Petites mains

un film de Nessim Chikhaoui

Nessim Chikhaoui avait réalisé Placés, sorti en 2022, nourri par son expérience d’éducateur. Il s’intéresse ici au monde des hôtels de luxe où une clientèle richissime côtoie sans les voir les hommes et les femmes qui y travaillent. Des mouvements sociaux avaient fait parler avec les « Kellys » en 2017, en Espagne, et en 2021, le groupe Accor avait cédé face à une grève de près de deux ans de l’hôtel Ibis Batignolles. Petites mains a été inspiré par ces luttes.


Les petites mains, ce sont les femmes de chambre de l’Aston Palace, Violette, Safiatou, Aïssata et toutes les autres qui font le ménage de ces chambres à 9000 euros la nuit pour un salaire de misère. Elles sont externes, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas employées par l’hôtel et sont envoyées par des sociétés de sous-traitance. De ce fait, elles n’ont pas les avantages des rares internes – prime, plateau repas, croissant du matin … surtout, elles sont sous-payées et exploitées dans des conditions de travail qui frisent la maltraitance : un aspirateur pour tout un étage et des produits d’entretien qu’elles doivent parfois elles-mêmes fournir à leurs frais. Les cancers liés à ces produits toxiques ne sont pas rares dans cette profession. Ces femmes se dévouent corps et âme avec la nécessité de nourrir leurs enfants et l’envie de les voir réussir leur vie. Aussi, les Cégétistes manifestent sous les fenêtres du Palace rejoints tous les jours par d’autres femmes de chambre qui n’en peuvent plus d’être invisibles, ni écoutées.

Eva, toute jeune venue, remplace l’une des grévistes. Elle est encadrée et formée par une interne, Simone, jouée par Corine Masiero qui, décidément, mérite bien d’autres rôles que celui du Capitaine Marleau. Elle est ce que ces femmes vont devenir le temps passant – corps malmené, perclus de douleurs à force de gestes épuisants et de charges à porter. Eva, c’est Lucie Charles-Alfred, révélée dans Placés et qui confirme ici un jeu pétillant et habité, prometteur pour les autres rôles que le cinéma ne manquera pas de lui offrir.

Petites mains traite un sujet sérieux sur un ton positif et joyeux. Les actrices qui jouent Violette, Safiatou et Aïssata : Salimata Kamate, Marie-Sohna Condé et Maïmouna Gueye, ont une énergie qui porte le film et elles offrent des moments de pure comédie. Ce sont pourtant des situations dont le réalisateur a entendu parler. Violette vient travailler avec les cheveux teints d’une couleur trop olé-olé et elle est obligée de se rendre chez le coiffeur pour en changer, perdant ainsi sa journée de travail et son salaire. Ou encore, une séquence désopilante dont il serait dommage de révéler le contenu, très charmante et incongrue, dénonce toutefois le caprice d’un client, de ces clients richissimes qui se croient tout permis. Scénario subtil co-écrit avec Hélène Fillières qui nous préserve des scènes plombées et posées au profit de la fantaisie dans un milieu aux codes rigides. Le contraste crée la surprise. Belle idée aussi, au cœur de l’enjeu de la réalisation, que le mode d’action choisi par les femmes de chambre pour se faire entendre des « patrons » : un défilé festif et musical sous les fenêtres du Palace pendant la Fashion Week, sous la houlette de Kool Shen, étonnante incarnation du syndicaliste à barbe en collier et lunettes carrées, porte-voix de ces femmes.

Face à ces mères résignées qui enfin se révoltent, Simone, femme au corps cassé est mise à la retraite prématurément, jugée inapte à travailler. Mais encore, c’est la tendresse et l’espoir qui prévalent avec des liens affectifs qui se nouent entre elle et un professeur de claquettes et avec Eva. Eva incarne la jeune génération pour qui rien n’est joué et qui peut, elle, décider de son destin. Eva mais aussi Ali, formidable Abdallah Charki, 1er rôle dans Ma part de Gaulois et bientôt dans la Saison 3 d’Hippocrate. Pour Les Petites Mains qui sort le 1er mai, tous les astres sont alignés pour que le film rencontre un joli succès.

Elsa Nagel