Ben Wilson signe un livre de référence sur l’histoire
millénaire de la ville
Qui
n’a jamais apprécié de boire un café au petit matin sur une terrasse et voir
une ville se réveiller avec ses livreurs, ses écoliers, ses odeurs et ses
bruits ? Plus d’un siècle après le film de Fritz Lang, voilà que
Metropolis revient nous interpeller. Mais cette histoire qui nous est racontée
n’est pas celle d’une ville inscrite dans une société dystopique et symbole
d’une civilisation décadente tirée de l’esprit du plus grand réalisateur
allemand. Plutôt celle d’une ville protéiforme qui a traversé les âges et les
civilisations pour se transformer et se réinventer.
De
son invention, il y a près de 6 000 ans, dans la mésopotamienne Uruk à celle de
la mega-cité, omniprésente qui recouvrera en 2050 2/3 du globe, Ben Wilson,
historien britannique nous propose un voyage littéraire hallucinant,
électrisant et passionnant. De Dharani, le plus grand bidonville de l’Inde aux
ruines de Varsovie pendant la seconde guerre mondiale en passant par l’ancêtre
de Dubaï, la Bagdad des califes et les banlieues de Los Angeles, son ouvrage
revient sur cette incroyable invention qui connut modifications,
bouleversements et évolutions négatives et positives.
Car
nous dit Ben Wilson, les êtres humains ont eu depuis des millénaires, la
volonté de se regrouper, de se socialiser, de créer des sociétés. Celles-ci se
sont matérialisées dans ces formes que l’on nomme villes ou cités si bien
qu’avec l’évolution de l’humanité, ces créations ont parfois échappé à leurs
concepteurs et se sont émancipées des Etats qui avaient présidé à leur
édification. Pour autant prévient l’auteur, « nous sommes doués pour
vivre dans les villes (…) Et pourtant, nous sommes aussi très mauvais pour les
bâtir ». N’hésitant pas à convoquer Gilgamesh, la série des Sopranos
pour évoquer le tracé linéaire entre centre-ville et périphérie ou l’industrie
automobile qui constitue selon lui l’un des poisons de détérioration des
conditions de vie dans les villes, Ben Wilson pointe ainsi avec intelligence
les réussites et les ratés de l’histoire urbaine.
Pour autant le génie humain a conçu une invention qui a fait preuve de sa résilience et de sa capacité à se réinventer, à surprendre. Et si l’homme a modifié la ville tout au long de l’histoire, celle-ci a également transformé les hommes et les sociétés. Ainsi de Los Angeles qui, grâce à l’immigration latino, a développé un type d’urbanisme générateur de sociabilité entraînant piétonisation et gentrification. Ici réside bien le coeur d’un livre qui ne se réduit pas à une simple histoire de l’architecture urbaine mais bel et bien dans une volonté de s’inscrire dans une dimension globale et faire de Metropolis, une sorte de livre-monde. Et à l’heure du défi du changement climatique et où chaque jour 200 000 habitants, soit l’équivalent de la ville de Toulon affluent dans les villes, le livre de Ben Wilson se referme sur une perspective tout à fait salutaire en pointant, de Seattle à Santander, les ressources, les germes d’un énième renouvellement urbain pour permettre à la ville de demeurer l’épicentre de notre condition humaine. Assurément un livre à posséder dans chaque bibliothèque.
Par Laurent Pfaadt
Ben Wilson, Metropolis, une histoire de la plus grande invention humaine, traduit de l’anglais par Simon Duran Passés composés, 444 p.
L’ancien
procureur près la cour de cassation, François Molins livre ses mémoires dans un
livre profond et sensible
Il
personnifia l’État quand celui-ci vacilla. Il fut le rempart de notre
démocratie contre ceux, fanatiques ou opportunistes, qui voulurent l’affaiblir.
Un homme qui a consacré sa vie à deux causes parmi les plus nobles qui
soient : la justice et la nation.
Voilà
qu’aujourd’hui, l’homme avec toute la discrétion qui le caractérise et qui
façonne ceux qui, dans l’ombre, marquent leur temps, se livre et livre aux
citoyens de ce pays, ses mémoires, ses souvenirs et d’une certaine manière, sa
manière forcément subtile, ses leçons. Il fut des moments où l’homme se trouva
bouleversé comme lorsqu’il pénétra dans le Bataclan ravagé, brisé,
ensanglanté. Un homme qui ressentit plus de plaisir à apprendre qu’une
promotion de l’ENM l’avait choisi, lui, à l’aube de sa retraite, comme parrain
plutôt qu’à œuvrer dans un cabinet ministériel. En se retournant sur ces
quarante-six années passées à la justice, l’homme a le sentiment du devoir
accompli face à une justice qui ne s’est pas laissée domptée mais qu’il a aimé,
profondément.
François
Molins est ainsi. Il y a quelque chose de fascinant chez lui, d’attachant. Un
être d’une grande résolution lorsqu’il s’agit de défendre justice et état de
droit comme il explique à juste titre dans ses mémoires, s’abritant derrière
ces mots – Au nom du peuple français – qui sonnent comme l’épitaphe
d’une statue maniant le glaive et le bouclier. Un homme qui fut l’acteur
imperturbable de notre histoire récente avec ses combats, ses scandales, ses
victimes, ses deuils, du tribunal de Bobigny à l’affaire Cahuzac, du stade
Furiani à Bastia à l’attentat de Charlie Hebdo. Un granit républicain.
Et
un être timide, hésitant. Comme une pierre qui, sous l’effet de l’eau de la
vie, s’altère, inexorablement, entraînant fissures apparentes et souterraines.
