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Refaire civilisation

Mars © REUTERS/NASA/JPL-Caltech/Handout

Nouvelle publication
de la trilogie
martienne
désormais culte de
Kim Stanley
Robinson

La question qui
anime chaque
lecteur lorsqu’il
parcourt un roman
de science-fiction a fortiori quand il s’agit de hard science, ce
courant littéraire développé par Arthur Clarke ou Stephen Baxter
qui s’appuie sur des évolutions technologiques et des formes
sociétales pour élaborer un avenir potentiellement crédible, est
celle-ci : et si c’était possible ?

Et il faut dire qu’avec la trilogie martienne de Kim Stanley Robinson
qui a obtenu les principaux prix littéraires (Hugo, Nebula, Locus),
série désormais culte de la littérature de science-fiction, cette
question ne manque pas d’interpeller. Des colons rassemblés dans le
vaisseau Ares, les Cent Premiers emmenés par John Boon, sorte de
Neil Armstrong de Mars, se sont installés vers 2020 sur la planète
Mars et l’ont exploré pour y implanter une nouvelle civilisation, pour
la coloniser afin de soulager la Terre de sa surpopulation. D’emblée,
on reconnait chez Kim Stanley Robinson ce tropisme américain pour
la conquête de terres vierges, inexplorées, cette nouvelle frontière à
conquérir.

La trilogie martienne c’est à nouveau la bataille entre les Anciens et
les Modernes, entre ceux, les Rouges qui souhaitent garder Mars
telle qu’elle fut à l’origine et emmenés par Ann Clayborne et les
tenants de ce nouveau progrès qui souhaitent la moderniser, la «
terraformer » en y implantant forêts, mers, végétaux et animaux. La
lutte entre écologistes sectaires et libéraux modernisateurs à
outrance est ici à peine voilée avec cependant cette petite subtilité :
ceux qui rendent la planète plus verte sont ces apôtres de ce nouvel
libéralisme. A travers ce combat sans cesse renouvelé, Kim Stanley
Robinson explore également les phénomènes de pouvoir et de
domination en montrant que les humains retomberaient vite dans
leurs vices et leurs erreurs passées. Car si les humains ont réussi à
maîtriser et à dompter la vie extraterrestre, ils n’en demeurent pas
moins des humains, ces animaux politiques comme le rappelait à
juste titre Aristote. Les luttes idéologiques sont permanentes
conduisant à deux révolutions, celle de 2127 réussissant à obtenir
l’indépendance de Mars là où celle de 2061 avait échoué.
Entretemps, la Résistance réfugiée dans l’underground a élaboré
des systèmes économiques et politiques alternatifs qu’elle sut faire
fructifier au moment de la réconciliation.

Dans le même temps, la Terre continue pour ainsi dire de tourner
mais subit les fléaux déjà à l’œuvre de nos jours : dérèglement
climatique provoquant montées des eaux et surpopulation
entraînant notamment une troisième guerre mondiale. Le
néolibéralisme représenté par les transnationales, ces nouvelles
formes monstrueuses de multinationales, est arrivé à ses fins car en
plus d’avoir le pouvoir économique, il dispose du pouvoir politique et
entend bien exploiter Mars comme une colonie, en tout cas jusqu’à
la révolution de 2127. Mais bientôt Mars ne suffit plus. D’autres
planètes commencent à être colonisées. Qui a dit que l’histoire était
un éternel recommencement ? Certainement pas Kim Stanley
Robinson.

Par Laurent Pfaadt

Kim Stanley Robinson,
La trilogie martienne (Mars la rouge, Mars la verte, Mars la bleue),
Presses de la cité, 656 p, 894 p, 845 p, 2018

Entretien avec Gouzel Iakhina

« C’est un roman
qui parle des gens,
au-delà de leur
origine »

Révélation de la
scène littéraire russe
avec son premier
roman magistral,
Gouzel Iakhina, scénariste, nous offre une plongée saisissante dans
l’époque relativement méconnue de la dékoulakisation qui suivit
l’arrivée de Staline au pouvoir. Avec ce roman, Gouzel Iakhina renoue
également avec la grande fresque épique russe. A l’occasion de sa
venue au salon du livre de Paris dont la Russie est l’invitée d’honneur,
elle se confie.

Pourquoi avez-vous choisi cette période plutôt oubliée de l’URSS ?

Le début de l’ère soviétique – les trente premières années de la
jeune Russie soviétique – me semble une période de
bouleversements particulièrement intéressante. Mon pays est
passé par de graves traumatismes; ces traumatismes se sont
succédés sans répit, sans qu’on ait le temps de s’arrêter pour les
interpréter ou les étudier. Il y a eu d’abord la guerre civile, qui a
laissé le pays dévasté, en proie à la famine, puis les purges
staliniennes. Dans le même temps, cette époque a été marquée
par un élan inouï de la pensée, une incroyable énergie créatrice,
un enthousiasme inégalé. C’est là, dans les années 1920-1930,
qu’on trouve la clé de tout ce qui s’est passé ensuite dans le pays,
au milieu et à la fin du XXe siècle.

Zouleikha rappelle un peu la Sosha d’Isaac Bashevis Singer avec son
innocence, sa pureté et son coté enfantin ? Racontez-nous la genèse
de ce personnage.

