31ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer.
C’était iy a trente ans, au début du mois de février 1994. Fantastic’Arts naissait au coeur des Vosges à Gérardmer. Le festival prenait la suite du Festival International du Film Fantastique d’Avoriaz, qui s’était tenu dans la station de sports d’hiver de 1973 à 1993. Aujourd’hui la ville de Gérardmer est indissociable du festival, qui rayonne au-delà de nos frontières avec toute sa ribambelle de films primés. La manifestation s’est étoffée progressivement, offrant de nombreux événements en ville, des rencontres littéraires au Grimoire, des masterclass avec d’éminentes figures du Septième Art et de la littérature, des ateliers destinés au jeune public et, il n’y a pas si longtemps, des zombies walks qui grouillaient dans les rues de la ville. La horde bravait des conditions météo parfois rudes.
Pour sa 31ème édition, le festival avait convié deux grands noms de la littérature française pour chapeauter les deux jurys de films en compétition. Bernard Werber (il fait partie du décors, étant quasiment présent à chaque édition) pour le Jury Longs-Métrages, et Bernard Minier pour le Jury Courts-Métrages. Pour départager les 10 films en compétition, Bernard Werber était accompagné de Clovis Cornillac, Jean-Paul Salomé, Caroline Anglade, Sébastien Vaniceck, Mathieu Turi, Mélanie Bernier et Charlotte Gabris. De son côté, l’auteur de polars Bernard Minier était entouré d’Adrien Ménielle, Alice Moitié, Monsieur Poulpe, et Mara Taquin. Sur les 5 jours que durait le festival, le Jury Courts devrait lui départager 5 œuvres. Tout au long de cette (trop?) courte manifestation les écrivains, comédiens, scénaristes, réalisateurs et photographes composant les jurys se sont rendus disponibles, en participant à des tables rondes, des interviews et de longues séances de dédicaces ouvertes au plus grand nombre à l’Espace Tilleul.
Cette année, les films visionnés ont abordé le Fantastique et son bestiaire sous toutes ses coutures. Vampires, sorcières, fantômes, mutants, loups garous, zombies, possessions et sectes en tout genre ont envahi les quatre (bientôt cinq ?) écrans de la ville pour le plus grand plaisir de tous, ces amateurs de sensations fortes venus des quatre coins de France.
Resvrgis, du réalisateur italien Francesco Carnesecchi, s’intéresse à l’émouvante figure du loup-garou, cette créature incomprise soumise aux caprices de la lune. Venu présenter son film à Gérardmer sur la scène de l’Espace Lac, le metteur en scène a tenu à rendre hommage à ses illustres aînés, les Dario Argento et Lucio Fulci de l’époque, qui avaient donné à la terreur à l’italienne ses lettres de noblesse, il y a une éternité. Si son respect pour le genre et son illustration du mythe sont sincères, ils ne permettent pourtant pas à son film de rivaliser avec les grands classiques. Reste quelques belles images (la scène finale) et une créature au look plutôt réussi. Resvrgis était en compétition, mais n’a pas remporté de prix .
Présenté Hors Compétition, le film québecois Vampire humaniste cherche suicidaire consentant a été notre petit coup de cœur. Présenté par sa réalisatrice Anne Louis-Seize sur la grande scène de l’Espace Lac, pendant cinq bonnes minutes, son film a été celui qui a recueilli le plus d’applaudissements. Nous l’aborderons plus en détail lors de sa sortie le 20 mars prochain. Sachez seulement qu’il s’agit de suivre la crise d’adolescence (68 ans tout de même !) de Sasha, une vampire qui ne peut se résoudre à mordre et tuer ses proies afin de se sustenter. Ce qui pose problème à ses parents, qui voudraient la voir prendre son envol. Sa rencontre avec Paul, un adolescent lunaire aux tendances suicidaires, va peut-être lui offrir la solution : il est d’accord pour lui offrir sa vie. Anne Louis-Seize a fait l’effort de rester pendant la projection ; elle a ainsi pu assister au tonnerre d’applaudissements qui a parcouru la salle quand les lumières se rallumèrent.
