droits civiques et contre le Vietnam, et une bande-son qui résonne dans les pages en compagnie d’Otis Redding et d’un James Brown que Frazier rencontra, les deux auteurs emmènent le lecteur jusqu’au bord du ring de ce qui restera le combat du siècle, ce 8 mars 1971 au Madison Square Garden avec des doubles pages où l’on entend les « Frazier ! » accompagnant le boxeur de Beaufort en Caroline du Sud, devenu au terme de quinze rounds, le premier à battre Mohamed Ali.

Par Laurent Pfaadt

Luca Ferrara et Loulou Delola, Le combat du siècle
Futuropolis, 112 p.