Des fissures notamment personnelles, François Molins en connut et le magistrat
revient avec pudeur sur les sacrifices professionnels qu’il imposa à sa
famille. C’est profondément touchant et cela l’humanise un peu plus. Et puis la
politique, le plus puissant des agents corrosifs. L’homme refusa toujours de
faire de la politique. Il fut directeur de cabinet mais ne franchit jamais le
Rubicon du pouvoir. Trop peur de devoir se renier, de ne pas pouvoir revenir en
arrière. Trop peur de ressembler à l’actuel titulaire de la place Vendôme, à
cet ancien avocat devenu procureur de circonstance, et à qui il réserve sa
plaidoirie littéraire la plus acerbe, à qui il oppose un bouclier de papier
pour défendre sa justice. Pourtant il aurait fait un bon politique, un de ceux
qu’on admire, une espèce en voie de disparation. Voilà pour l’érosion.
Le livre refermé, assurément passionnant, un seul mot nous vient à l’esprit comme l’aveu d’un peuple face à l’un de ses plus ardents serviteurs : merci.
Par Laurent Pfaadt
François Molins, Au nom du peuple français, Mémoires, Aux éditions Flammarion, 368 p.
Mika présentait son dernier album dans la mythique salle
de concert marseillaise
Mika
est une sorte de papillon multicolore qui capte immédiatement la lumière et
l’irradie sur ceux qui le regarde. Car assister à un show de Mika constitue
toujours une expérience unique. La popstar est d’une énergie et d’une
générosité communicative qui transcende les générations. De 7 à 77 ans, les
spectateurs ont ainsi rempli le Dôme de Marseille pour célébrer le plus
français des chanteurs britanniques. Et il faut dire que Mika leur a bien
rendu. Il a enchaîné les titres de son dernier album Que ta tête fleurisse
toujours nommé ainsi en hommage au dernier cadeau de sa mère, un dessin, et
ses anciens tubes français et anglais, réalisant parfaitement la communion de
ses nouveaux fans – souvent les plus jeunes – spectateurs de The Voice et les
plus anciens, ceux qui ont vibré, il y a maintenant dix-sept ans (eh oui !),
sur Love Today, Grace Kelly ou Relax, Take it Easy, déclenchant
à chaque chanson, des démonstrations de bonheur et des déhanchements
incontrôlés !
Bougez
a ainsi donné le ton d’une soirée que les spectateurs ont passé le plus clair
de leur temps debout à danser. Les gradins assis, plutôt calmes et longs à se
mettre en route, ont montré la voie, ce qui n’a pas manqué de surprendre un
Mika qui a enchaîné, mi-ange mi démon, avec Sweetie Banana et Apocalypse
Calypso avant de faire résonner son timbre génial et toujours unique dans Underwater
et Happy Ending. Résultat : une pop colorée qui oscille entre
classicisme britannique et incursions psychédéliques où Mika se livre sur vie
personnelle, l’amour et la mort.
Bien
évidemment, il n’a pu s’empêcher de rendre hommage à cette autre artiste
britannique chère au cœur des Français, Jane Birkin, dans une chanson
tirée de son dernier album et écrit avant la mort de l’artiste, mais également
à cette mère disparue l’an passée d’une grave maladie avec C’est la vie, une
mère dont il s’est plu à rappeler quelques anecdotes et dans 30 secondes à
Carla de Coignac, finaliste de la Nouvelle Star en 2017 et qui composa avec lui
ce nouvel album réussi et intégralement en français. Car la musique de Mika est
une sorte de condensé de bonne humeur, de joie et son interprète, véritable
papillon multicolore tantôt rouge tantôt blanc ou jaune selon ses parures, aime
à butiner dans ses fleurs musicales tirées de cet arc-en-ciel sonore qu’il
dispense à son public.
Mika ne manque d’ailleurs pas de rappeler en chansons, ce qui constitue son ADN musical, cette ode à la différence qui infuse sa musique et transcende les générations, s’offrant même avec Big Girl(You are beautiful) un bain de foule dont le Dôme se souviendra et invitant un spectateur chanceux à venir danser un slow sur scène. C’est ce qu’on pourrait appeler l’effet papillon de Mika. Le public marseillais, conquis, entonna même avec lui un Moi, Andy et Paris, chanson où il évoque son compagnon c’est dire combien l’artiste est aimé ici. En guise de remerciement, Mika déploya un arc-en-ciel de son piano comme pour nous dire, dans un ultime message d’amour, que la musique est quelque part, somewhere over the raimbow. Et qu’il revient à chacun de le suivre.
Pour
son édition 2024, le festival de Nîmes accueillera une nouvelle fois quelques
grands noms de la musique
Chaque
année c’est la même chose : Nîmes et le sud de la France ont rendez-vous dans
les mythiques arènes avec les légendes internationales de la musique. Les héros
du rock, du rap de la pop ou de la chanson française remplaceront les myrmidons
et autres toréadors le temps de quelques soirées qui resteront certainement
gravées dans toutes les mémoires. A commencer par celle du 31 mai qui verra le
grand Eric Clapton clôturer sa tournée française. D’autres artistes lui
emboîteront le pas : Simply Minds à l’occasion de son Global Tour accompagné
d’un Eagle-Eye Cherry qui assurera la première partie du groupe de Glasgow,
Avril Lavigne et surtout la star britannico-albanaise Dua Lipa qui donnera deux
concerts (12-13 juin) et fera tourner les têtes des mânes des princesses de la
Gaule romaine et de jeunes filles en larmes au son de Levitating, Physical
ou Don’t Start Now.
Les
nostalgiques des années 80-90 et de leurs walkmans repenseront à leurs jeans à
trous (que portent aujourd’hui leurs enfants !) et à leur survêtements Tacchini
en écoutant Offspring, Suzanne Vega et les pionniers du rap français (IAM et MC
Solaar). Ils verront à coup sûr, les nouveaux gladiateurs de la musique (PLK,
Ninho, SCH) rendre un hommage appuyé à leurs pères passés maîtres dans l’art de
la rime acérée comme un trident. Nul doute que le Champs-Elysées de SCH
résonnera d’un écho tout particulier dans l’antique cité qui couronnera
également Ninho (6 juillet), gladiateur musical aux 160 singles d’or, 90 de
platine et 50 de diamant.