Kaidan, histoires étranges de fantômes japonais d’Yves Montmayeur, est un documentaire hors compétition sur la J-Horror (Japan Horror), et plus particulièrement sur le sous genre du film de fantômes. Bien que ne pouvant être exhaustif en 1H30, le film illustre la figure du fantôme à travers ses différentes expressions : les contes, le cinéma, le théâtre, la danse, la télévision, le manga. Un voyage peut-être un peu rapide, qui nous a toutefois permis de croiser de grands noms ayant touché au genre : Hideo Nakata, Kiyoshi Kurosawa, Takashi Shimizu, Junji Ito et bien d’autres.
Premier long-métrage de Romain de Saint-Jean Blanquat, La Morsure était présenté hors compétition. Le spectateur y faisait la connaissance de Françoise et Delphine, deux jeunes filles pensionnaires d’un lycée catholique. Supportant mal le carcan religieux, Françoise est persuadée qu’il ne lui reste plus qu’une seule nuit avant sa mort. Elle décide de faire le mur avec son amie, pour se rendre à une fête costumée non loin de là, et vivre pleinement cette dernière soirée. La ballade un peu brouillonne nous fait rencontrer une belle brochette de personnages, certains énigmatiques (mention spéciale à Frédéric Blin, bien loin de son rôle d’Estèves, le neveu des Raymond et Huguette de la série Scènes de Ménages), tous confrontés à des situations improbables. Les amateurs de canines acérées devront s’armer de patience, La Morsure ne partageant qu’un rapport ténu avec le Fantastique (nous n’en dirons pas plus, de peur d’éventer la surprise…). Reste quelques jolies scènes, et des dialogues parfois très justes.
Roqya de Saïd Belktibia aborde le thème de la sorcellerie. On y suit le quotidien de Nour, qui vit en faisant de la contrebande d’animaux exotiques qu’elle vend à des guérisseurs pratiquant la Roqya, cette médecine prophétique basée sur des méthodes de guérison occulte. Dans la banlieue de Paris, le trafic de Nour se développe, jusqu’au jour où une consultation vire au drame. Nour deviendra alors la proie d’une chasse aux sorcières, et aura fort à faire pour protéger la vie de son fils ainsi que la sienne.
Roqya s’appuie sur des comédiens qui ont fait leurs preuves : Golshifteh Farahani et Denis Lavant sont de la partie, entourés de comédiens moins connus, mais tout aussi convaincants.
Le film argentin When Evil Lurks de Demian Rugna était très attendu à Gérardmer. Avec son histoire de possession, son style épuré, sa mise en scène efficace, ses effets gore et son imaginaire sur le démon bien développé, le film s’appuyait sur des décors et une musique aux petits oignons. Pas un moment de répit pour le spectateur qui, ravi, n’en demandait pas tant, et imaginait dès le début le pire. Très bien accueilli, When Evil Lurks repartit de Gérardmer avec deux Prix, celui de la Critique, et celui du Public. Bien à sa place au cœur de cette 31ème compétition, le film mérite ses récompenses, et illustre parfaitement ce que l’on cherche à Gérardmer : un mal pernicieux, sournois, et surtout qui a la vie dure…
The Funeral du réalisateur turque Orçun Behran suivait l’étrange ballade de Celam, un conducteur de corbillard solitaire, chargé d’une étrange mission : ramener le cadavre d’un jeune fille à sa famille, dans un coin reculé du pays. Problème, la jeune fille n’est peut-être pas aussi morte qu’elle en a l’air. Roadtrip atypique, The Funeral alterne moments contemplatifs, scènes gores et visions poétiques, en nous faisant parcourir une Turquie aux paysages variés, aux côtés d’un comédien qui n’est pas sans rappeler un certain Nicolas Cage, les fans de l’acteur apprécieront…
Sélectionné dans le cadre de la compétition, Perpetrator de Jennifer Reeder affichait une certaine esthétique. Dans cette histoire en apparence très simple (un psychopathe enlève des lycéennes issues d’un même quartier) Jennifer Reeder fait quelque chose d’un peu plus original. On y suit la croisade de Jonny, une jeune fille qui subit une métamorphose à l’occasion de ses 18 ans. Elle décide de traquer le criminel. Dommage que le film n’exploite pas plus son imaginaire. Face à la caméra, on retrouve Alicia Silverstone et Chris Lowell, aux côtés de Kiah McKirnan, vue dans la série Vers les étoiles.
