A la poursuite du diamant sonore

Le label The Lost Recordings retrouve et édite des enregistrements inédits

Amsterdam, sous-sol d’un bâtiment ultra-moderne ressemblant à une banque. Mais ici les diamants qu’elle contient sont d’une autre nature. Soudain, une musique retentit. Non pas celle de l’alarme mais d’un violoncelle. Les deux hommes venus de France se regardent, interloqués. « Incroyable » dit l’un tandis que l’autre, la gorge nouée, ne peut répliquer. Le fils du violoncelliste André Navarra accompagné du pianiste Frédéric d’Oria-Nicolas viennent d’écouter des enregistrements inédits du père de ce dernier. Ils ne le savent pas encore mais ils sont sur le point de s’engager dans une aventure musicale hors du commun qui va les conduire à l’autre bout du monde.


The Lost Recordings
Copyright Sanaa Rachiq

The Lost Recordings est né. Après cette expérience, les deux hommes se muent en véritables archéologues de la musique, engageant une course contre la montre afin de retrouver des enregistrements avant leur destruction par le temps. De Londres à Paris en passant par Berlin ou Prague, The Lost Recordings impulse ainsi, à partir de bribes d’informations, un immense travail de référencement. « Notre mission est de sécuriser un patrimoine musical avant qu’il ne tombe dans l’oubli et qui se désagrège » Et Frédéric d’Oria-Nicolas de plaider pour une initiative européenne en ce sens.

Piet Tullenar
Le chercheur et ami Piet Tullenar, archives Amsterdam

Leurs expéditions ont ainsi permis de ressusciter des concerts méconnus de Sarah Vaughan, Duke Ellington, Thelonius Monk, Dexter Gordon, Johanna Martzy et d’autres. De retrouver les bandes originales et de restaurer des œuvres connues comme ce Lucia Di Lammermoor de 1955 avec Maria Callas et Karajan que les amoureux de l’opéra ne connaissaient qu’à travers une copie pirate d’un obscur label italien et dont la version de The Lost Recordings a tiré des larmes aux meilleures sopranos. Parfois, nos aventuriers s’engagent sur une fausse piste mais leurs échecs les conduisent à de futures découvertes. Partis à Berlin sur les traces d’inédits d’Emile Gilels, le célèbre pianiste soviétique, suivant en cela les conseils du petit-fils de ce dernier, ils obtiennent des indices qui les ramènent à Amsterdam et une discussion avec leur compère des débuts, Piet Tullenar, sorte de Sallah Faisel el-Kahir du célèbre aventurier de Spielberg, et les voilà avec entre les mains l’un des plus grands enregistrements du génie du piano lors d’une tournée dans la capitale néerlandaise en 1976, devenu depuis l’un des plus grands succès du label.

Désormais identifié par près de 13 000 clients majoritairement à l’étranger, le label voit affluer du monde entier des informations sur des enregistrements oubliés avec parfois de petites histoires comme tirées d’un film d’aventures comme cette lettre d’un passionné qui arrive un jour dans leur studio en provenance de…Buenos Aires. Ce qui ne devait être qu’un morceau de papier va se transformer en miracle car suit alors un autre courrier avec des photos de bandes enregistrés au Teatro Colon et dans un club de jazz. Le début d’une nouvelle aventure que les passionnés découvriront très bientôt non pas sur grand écran mais sur leur platine.

Simon Garcia
Copyright Sanaa Rachiq

Et comme une évidence, c’est dans l’un des temples du jazz, à Marciac, lieu du plus grand festival français que The Lost Recordings a trouvé l’écrin de ses diamants sonores. « En Europe, personne ne fait des vinyles comme lui » lance sans hésitation Fréderic d’Oria-Nicolas. Lui c’est Simon Garcia, petit artisan du vinyle qui a monté son usine de production, Garcia & Co, après avoir sillonné le monde, convaincu l’un des grands patrons de l’industrie musicale, résisté aux mécènes qui voulaient dénaturer son idée et terrassé machines-outils allemandes. Et le qualificatif de diamants sonores pour ces disques de Sarah Vaughan, Chet Baker ou Erroll Garner n’est pas galvaudé puisque comme le rappelle Simon Garcia, « le pressage, c’est de la véritable horlogerie ».

Avec la passion qui bouillonne en lui tel un feu sacré, Simon Garcia et la société qu’il a créé en 2021 mettent un point d’honneur à réaliser des vinyles quasi parfaits et au son unique. Ainsi les mille vinyles qu’il sort chaque jour possèdent un temps de pressage de 33 secondes quand la majorité des disques sont réalisés en 18 secondes. « J’écoute les silences. Si le silence est bon, la musique est bonne » avoue Simone Garcia à propos de ses disques, « les Aston Martin du vinyle » selon Frederic d’Oria-Nicolas. Même si Simon Garcia reconnaît qu’il lui faut sortir de son modèle artisanal, son travail paie. Près de 80% de sa production part à l’étranger, essentiellement aux Etats-Unis pour le jazz et en Asie pour la musique classique. Et grâce à lui et à The Lost Recordings, ces diamants sont désormais éternels.

Par Laurent Pfaadt

Pour consulter le formidable catalogue de The Lost Recordings :

https://thelostrecordings.store

On ne saura trop vous conseiller en vinyle et Cds les enregistrements suivants :

SARAH VAUGHAN – LIVE AT THE BERLIN PHILHARMONIE 1969

DONALD BYRD & DEXTER GORDON – THE BERLIN STUDIO SESSION 1963

ERROLL GARNER – THE UNRELEASED BERLIN STUDIO RECORDING 1967