Les Chercheurs

C’est un spectacle que l’on pourrait qualifier de manifeste. Dû à l’initiative du danseur, Ordinateur, pour le collectif La Fleur, dans la mise en scène de la berlinoise Monika Gintersdorfer,  Il est d’’une extrême intensité, tout à la gloire des danseurs-euses africains-nes éblouissants de virtuosité.


©Pascal Schmidt

Avec Alaingo Lamama, Annick Choco, Barro Dancer, Mason Manning, Ordinateur, Joel Tende, Zota La puissance. Tous impressionnants par leur capacité à mettre tout leur corps en mouvement avec une rapidité époustouflante, lançant bras et jambes  pour occuper l’espace au plus loin d’eux, parfois en solo, parfois ensemble dans une superbe chorégraphie qui les réunit  pour porter la danse à son plus haut niveau.

Ils et elles arrivent de Côte d’ivoire, du Congo-RDC, du Gabon où leur style de danse appelé coupé-décalé fait vibrer leurs admirateurs. Arrivés pour se faire connaitre en Europe leur vie devient très compliquée et c’est aussi de cela que leur spectacle tient à nous informer.

L’un ou l’autre vient occuper la scène produisant une danse rapide, athlétique sur des musiques extrêmement rythmées signées Timor Litzenberger, simultanément, des explications sont données sur les difficultés administratives  auxquelles ils ont dû faire face. Que cela concerne la régulation des autorisations à séjourner en Europe, la recherche de logement ou d’emploi quand on se heurte au racisme.
Le titre donné à leur spectacle prend alors tout son sens et tout en étant subjugués par leurs prestations nous ressentons vivement l’importance de leur message qui met directement en cause la capacité des pays européens à accueillir les réfugiés et entre autres les artistes.

Nous mesurons combien il est important que des institutions théâtrales comme le TNS et Le Maillon leur ouvrent régulièrement leurs portes et permettent à un large public de les soutenir.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 8 février au Maillon

Vivants

Un film d’Alix Delaporte

À ses débuts, la réalisatrice a fait un stage à l’agence CAPA, découvrant le monde des journalistes-reporters, une « famille » de passionnés, solidaires, en quête de la vérité. Puisant dans cette expérience, son film rend hommage, avec des personnages attachants, à cette profession aujourd’hui en péril.


Copyright Pyramide Films : Pascale Arbillot , Vincent Elbaz , Pierre Lottin , Alice Isaaz , Jean-Charles Clichet

On se dit que Vivants ferait une super série ! Tous les ingrédients sont là, les drames personnels, les grands événements, l’urgence pour les journalistes à être présents au bon moment. Vivants, oui, ils le sont ces reporters à courir aux quatre coins du monde ! Cependant, le métier a changé. Il y a dix-vingt ans, il était possible de prendre un avion dans l’instant avec la nécessité d’informer et d’être là au moment où l’histoire s’écrit. C’était à la fois important et exaltant. Aujourd’hui, la lourdeur des procédures et contraintes administratives freine les élans et la liberté. Il faut demander les autorisations, les accréditations sans compter que les rédactions sont comme d’autres institutions dirigées par la nécessité du profit, comme l’a constaté Alix Delaporte en enquêtant pour son film : « Au final, cette passion pour la recherche de la vérité est toujours là. Le métier n’est pas menacé par les journalistes, mais par les financiers qui prennent le pouvoir dans les rédactions et pour qui les reporters de terrain deviennent un luxe inutile. » Le téléphone portable également a contribué à ce que la profession disparaisse mais heureusement qu’à Gaza le téléphone portable peut témoigner de l’actualité le reconnaît Alix Delaporte. Pour Sama tourné en 2019 en Syrie, au cœur d’un hôpital, est une référence pour elle.

Copyright Pyramide Films : Vincent Elbaz , Roschdy Zem, Pierre Lottin

Vivants réunit la nouvelle génération avec des reporters qui « ont quelque chose de héros ». Il y a celui qui a été à Sarajevo et ceux qui n’ont qu’un défilé de mode à filmer pour faire l’actu ! Cependant, les aînés sont bienveillants avec les plus jeunes et lorsque Gabrielle débarque pour faire un stage au sein d’une émission de reportages, elle va être prise sous les ailes des anciens. Il est vrai qu’elle les bluffe, cette toute jeune femme qui a été guide de montagne et monte une caméra comme on monte une arme ! Alice Isaaz campe Gabrielle de façon tout à fait convaincante, cette femme terrienne et réactive. Vincent, Roschdy Zem, rédacteur en chef aguerri pourtant à côtoyer des stagiaires est sous le charme, Damien également, Vincent Elbaz, ces deux dinosaures du journalisme. Il y a Kosta aussi, Jean-Charles Clichet, bourru, bougon, largué par sa copine (surtout ne pas quitter la salle tout de suite à la fin du film !)

L’admiration entre les générations transpire et notamment entre Gabrielle et Vincent pour qui elle est réciproque, Vincent qui rajeunit à son contact, stimulé par son énergie communicative. Une séquence vaudrait à elle seule le détour et il semblerait que Roschdy Zem y ait puisé une raison supplémentaire pour jouer dans le film, comme un défi à relever, le sortant de sa zone de confort dans une danse où la virilité la dispute à la sensualité : une chorégraphie sur le Boléro de Ravel où le comédien est à la fois gracieux, sa part de féminité révélée, combattif et comme en transe. Si Gabrielle (et nous) sommes subjugués, cette séquence témoigne d’une réalité : la nécessité pour des journalistes d’exorciser leur traumatisme : « Certains reporters de guerre souffrent de stress post-traumatique. Ce trouble est traité depuis longtemps chez les soldats, mais moins chez les journalistes. Ce n’est pas facile à représenter dans un film. Un journaliste qui parle de lui et de ses « faits d’armes » n’est pas très crédible. Et le stress post-traumatique est d’autant plus difficile à verbaliser qu’il n’est pas conscient. Le moment d’extériorisation de Vincent lorsqu’il danse sur le Boléro est une façon de faire ressentir ce trouble au spectateur. »

À Alice Delaporte à qui l’on a demandé si elle envisageait de faire une série qui se passerait dans ce milieu passionnant des journalistes-reporters qu’elle décrit ici, elle répond : « Plus ça va, plus j’envisage une suite – reste à savoir sous quelle forme. » On se réjouit d’avance !

Elsa Nagel