Présenté hors compétition, It’s a Wonderful Knife marquait le retour de Tyler MacIntyre à Gérardmer, 6 ans après son précédent film, Tragedy Girls. Venu présenter son œuvre sur la scène du Lac, le réalisateur américain s’est exprimé avec son débit mitraillette pendant cinq minutes, qui ont paru bien longues au maître de cérémonie David Rault, chargé pour l’occasion de la traduction. Le film est un slasher de Noël, moins cynique que Tragedy Girls, qui remplit honorablement son cahier des charges. Comme souvent, quand c’est bien conçu, comédie et coups de couteaux cohabitent bien.
The Forbidden Play marquait le retour d’Hideo Nakata en terres vosgiennes. Célèbre pour avoir contribué à la vague de films d’horreur asiatiques qui a déferlé sur le monde à la fin des années 90, avec Ring et plus tard Dark Water, le réalisateur nippon n’a rien perdu de son mordant. Il parvient toujours à susciter l’angoisse avec peu de choses. Son film est reparti bredouille, ce qui ne lui retire pas ses qualités.
Premier film du britannique Barnaby Clay, The Seeding récolta le Prix du Jury Jeunes de la Région Grand-Est. Dès l’ouverture le réalisateur pose une chape de plomb sur son histoire. Perte de repères, étouffement, claustrophobie et isolement sont au menu du récit, qui nous fait suivre le calvaire d’un randonneur égaré dans le désert. Venu photographier une éclipse solaire, il va venir en aide à un enfant égaré, et ne sera pas vraiment remercié pour son geste…
Récompensé par le Gand Prix du festival, le film coréen Sleep était le premier long-métrage de Jason Yu. En suivant l’existence d’un jeune couple confronté aux crises de somnambulisme du mari, le réalisateur nous plonge progressivement dans le Fantastique. Il est méthodique, prend le temps de poser les jalons de son récit, et la magie opère :le Fantastique est partout et nulle part à la fois. Derrière chaque manifestation du somnambulisme de l’époux se cache quelque chose, ou quelqu’un. Ancien assistant de Bong Joon-Ho, Jason Yu partage avec lui sa maîtrise des décors et de l’espace. Il fait de l’appartement qu’habite le couple un personnage à part entière (et pas des plus bienveillants). En récompensant Sleep, le Jury a salué un feel-good horror movie (dixit Jason Yu lui-même), qui confronte des personnages on ne peut plus normaux à des phénomènes qui ne le sont pas. Le fantastique et la comédie se partagent ici les rôles de la manière la plus naturelle possible. Le film est dédié au comédien Lee Sun-kyun, adulé en Corée,et disparu il y un mois et demi (on se rappelle de lui notamment dans la Palme d’Or du festival de Cannes 2019, le film Parasite de Bong Joon-ho.)
Premier long-métrage du jeune réalisateur Abel Danan (25 ans), La Damnée était sélectionné en compétition. On y suit le quotidien de Yara, une jeune marocaine venue étudier à Paris. Souffrant de troubles psychologiques, Yara va devoir lutter contre la folie alors que le confinement s’abat sur la ville. Dans son appartement les choses vont se compliquer, la jeune fille n’ayant plus aucun contact avec l’extérieur. Au cœur de cet étouffant huis clos le spectateur découvre, avec Yara, ses vraies origines. Partant de là, elle peut désormais grandir…
Comme chaque année, les films se sont enchaînés, nous entraînant dans un tourbillon incessant, nous faisant perdre nos repères. Il était en effet parfois difficile de savoir à quel moment de la journée on se situait, les jours se suivant, truffés de péloches qui -heureusement- ne se ressemblaient pas. Les films en compétition étaient homogènes, d’un bon niveau, et les bénévoles, sans lesquels la manifestation ne pourrait exister, toujours aussi sympathiques. On ne les changera pas, et c’est tant mieux. La météo, clémente, a permis aux festivaliers de se balader dans la ville et aux abords du lac, lieu incontournable de la ville s’’il en est (avec l’Espace Tilleul et son célèbre Grimoire). A l’heure du bilan, Pierre Sachot, Président de l’Association du Festival, a dévoilé les dates de la prochaine édition. Ce sera du 29 janvier au 2 février 2025. A vos agendas et surtout, ne manquez pas l’ouverture de la billetterie, afin d’acheter le précieux sésame. Cette année la mise en vente des PASS a battu des records de fugacité, les festivaliers espèrent que l’année prochaine l’organisation s’y prendra autrement. A voir…..
Jérôme Magne