Côté français, rien que le gratin de la chanson : Sofiane Pamart, Grand Corps Malade, Slimane, Dadju, Calogero ou le groupe Shaka Ponk qui fera ses adieux après avoir triompher sur les scènes du monde entier. Ils croiseront ces autres légendes établies comme Patrick Bruel et Etienne Daho, ou en devenir comme Bigflo & Oli qui refermera un festival qui promet d’ores et déjà. Des têtes vont à coup sûr tomber dans les arènes de Nîmes, mais elles tomberont en pamoison devant cette pléaide de poètes des temps modernes. Nul doute que le public saura réserver à tous ces artistes un accueil digne d’un triomphe romain.
Par Laurent Pfaadt
Le festival de Nîmes se tiendra du 31 mai au 20 juillet 2024. Pour retrouver toute la programmation et les diverses informations de ce dernier, rendez-vous sur : http://www.festivaldenimes.com
Présenté hors compétition lors de la 31 édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer il y a deux mois, la comédie horrifique québecoise sort en fin sur nos écrans.
C’est
là une excellente surprise, tant les sorties cinéma des films de
genre projetés lors de la manifestation sont parfois aléatoires.
Présente pour parler de son film, la réalisatrice québecoise
Ariane Louis-Seize avait fait le déplacement en terre vosgienne, où
la figure éminente du vampire était bien évidemment la bienvenue.
Mais sa manière de l’aborder allait en étonner plus d’un…
Avant
la projection, Ariane Louis-Seize allait parler de son film pendant
cinq bonnes minutes sur la grande scène de la salle de l’Espace
Lac, charmant accent québecois à l’appui. Son langage imagé
était rafraîchissant, et son enthousiasme traduisait sa sincérité.
À l’issue de son intervention, le public était impatient de voir
le rideau se lever.
Tout
commence avec l’anniversaire de Sasha, petite fille choyée au cœur
d’une famille pas comme les autres. Sa famille lui offre pour
l’occasion un cadeau lui aussi pas comme les autres, mais elle le
dédaigne. Car Sasha est une jeune vampire dont les canines refusent
de sortir, et qui refuse de tuer pour se sustenter. Elle éprouve une
réelle empathie pour le genre humain, empathie qui l’empêche de
pourvoir à ses besoins par elle-même. La famille est donc obligée
de s’organiser pour la nourrir, ce que la mère ne supporte plus.
Le père s’inquiète également beaucoup quant à l’absence
d’autonomie de sa fille (les vampires vivent certes bien plus
longtemps que les humains, mais ne sont pas immortels, que
deviendra-t-elle lorsque ses parent auront disparu ?), mais il
ne peut se résoudre à la forcer à tuer.
Finalement,
la famille décide alors que c’en est fini, plus de pochettes de
sang qui l’attendront au frigo au gré de ses fringales. Sasha
devra s’installer avec sa cousine, Denise, qui aura la lourde tâche
de lui apprendre enfin à chasser et tuer. Il lui faudra de la
patience, et une bonne dose de chance. Le destin mettra Paul sur le
chemin de Sasha. Rencontré un soir de vadrouille à la sortie d’un
bowling, Paul est un lycéen dépressif qui vient de rater sa
tentative de suicide. Il va partager son mal-être avec Sasha, et les
deux « adolescents » vont peu à peu se rapprocher, en
participant tous deux à des groupes de soutien pour les personnes en
détresse psychologique. Très vite, Paul partage avec Sasha son
envie d’en finir avec l’existence. L’occasion rêvée pour
Sasha de prendre enfin son envol, sans se départir de sa compassion
pour le genre humain. Mais si Sasha est prête à exaucer le souhait,
elle veut néanmoins qu’il réalise ses dernières volontés
auparavant.
La
réalisatrice dresse le portrait touchant de deux êtres qui
s’interrogent sur leur avenir, le sens de l’existence et qui
vont, au fil du temps, tisser un lien fort entre eux. Sasha et Paul
sont faits l’un pour l’autre. La caméra de la réalisatrice
parvient à créer des scènes hors du temps, poétiques, tout en
satisfaisant à la quête d’hémoglobine de tout vampire qui se
respecte. Comédie dramatique, Vampire humaniste cherche
suicidaire consentant se permet des moments de franche rigolade
(certaines scènes et dialogues sont hilarants, du fait du décalage
entre le genre et la réalité), au cœur d’un récit empreint de
poésie.
Avec ses deux personnages principaux très attachants, sa rêverie et son respect du genre, le film se présente comme une Famille Adams bienveillante, finalement confrontée à des dilemmes proches du genre humain. N’appartenant pas au genre vampire, Paul devra être prêt à faire un sacrifice pour pouvoir partager le quotidien de Sasha. Avant d’en arriver là, il sera confronté aux brutes qui le martyrisent au lycée, et bien aidé par Sasha pour l’occasion. Dans le rôle de cette dernière, Sara Montpetit exprime à la perfection les doutes et la mélancolie qui l’habitent, tandis que dans celui de Paul, le comédien Félix-Antoine Bénard fait des merveilles avec son grand regard candide et apeuré. Toujours hésitant, semblant perpétuellement s’excuser d’être là, il donne au personnage de Paul la fragile humanité qui va émouvoir Sasha au plus profond de son être. Sa ressemblance avec le comédien américain Evan Peters est d’ailleurs troublante, pour ceux qui l’ont vu dans le rôle de Vif-Argent dans les films X-Men (et un moins concernant son apparence dans la série Netflix consacrée au sinistre Jeffrey Dahmer).
Ariane
Louis-Seize était restée dans la salle toute la durée de la
projection. Bien lui en a pris, lorsque le rideau s’est levée elle
a pu savourer le tonnerre d’applaudissements qui a suivi.
« Dans toute la
noirceur de cette guerre, cela restera gravé dans nos mémoires comme le comble
de la noirceur. Il n’existe rien d’équivalent à cette destruction planifiée et
silencieuse d’une race. […] La race arménienne en Asie Mineure a été de fait
anéantie » écrivait Henry Morgenthau, alors ambassadeur des
Etats-Unis à Istanbul et futur secrétaire au trésor du Président Franklin
Delano Roosevelt.
