Anonymes de la bataille

VerdunIl y a cent ans débutait la
bataille de Verdun. Un livre
exceptionnel nous replonge dans cet évènement mythique de l’histoire de France

Le 21 février 1916 sur les bords de la Meuse tombaient les premiers obus d’une gigantesque bataille de 300 jours qui allait engloutir plus de 600 000
soldats français et allemands. Si le gain territorial demeura minime, l’impact psychologique sur toute une nation fut irréversible et allait changer le cours de la
Première guerre mondiale.

Pour parvenir à cet objectif, cette France qui ne fut jamais autant unie que face à un ennemi commun, allait ensevelir des milliers
d’hommes dans ces paysages lunaires.

La guerre vue à hauteur d’homme, voilà le parti pris de Michel
Bernard. Porté par une plume lyrique qui captive immédiatement, l’ouvrage suit ces milliers d’hommes dans les forts de Douaumont, Souville ou Vaux, lieu de résistance du commandant Raynal et de ses hommes, sur la côte 304 ou au Mort-Homme. Porté par
d’incroyables photographies comme celles de ces hommes du
2e régiment de marche de tirailleurs algériens s’octroyant un moment de repos ou de ces deux officiers d’Etat-major discutant dans le poste de commandement du bois de Lachalade, le récit traite à égalité les illustres généraux (Pétain, Joffre, Mangin, Nivelle) et les héros anonymes tels le soldat Jean Gauffre du 4e régiment de zouaves car, comme le rappelle l’auteur, « il y eut des moments où l’on sut un instant ce qu’était le courage humain » même s’il « n’y eut personne pour le voir et le raconter, pour dire le nom de l’homme et regarder son visage ».

Véritable hommage aux combattants, ce livre s’aventure aussi bien au feu qu’à l’arrière du front, au milieu de la noria des camions, dans la boue de mars ou sous le soleil implacable de juin. Il montre avec émotion l’intimité des soldats mangeant, dormant, écrivant une dernière lettre ou agonisant. Et l’on se demande alors : celui-ci est-il mort le lendemain ? Celui-là a-t-il revu sa famille ou sa lointaine contrée ?

Toutes les France y sont représentées : celle des villes, des campagnes, de la métropole ou des colonies et qui ont fini par former une seule et même nation en armes, symbolisée dans cette armée de Verdun qui était finalement selon l’auteur « cette déchirure qui séparait chaque jour, dans un cri monotone de souffrance, les vivants, les sanglants, les morts ».

Admirablement écrit, ce livre plein de vie et de mort montre combien la bataille de Verdun changea à jamais le visage de la France et de l’Europe. Il permet surtout au lecteur de prendre conscience de ce qui s’est joué là-bas, au-delà du simple affrontement entre deux armées. C’est la République et la nature même de la France qui en ressortirent transformées à jamais. Les mots de Michel Bernard se diffusent ainsi dans cette terre avec le sang de ces soldats morts qui allait nourrir les racines de notre France moderne. Même la terre, cette terre si fertile du Nord-Est de la France en fut transformée : elle « avait quelque chose de sale, de maladif comme une vilaine peau ».

Au final, on ressort plein de respect pour ces hommes qui ont sacrifié leur vie pour faire ce que nous sommes et la lecture de ce grand livre d’histoire nous dit également que le rêve d’une France indépendante, républicaine qui porte dans ses gênes le vivre-ensemble ne doit jamais mourir et que l’écho de Verdun, de ces « deux syllabes (…) dispersées à travers le pays par la gigantesque bataille » doit encore
résonner à nos oreilles en ces temps de doute.

Michel Bernard, Verdun, Visages de la bataille,
Perrin, Ministère de la Défense, 2016.

Laurent Pfaadt