Chef d’œuvre absolu qui transcende les générations. Inadaptable.
Avec Fondation d’Isaac Asimov et Hypérion de Dan Simmons, Dune
demeure l’une des plus importantes sagas littéraires de science-
fiction. A l’occasion de la sortie du film de Denis Villeneuve qui
prouve que rien ne résiste à l’industrie cinématographique et qu’il
existe toujours un œil, pourvu que celui-ci soit talentueux, pour
matérialiser la vision d’un créateur, Dune effectue un nouveau
retour. Une fois de plus. Depuis maintenant près d’un demi-siècle, le cycle de Frank Herbert continue à occuper le devant de la scène
éditoriale. Les sables du temps n’ont donc pas recouvert cette œuvre quand tant d’autres disparaissent ou vieillissent terriblement mal. Pourtant, l’œuvre a mis du temps à s’imposer en France, car le genre était peu estimé et il s’agissait d’« un gros livre, d’un auteur inconnu, dont l’action ne démarrait vraiment qu’au-delà de cent pages au moins, qui était assez obscur, tortueux et demandait de l’attention » comme le rappelle Gérard Klein, le découvreur français de Dune, auteur et créateur de la collection Ailleurs et Demain chez Robert Laffont dans le magnifique ouvrage Tout sur Dune, sorte de Bible définitive sur l’œuvre de Frank Herbert où le passionné comme le néophyte retrouvera l’auteur, l’univers, les personnages, les adaptations et une série de réflexions sur la saga. Pour autant, comment expliquer cette permanence qui passe à travers les générations ? Comme expliquer cet engouement qui n’a jamais faibli ?
La première des raisons tient d’abord à sa qualité littéraire. Dune est
avant tout une œuvre majeure de la littérature que l’on aime la
science-fiction ou pas, et comme peuvent l’être les grands
classiques. « C’est un immense roman, bien sûr ! Pourquoi pensez-vous
que nous lisons toujours Anna Karénine ou Guerre et Paix ? Je suis surtout
surpris que le succès n’ait pas été aussi étendu et rapide chez nous »
poursuit Gérard Klein. Pour peu que l’on gratte le vernis de la
science-fiction, considéré longtemps comme un genre mineur de la
littérature, Dune comporte tous les ingrédients des grandes
histoires. A l’instar d’un Howard Philipps Lovecraft ou plus
récemment d’un Stephen King qui ont mis du temps à trouver leur
juste place dans la littérature américaine d’abord puis mondiale
ensuite, Frank Herbert (1920-1986) reste encore assez méconnu. Et
le travail qu’il réalisa fut digne des Zola ou des Balzac comme se plaît
à le rappeler Fabien Le Roy (interview ci-après). De plus, la mode
actuelle des récits littéraires dystopiques offre également une
nouvelle jeunesse à l’œuvre d’Herbert.
Outre sa qualité littéraire intrinsèque, le cycle de Dune porte en lui
une profonde réflexion écologique qui a trouvé durant ces cinquante
dernières années des échos réguliers et plus particulièrement
aujourd’hui avec les rapports alarmistes sur la planète. La quête et
l’exploitation de l’épice, métaphore des énergies fossiles, l’absence
d’eau comme élément nécessaire à toute vie ne peuvent
qu’interpeller le lecteur à une époque de raréfaction des ressources
naturelles et de montée de tensions géopolitiques autour de l’eau.
Avec cet élément que la nature reprendra toujours ses droits. C’est
ce qui a marqué Denis Villeneuve, le réalisateur du film qui signe
l’une des préfaces de la nouvelle réédition du livre chez Robert
Laffont: « C’est pour moi l’image la plus forte du roman : l’humain devant
imiter la nature le plus humblement possible afin d’y survivre »
L’exploitation de la planète Arakis par des puissances étrangères
successives (les Harkonnen puis les Atreïdes) et la résistance de
leurs habitants, les Fremen, inspirés des Bédouins, interpellent
fatalement sur le droit des peuples à disposer de leur terre et sur
cette liberté confisquée au nom d’intérêts économiques. Ces formes
d’asservissement et le destin de Paul Atreïdes, décidé à briser ces
dernières, ont fait de Dune, un manifeste célébrant résistance et
quête de liberté tout au long d’époques marquées successivement
par le colonialisme, la décolonisation, la guerre froide et l’imposition
de la démocratie par des puissances extérieures. En plus de sa
dimension littéraire et écologique, Dune dispense un message
politique renforcé par les derniers tomes de la saga.
Enfin, lorsqu’on parle de quête, il est impossible d’ignorer celle qui,
spirituellement, se dégage de Dune. Cet élément théologique que
l’on rattache à un syncrétisme avec des tendances islamiques, juives
avec le Talmud et la Kabbale ou chrétiens évangéliques a contribué
au succès de l’œuvre. Cependant, « dans Dune, les religions n’ont pas de
réalité transcendantale ; les expériences auxquelles elles offrent accès
relèvent d’expériences psychologiques plus que véritablement mystiques »
estime cependant Sarah Teinturier, chargée de cours et spécialiste
des religions à l’université de Sherbrooke dans Tout sur Dune. En ces
temps d’exacerbation des identités religieuses, cette dimension,
mêlée à d’autres, a ainsi continué à entretenir une fascination qui n’a
jamais faibli.
Par Laurent Pfaadt
A lire :
Frank Herbert, Le cycle de Dune, 6 tomes, traduction revue et corrigée,
collection « Ailleurs & Demain », Robert Laffont.
Tout sur Dune dirigé par Lloyd Chéry,
Editions de l’Atalante & Leha, 304 p.
Pour tous ceux qui veulent s’immerger dans l’univers de Dune, nous leur conseillons les jeux de société Dune et Dune Betrayal
chez Gale Force Nine et Legendary.