Ces mots résonnent aujourd’hui
avec une froide pertinence depuis l’invasion du Haut-Karabakh par
l’Azerbaïdjan, les 19 et 20 septembre 2023. Si le conflit a aujourd’hui disparu
de nos écrans de télévisions au profit de l’Ukraine et de Gaza, la situation reste
là-bas très fragile et la crainte d’une invasion du sud de l’Arménie a poussé
cette dernière à intensifier son activité diplomatique notamment vis-à-vis de
la France ainsi que son réarmement.
Dans ces conditions, toutes les
inquiétudes relatives aux dangers encourus par le patrimoine de l’Artsakh se
justifient car le conflit se double bien évidemment d’une guerre mémorielle qui
atteindra, à n’en point douter, les bibliothèques et la culture de ce pays.
D’où l’importance de sensibiliser les lecteurs français à l’histoire et à la
culture arménienne pour qu’ils n’oublient pas que cette dernière a traversé les
âges, des civilisations de l’antiquité à l’Union soviétique en passant par les
premiers temps du christianisme et bien évidemment l’empire ottoman dont la
résurgence impérialiste et nationaliste de la Turquie d’Erdogan laisse craindre
le pire. De la relation forte entre la France et l’Arménie illustrée par le
roman de Franz Werfel et les combats de Missak Manouchian et des FTP-MOI à la
duplicité de la Russie en passant par ce devoir de mémoire qui nous oblige tous
vis-à-vis du premier génocide du 20e siècle, il est temps de pousser
les portes de ce deuxième épisode de bibliothèque arménienne.
Franz Werfel, Les 40 jours du Musa Dagh, Albin Michel
Publié il y a tout juste 90 ans,
alors que les nazis arrivaient au pouvoir et condamnèrent le livre au bûcher, Les
40 jours du Musa Dagh demeure encore aujourd’hui l’un des grands
témoignages littéraires du génocide arménien. Ecrit par Franz Werfel
(1890-1945) qui fut l’ami de Franz Kafka, le roman raconte l’incroyable
sauvetage de plusieurs milliers d’Arméniens réfugiés sur le fameux Musa Dagh
(Mont Moïse) par la marine française. Le lecteur suit ainsi avec passion cette
communauté arménienne emmenée par Gabriel Bagradian et ses amis combattants.
« Chassé de sa terre,
persécuté pour sa fidélité à sa croyance religieuse, le peuple arménien, paril
au peuple juif, a su s’adapter aux incertitudes du présent en demeurant
enraciné dans la mémoire immuable, mémoire collective où la mort elle-même est
vaincue, car le souvenir de la mort y est reçu comme un signe, comme un clin
d’œil de l’éternité » écrit ainsi dans la préface du livre, Elie
Wiesel, prix Nobel de la paix en 1986.
Certaines scènes vous marqueront
à jamais notamment celle de la rencontre entre le pasteur Johannes Lepsius,
bien décidé à sauver les Arméniens, et Enver Pacha, l’un des instigateurs du
génocide. Les 40 jours du Musa Dagh ont ainsi contribué à édifier le
mythe du courage et du martyre arménien. Assurément un classique pour
comprendre l’âme arménienne.
Gaïdz Minassian,
Arménie-Azerbaïdjan, une guerre sans fin ? Anatomie des guerres
post-soviétiques 1991-2023, Passés composés, 368 p.
On aurait tort d’oublier le
Haut-Karabakh, ce territoire grand comme la Haute-Savoie coincé entre l’Arménie
et l’Azerbaïdjan qui se disputent son contrôle depuis près de trente ans. Car,
à bien des égards, nous dit Gaïdz Minassian, plume bien connue du journal Le
Monde, le Haut Karabakh est un volcan.
Un volcan né à la chute de l’URSS
et dont il est devenu l’un des symboles en matière de conflit frontalier
post-soviétique et de rivalités géopolitiques entre Russie, Turquie et Iran. Un
volcan que l’on a peut-être cru gelé mais qui ne fut jamais éteint. Un volcan
qui s’est formé souterrainement depuis 1919 entre massacres, guerres
mémorielles, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et principe d’intégrité
territoriale. Un volcan enfin sur lequel dansent des dictateurs ayant lu leur
Mackinder, l’un des pères de la géopolitique moderne, et qui voient dans cette
zone allant de l’Ukraine à l’Asie Mineure, une partie du cœur du monde à
contrôler afin d’assurer leur sécurité. Un livre d’histoire mais surtout un
avertissement.
Susanna
Harutyunyan, Le village secret, traduit de l’arménien par Nazik Melik
Hacopian Thierry, Les Argonautes, 224 p.
Voilà assurément un roman qui vous marquera pour longtemps. Susanna Harutyunyan, figure majeure de la littérature arménienne nous fait entrer dans ce village secret niché sur les bords paradisiaques du lac Sevan situé à quelques 1900 m d’altitude. Ici « dans le noir profond se jouait un combat entre les sons de la nature et le silence de l’univers » écrit ainsi Susanna Harutyunyan. Personne ne connaît l’existence de ce village. Seul un homme, Harout, est chargé de sortir et de revenir de ce lieu qui accueille tous ceux qui fuient les convulsions de l’Arménie du début du 20e siècle. Il ramène avec lui des hommes et des femmes qui, cachés, ignorent tout de la position géographique de l’endroit que seuls les serpents peuplaient auparavant. Et gare à ceux qui trahissent le secret, ils sont bannis comme ceux du paradis retournant en enfer.
Une femme magnifique, « d’une
beauté éblouissante » va bouleverser cet équilibre : Nakhchoun.
Venant de Deir ez-Zor, elle est enceinte, victime d’un viol turc. La loi et
l’équilibre du village exigent que l’enfant soit tué. Mais ils sont deux, deux
jumelles à voir le jour. Le village hésite, se divise. L’équilibre est rompu.
Dans ce petit bijou littéraire
traduit magnifiquement en français qui enchevêtrent parfaitement contes
merveilleux, époques successives et portraits inoubliables, Susanna
Harutyunyan construit une sorte d’arche de Noé de pierre taillée dans les
flancs de ces montagnes devenues des personnages à part entière. Un très
grand livre sur l’altérité mais surtout sur la puissance de la vie.
Jean-David Morvan, Thomas
Tcherkézian, Missak, Mélinée et le groupe Manouchian, les fusillés de l’affiche
rouge, Dupuis, 160 p.
Les entrées de Missak et Mélinée
Manouchian au Panthéon sont venues consacrer l’engagement de ces étrangers qui
défendirent la France, notamment ceux venus d’Arménie, renforçant par la même
occasion nos liens infectibles avec l’Arménie.
Cette très belle bande-dessinée
rappelle avec force cette histoire. Elle est signée Jean-David Morvan,
scénariste prolifique qui depuis quelques années s’est spécialisé dans les
sujets historiques qu’il s’agisse de la Première guerre mondiale ou de la déportation.
Il s’est associé pour l’occasion à un jeune dessinateur bourré de talent qui
fera certainement parler de lui à l’avenir,Thomas Tcherkézian. Tous les
deux délivrent un album plein de rythme et de force qui a des airs de comic
book. Cela tombe bien, Missak Manouchian demeurera à jamais l’un de nos super
héros.
Raymond
Kevorkian, Parachever un génocide. Mustafa Kemal et l’élimination des rescapés
arméniens et grecs (1918-1922), Odile Jacob, 412 p.
Il
ne fallait laisser aucun survivant. Non content d’avoir exterminé près d’un 1,1
million d’Arméniens, le pouvoir ottoman puis turc fut bien décidé à traquer et
à tuer tous ceux qui avaient échappé à la mort et aux massacres. C’est l’objet
du livre passionnant de Raymond Kevorkian, l’un des grands spécialistes du
génocide arménien. Dans cette enquête historique, dernière brique d’une oeuvre
de plusieurs décennies de recherches et d’ouvrages, Raymond Kevorkian évoque
ainsi cette question assez peu connue. Car tout ne s’est pas arrêté en 1915,
loin de là.
La
fabrication de l’Etat-nation turc a nécessité le sang de ces minorités
arméniennes surtout mais également grecques et syriaques qui constituaient des
obstacles à l’homogénéisation de ce qui allait devenir la Turquie moderne. A
l’aide d’archives inédites, Raymond Kevorkian montre ainsi la continuité de
cette politique qui traversa les différents régimes qui se succédèrent entre
1918 et 1923. Un ouvrage percutant qui permet également de comprendre la
Turquie d’aujourd’hui.
Archavir Chiragian, La dette de sang, un Arménien traque les responsables du génocide, éditions Complexe, 332 p.
Imaginez le film Munich de Steven
Spielberg qui relate la traque et l’élimination des terroristes responsables du
massacre des athlètes israéliens aux JO de Munich en 1972 et déplacez le un
demi-siècle plus tôt toujours en Allemagne et vous aurez La dette de sang.
Nous sommes en 1921-1922, le
génocide des Arméniens a eu lieu quelques années plus tôt ordonnés par les
dirigeants d’un empire ottoman qui n’existe plus. Ces derniers ont trouvé
refuge en Allemagne, en Géorgie ou à Rome. Dans les rues de Berlin des hommes
rôdent, prêts à se venger. Ils ont organisé l’opération Némésis, du nom de la
déesse grecque de la vengeance. Archavir Chiragian fut l’un des hommes de cette
opération. Il nous relate cette dernière que l’on suit pas à pas sur les traces
de Fatali Khan Khyski, président du conseil des ministres de la république
d’Azerbaïdjan et de Talaat Pacha. Un livre qui se lit comme un thriller.
Hans-Lukas
Kieser, Talaat Pacha, l’autre fondateur de la Turquie moderne, architecte du
génocide des Arméniens, traduit de l’allemand par Ulubeyan Gari, CNRS éditions,
616 p.
De
Talaat Pacha, il en est justement question dans cette biographie passionnante.
L’historien allemand Hans-Lukas Kieser dresse le portrait de celui qui fut, en
tant que Grand Vizir, l’un des maîtres de l’empire ottoman finissant mais
également en tant que ministre de l’intérieur, l’architecte du génocide
arménien.
Le
livre récompensé par les trophées littéraires des Nouvelles d’Arménie
2024 avance en clair-obscur. Côté lumière, il montre un homme
défendant une conception de la nation qui le place clairement comme un
précurseur de Mustapha Kemal. Côté ténèbres, Hans-Lukas Kieser s’attarde sur
l’élaboration du génocide des arméniens au nom d’un nationalisme meurtrier qui,
lui-aussi, allait s’avérer précurseur, en annonçant ces génocides à venir
quelques vingt ans plus tard. Un nationalisme qui déjà bénéficia de complicités
actives et passives de certains voisins de l’empire ottoman.
The
Gurdjieff Ensemble, Levon Eskenian, Zartir, ECM label
Georges
Gurdjieff (1872-1949) fut un mystique, philosophe et compositeur arménien qui
développa une méthode développement de soi visant à atteindre un état de pleine
conscience baptisé la Quatrième voie, que l’on peut rapprocher du
soufisme etpeut trouver des formes musicales.
Le titre du troisième album de Levon Eskenian et son ensemble Gurdjieff, Zartir tire son nom d’une chanson populaire arménienne, Zartir lao qui appelle à la lutte contre les Turcs. S’il s’inspire moins de la philosophie Gurdjieff, ces nouvelles compositions qui donnent la part belle aux danses sacrées relèvent plutôt des bardes traditionnels arméniens qui sillonnèrent le pays. La musique de Levon Eskenian avec sa dimension ésotérique qui semble venir du fond des âges attrape immédiatement son auditoire. Elle puise, avec ces magnifiques duduk, dans quelque chose d’ancestral qui touchera l’âme de chacun. Quelque chose de féerique qui semble sortir d’un conte, d’une histoire mille fois racontée et comme échappée d’une bibliothèque où se mêle savoir, croyances et cette langue unique.
C’est toujours un plaisir que de se rendre au concert dans la salle du Munsterhof dont la beauté visuelle le dispute à l’excellence de son acoustique.
Le soir du lundi 18 mars, invités par le Centre Musical de la Krutenau, Charlotte Juillard, violon solo au Philharmonique de Strasbourg depuis dix ans, et ses collègues et amis Thomas Gautier, violoniste, Harold Hirtz, altiste et Alexander Somov, violoncelliste, eux-mêmes solistes ou anciens solistes à l’orchestre, offraient un concert de musique de chambre, tour à tour à deux, trois et quatre voix. Dès le duo pour violon et violoncelle op.7 de Zoltan Kodaly, joué avec intensité et concentration, on pressent un concert des plus soigneusement préparés. De cette composition écrite en la terrible année 1914 et dont les quatre mouvements offrent des traits avant-gardistes d’époque, la violoniste et le violoncelliste restituent parfaitement l’atmosphère méditative et anxieuse. C’est une toute autre ambiance, plus détendue et festive, qui émane de la sérénade op.10 de cet autre musicien, hongrois lui aussi et de la même génération que Kodaly : Ernö Dohnanyi. Compositeur, pianiste et chef d’orchestre, il fut le grand-père de Christoph von Dohnanyi, chef d’orchestre contemporain des plus respectés. Si, à l’instar de Bartok et de Kodaly, Dohnanyi puise aussi une part de son inspiration dans le folklore hongrois, son écriture est en revanche bien plus traditionnelle. Sa sérénade op.10 aura, en tout cas, permis au trio violon-alto-violoncelle de faire entendre la beauté de ses instruments, flattés par l’acoustique du lieu.
La
soirée s’achevait avec un chef d’oeuvre de la musique de
chambre, le neuvième quatuor de Beethoven, l’Opus 59 n°3,
troisième et dernier de la série des Razoumovsky.
Oeuvre
d’une puissance expressive exceptionnelle, avec un allegro initial
d’un héroïsme flamboyant, un mouvement lent d’une densité
poignante, un menuetto
qui
n’en est pas vraiment un et une incroyable fugue finale, anticipant
les derniers quatuors du compositeur. Dès le premier mouvement, on
est saisi par l’homogénéité et la virtuosité de ces quatre
musiciens qui donnent l’impression d’un ensemble constitué
depuis des lustres alors que, même s’ils se connaissent bien, ils
ne sont réunis que pour l’occasion. On est aussi emporté par leur
engagement, leur enthousiasme et leur prise de risques : à
l’écoute du tempo très vif, adopté par l’altiste Harold Hirtz
à l’entrée de la fugue finale, on ne peut qu’admirer la
propreté et la clarté de son jeu, et de celui de ses comparses.
Au-delà de cette virtuosité commune, ce fut aussi et surtout une
grande interprétation de ce neuvième quatuor, dans un style assez
différent des tendances plus analytiques à l’oeuvre ces dernières
décennies et renouant avec une manière de jouer particulièrement
lyrique, usant souvent d’un très beau
legato
et rappelant, de façon étonnante, le jeu de certains grands
ensembles d’antan comme le Quatuor
Busch
(dans les années 1930-40) ou, plus près de nous, le
Quartetto Italiano.
Ainsi interprété, cet Opus 59 n°3 annonce, non seulement le
modernisme de la dernière musique de chambre de son auteur, mais
aussi le romantisme tardif d’un Johannes Brahms.
Dans
un tout autre esprit, il faut aussi féliciter la mairie de La
Wantzenau et le chef Philippe Hechler pour leur entreprise de
représenter sur scène l’opéra de Verdi, La
Traviata,
dans la transcription pour orchestre d’harmonie due à Lorenzo
Pusceddu. Pour ce faire, l’Orchestre d’Harmonie de La Wantzenau
fut mobilisé, en même temps que constitué un choeur d’amateurs,
au demeurant aguerris, et trois chanteurs solistes engagés. Dans
cette adaptation de l’opéra de Verdi, les dialogues sont remplacés
par un récit de l’action, remarquablement narré par l’acteur
Christophe Feltz. De même toutes les scènes chorales furent jouées
avec beaucoup de verve et de justesse, grâce au minutieux travail de
préparation accompli pendant six mois par l’équipe chorale sous
la direction de Gaspard Gaget, jeune chef de choeur doté d’une
déjà longue expérience. Dans une mise en scène sobre et efficace
de Lysiane Blériot, heureusement dépourvue des extravagances et
absurdités aujourd’hui visibles sur beaucoup de scènes, les deux
protagonistes Alfredo (Lee Namdeuk) et Violetta (Véronique Laffay)
emportèrent l’adhésion. Les musiciens de La Wantzenau et leur
chef, monsieur Hechler, restituèrent l’oeuvre avec justesse et
précision. Seule petite réserve concernant la sonorisation :
dans l’acoustique assez mate de la salle du Fil
d’eau,
elle était surement nécessaire, notamment pour les voix ; mais
peut-être eût-elle gagné avec quelques décibels en moins.
Quoi
qu’il en soit, ces deux représentations de La
Traviata, les
vendredi 15 et dimanche 17 mars témoignent du niveau artistique que
peuvent atteindre des musiciens amateurs sérieusement préparés et
profondément motivés.
Parmi les 4240 candidatures émanant de 74 pays dont 19 venues du monde arabe, soit une hausse de 34 % par rapport à l’an passé ce qui traduit incontestablement un regain de notoriété mais également comme le rappelle le Dr Ali Bin Tamim, secrétaire général du Sheikh Zayed Book Award « la richesse culturelle et la vitalité intellectuelle du paysage littéraire arabe d’aujourd’hui », ce dernier a communiqué ses finalistes dans les différentes catégories du prix.
Parmi
ces derniers figurent quelques écrivains à surveiller. Et en premier lieu, dans
la catégorie reine, celle de la littérature, l’auteure égyptienne Reem
Bassiouney, victorieuse du prestigieux prix Naguib Mahfouz en 2020 pour son
livre The Mamluk Trilogy et qui fait figure de favorite avec son nouvel
ouvrage Al Halawani: The Fatimid Trilogy (The Sicilian, the Armenian, the
Kurd) qui raconte à travers les figures de Jawhar Al-Siqilli (Le Sicilien)
général fatimide de la fin du Xe siècle qui fonda la ville du Caire
(al-Qahirah) et la grande mosquée al-Azhar, Badr Al-Djamali (L’Armenien), cet
ancien esclave arménien devenu général et Youssef Ibn Ayoub, plus connu sous le
nom de Saladin (Le Kurde), général victorieux des croisés à Hattin en 1187, l’
histoire de cette dynastie descendante du prophète qui régna sur l’Egypte. Son
livre est intitulé Al Halawani « le confiseur », surnom donné
à Jawhar Al-Siqilli qui fut un confiseur avant d’embrasser une carrière
militaire.
Non traduite pour l’instant en français, cette incroyable histoire délicieuse comme une boîte de katayef, ces pâtisseries farcies de crème de lait ou de pistaches, séduira à n’en point douter les lecteurs français dans un proche avenir. Reem Bassiouney aura face elle l’écrivain jordanien Jalal Barjas, lauréat de l’International Prize for Arabic Fiction en 2020, avec son nouveau livre The Duduk’s Whimper et l’écrivain et journaliste libanais Hassan Daoud dont les livres notamment Cent quatre-vingt crépuscules (2010) ont été publiés en France chez Actes Sud.
Dans la catégorie jeune auteur, plusieurs romanciers et essayistes figurent parmi les finalistes. Parmi eux, Mustapha Rajouane, déjà sélectionné en 2021 et qui revient avec Vivre pour raconter : l’imagination éloquente dans Kalīla wa-Dimna (Na’eesh li-Nahki: Balaghat al-Takhyeel fi Kalila wa Dimna, Publishing and Distribution House, 2023). Il disputera le prix à deux universitaires, le yéménite Dr Alawi Ahmed Al Malgam pour La sémiotique de la lecture : une étude de l’interprétation du Diwand’Al-Mutanabbi au septième siècle (Simya’iyat al-Qira’a: Dirasa fi Shurooh Diwan al-Mutanabbi fi al-Qarn al-Sabe’ Hijri (Kunouz Al-Ma’refa Publishing and Distribution House, 2023) et le tunisien Dr Houssem Eddine Chachia pour Le paysage morisque : récits d’expulsion dans la pensée espagnole moderne (Al Mashhad al-Moriski: Sardiyat al-Tard fi al-Fikr al-Espani, Centre for Research and Knowledge, Intercommunication, 2023)
La France sera à nouveau représentée dans la catégorie culture arabe dans une autre langue où Florence Ollivry, autrice d’un Louis Massignon et la mystique musulmane : analyse d’une contribution à l’islamologie (Brill, 2023), tentera avec cet ouvrage consacré au grand islamologue français de succéder à Mathieu Tillier, couronné l’an passé. Elle aura pour concurrents deux universitaires allemands (Thomas Bauer et Frank Griffel), l’italienne Antonella Ghersetti et l’américain Eric Calderwood, auteur du remarqué On earth or in Poems : Many Lives of al-Andalus (Harvard University Press, 2023). Côté traduction, Italo Calvino dont on a fêté le centenaire de la naissance en 2023, Arthur Schopenhauer et Giambattista Vico seront à l’honneur.
Tous les finalistes du Sheikh Zayed Book Award seront une fois de plus placés sous le patronage du département de la culture et du tourisme d’Abu Dhabi et de son centre de langue arabe présidé par le docteur Ali Bin Tamim. Chaque lauréat se verra remettre un chèque de près de 187 000 euros lors de la Foire Internationale du livre d’Abu Dhabi qui se tiendra du 29 avril au 5 mai 2024.
Le Québec sera l’invité d’honneur de la prochaine édition
du Festival du livre de Paris. L’occasion de découvrir cette littérature
atypique
Malgré
son incontestable richesse, la littérature québécoise reste encore méconnue de
ce côté-ci de l’Atlantique. Quelques auteurs ont bien réussi à percer ces
dernières années comme Heather O’Neill dont on garde encore en tête son
merveilleux roman Les enfants de coeur (Seuil, 2018) pourtant écrit en
anglais et qui présentera cette année Perdre la tête (Les
Escales, 2024), une sombre histoire d’amitié féminine dans le Montréal de la
deuxième moitié du XIXe siècle, ou plus récemment Eric Chacour qui a
rencontré un succès mérité pour sonCe que je sais de toi (Éditions
Philippe Rey, 2023) récompensé à juste titre par le prix Femina des lycéens
l’an passé, deux auteurs qui seront présents lors de cette nouvelle édition du
festival du livre de Paris. Pourtant, la Belle Province recèle de nombreux
auteurs de talent à découvrir qui, à l’instar de leurs homologues africains
notamment, concourent à enrichir et à magnifier une langue française en
perpétuelle évolution.
Aujourd’hui le Quebec publie près de 6000 livres chaque année et
le monde éditorial québécois témoigne avec plus de 175 maisons d’édition agréées par le
ministère de la Culture et des Communications du Québec, d’une
extraordinaire vitalité. Et certaines ont ainsi décidé de partir à la conquête
des librairies françaises notamment Heliotrope, maison d’édition
fondée à Montréal en 2006 qui publie de la littérature, des livres illustrés,
des essais et depuis 2015, des romans noirs. Elle sera présente à Paris en
compagnie de trois auteurs : Vincent Brault qui, à travers son roman Le Fantôme de
Suzuko (2021), évoquera lors
d’une rencontre la recherche impossible d’une amoureuse disparue dans les rues
de Tokyo, Martine Delvaux (Thelma, Louise
et moi, 2021) qui refait le film de sa vie à travers le célèbre
long-métrage qu’elle évoquera lors d’un débat, le 13 avril autour du féminisme
et André Marois qui viendra présenter La Sainte Paix sortie l’an passé.
D’autres auteurs bien installés dans les catalogues des grandes
maisons d’édition viendront également à la rencontre de leur public. En premier
lieu Dany Laferrière, écrivain haïtien désormais immortel et résidant à
Montréal qui partagera maximes, réflexions commentées et rêveries tirées de son
dernier livre, Un certain art de vivre paru chez Grasset l’an passé. Il
sera accompagné de Dominique Fortier qui reviendra dans son dernier livre, Les
ombres blanches, sur la poésie et le deuil de la poétesse britannique Emily
Dickinson, sujet de son magnifique roman précédent, Les Villes de papier, qui
avait obtenule Prix Renaudot en 2020.
Ces moments de partage et de
découverte autour de la littérature québécoise inciteront certainement un
certain nombre de lecteurs à se tourner vers quelques romans parus ces
dernières semaines et qui séduiront à coup sûr de nouveaux lecteurs à commencer
par le puissant Mykonos d’Olga Duhamel-Noyer, directrice littéraire des
éditions Heliotrope. Ce court roman au style incisif dépeint au vitriol ce
paradis de la jet-set à l’occasion de la virée de cinq amis. Ces derniers
auraient pu y rencontrer Anaïs, l’héroïne de Prendre son souffle, le
dernier né des romans de Geneviève Jannelle publié dans une autre maison
d’édition qui souhaite s’implanter en France, Québec Amérique. Mais voilà Anaïs
a rencontré Eden et le coup de foudre fut immédiat. Mais la foudre est devenue
drogue avec son addiction mortifère qui contamine les protagonistes de ce
roman. Bientôt l’addiction deviendra poison. On vous laisse imaginer la suite.
Côté essais, l’œuvre à découvrir est assurément celle de Jean-François Beauchemin, essayiste prolifique récompensé par de nombreux prix internationaux. Qu’il s’agisse des Archives de la joie, petit traité de métaphysique animale ou Le vent léger (tous deux chez Québec Amérique), chronique d’une famille au début des années 1970 qui interroge sur les notions de destin et de fatalité, les livres et la pensée de Jean-François Beauchemin ne vous laisseront pas insensibles tout comme cette merveilleuse littérature québécoise qui, à l’image des Invasions barbares de Denys Arcand, sait plonger, mieux que personne, dans les tréfonds de l’âme humaine.
Un des spectacles qui fera date dans cette saison du Maillon, celui de la franco-brésilienne Maroussia Diaz Verbèque directrice de la Cie Le Troisième Cirque qui nous offre un voyage au Brésil de la plus étonnante et ludique façon qui soit. Et d’abord en nous faisant part de son bonheur d’enfin avoir pu réaliser ce spectacle différé ces dernières années en raison de la venue au pouvoir de Bolsonaro, véritable destructeur de la culture au Brésil et de l’épidémie de covid. La réalisatrice qui se définit comme circographe (néologisme pour parler d’une forme originale du cirque, un cirque qui parle et peut faire surgir le politique) a rassemblé trois circassiennes, Beatrice Martins, Julia Henning, Maira Moraes du collectif Ver de Brasilia et trois artistes brésiliens, venus de Rio, Recife et Salvador, engagés par la Cie Le Troisième Cirque, Lucas Cabral Maciel, Marco Motta, André Oliveira.
Véritable festival de jeux qui mettent en valeur la
créativité des artistes, leur audace à réaliser des numéros on ne peut plus
délicats comme celui de la fakiriste, Maira marchant avec précaution mais
tranquillité sur un tapis de verre cassé ou sur des bougies de chauffe-plat allumées,
évidemment impressionnant comme le seront bien d’autres performances. On nous
en annonce 23, elles seront en réalité 36, c’est dire combien nous avons eu d’occasions
de nous régaler allant de surprises en émerveillements.
Les artistes règnent en maitres sur des objets hétéroclites venus du quotidien, tel marche sur des jouets qui couinent quand on les écrase, Béatrice avance avec application sur une bâche à bulles qui émet de petits claquements à chaque pas. Mais bientôt on a le souffle coupé en voyant Julia escalader en talons une pyramide constituée de tabourets et de bouteilles superposés et on admire son sang-froid tandis qu’elle est aux prises ce fragile équilibre.
Les performances se succèdent à un rythme soutenu, toujours accompagnées de musique et chose remarquable tous les acteurs sont aussi régisseurs, s’empressant d’apporter les objets nécessaires aux numéros à réaliser ou débarrassant promptement la piste de ce qui ne sert plus. Une entente et une complicité sans faille. Si on casse des bouteilles on ramasse les morceaux dans un bac, s’il faut annoncer de prestations on apporte des paillassons avec inscription adéquates. Tout se décline dans la bonne humeur, avec une grande liberté de ton qui fait que toutes les disciplines sont convoquées, la poésie avec ce survol du cerf-volant ou ce défilé de parapluies, la tendresse avec ces baisers interrompus gentiment par l’irruption de ballons entre les partenaires. Et puis les danses dans lesquelles excellent Lucas pour la samba, André pour la danse urbaine acrobatique, d’une virtuosité éblouissante, sans oublier les prestigieux numéros de trapèze où Marco aux sangles livre son corps à de prodigieuses contorsions et où on suit Julia faire l’ascension d’une corde garnie de bouteilles.
Sans esbrouffe avec une simplicité apparente, ces artistes qui sont danseurs, acrobates, équilibristes, trapézistes nous ont emmenés dans le monde du jeu, où l’incroyable devient possible par la magie de leur talent et nous ont donné de vivre un moment d’espoir et de joie .