Je voulais écrire sur un personnage qui effectue un voyage mental
du passé au présent, dont l’esprit se transforme. Elle passe du
paganisme à la modernité. C’est pourquoi, dès le début, j’avais en
tête ce personnage de femme-enfant profondément ancrée dans
un monde archaïque, dans une sorte de Moyen Âge, et qui, petit à
petit, s’extirpe de ce Moyen Âge, acquiert de l’expérience, apprend
à être libre et à aimer. La succession d’événements tragiques
qu’elle va subir change profondément sa personnalité et l’amène
paradoxalement à trouver une liberté intérieure.

Le personnage du commandant Ignatov est également très
intéressant. Il est à la fois bourreau et victime. Résume-t-il
l’ambivalence de ce régime, de cette époque ?

Ignatov est pris dans un étau entre deux exigences
contradictoires. Il accompagne les koulaks en Sibérie puis devient
commandant de leur village. D’un côté, il doit les surveiller, les
contraindre à effectuer des normes de travail, les tuer en cas
d’évasion. D’un autre côté, il doit prendre soin d’eux, obtenir pour
eux de la nourriture et des médicaments, et plus tard, en Sibérie,
chasser pour les nourrir. Ainsi, petit à petit, il apprend à les voir
comme des gens. Et sa transformation, ce passage d’un
communiste convaincu, aveuglé par son idéologie, à un homme qui
pense par lui-même et éprouve de la compassion, est l’une des
lignes et l’un des thèmes principaux du roman.

Ignatov est un produit du système. Mais c’est justement ce
système qui finira par le briser, qui l’exile d’abord loin de sa ville
d’origine, de ses amis, l’empêche de choisir sa voie, puis ruinera sa
santé et lui refusera le moindre statut social. Broyé par le système,
il préfère le quitter et rejoindre le camp des exilés. De nombreux
destins ont été brisés de cette façon, l’ancien bourreau devenant à
son tour victime. De manière générale, la frontière entre
bourreaux et victimes était floue: dans certains cas, c’est la
victime qui devenait bourreau. On le voit, dans mon roman, avec
l’ancien truand Gorelov: contrairement à Ignatov, il ne s’oppose
pas au système, mais adopte volontiers ses règles et finit par être
élevé au rang de gardien des exilés.

Dans ce livre on comprend qu’il existe toujours une petite lumière
dans les ténèbres, une vie au milieu de la mort. Comme la scène de la
découverte de la grossesse de Zouleikha dans ces trains de la mort. 

Je voulais, d’un côté, raconter les difficultés de la lutte pour la
survie dans la taïga sibérienne, avec toute l’horreur de cette vie en
exil, et d’un autre, montrer que, même au sein de cette horreur,
peut se cacher la semence d’un bonheur prêt à éclore. Car, pour
Zouleikha, ce « voyage en enfer » finit par se transformer en «
chemin vers une nouvelle vie ». Le village d’exilés décrit dans le
roman est comme une arche de Noé. Paysans, condamnés de droit
commun, intellectuels, musulmans, chrétiens, païens et athées
sont tous obligés de s’entraider pour survivre. Et, en dépit de tout,
ils survivront. Et Zouleikha survivra avec eux, ainsi que son fils
nouveau-né. Au fond, c’est un roman qui parle des gens, au-delà de
leur origine. Du fait que, lorsqu’on se trouve à la frontière entre la
vie et la mort, toutes les caractéristiques sociales disparaissent:
les préjugés ethniques et religieux, les différences de classe – et il
ne reste plus que des êtres humains. Dans le livre, on voit que la
vie est plus forte que la mort.

Le roman est aussi une formidable plongée dans la société tatare de
cette époque à la fois animiste et islamique. Comment la qualifieriez-
vous ?

Je n’avais pas pour objectif de décrire la société tatare. Bien sûr,
on peut dire que la première partie du roman présente un
environnement tatar, avec une couleur locale, des mots, un
quotidien et une mythologie tatars. Mais dès que Zouleikha quitte
son village, ces caractéristiques commencent à s’effacer.

Au début du roman, Zouleikha vit dans un monde archaïque,
presque comme au Moyen Âge, entourée de gens qui ne l’aiment
pas; elle est brimée, ravalée au rang d’esclave; en vérité, elle ne
peut «dialoguer» qu’avec les esprits du foyer et de la nature. À la
fin du livre, elle habite dans un petit village multiculturel; elle a
rencontré un homme qu’elle aime, donné naissance à un fils, parle
une autre langue, se nourrit et gagne sa vie toute seule, en
chassant. Cette métamorphose ne se fait pas en un jour, mais
pendant les seize ans qui sont le temps du roman. Son chemin, de
son village à la lointaine Sibérie, est aussi un cheminement mental
du passé au présent. C’est sur cette opposition que je voulais
travailler: le passage d’un monde archaïque à la modernité.

Votre roman dit-il, après d’autres, quelque chose de l’âme russe, si
mélancolique et torturée ?

Je voulais raconter une histoire qui fonctionnerait sur deux niveaux:
d’un côté, c’est un roman historique, qui parle d’évènements
concrets survenus dans les années 1930 en URSS, la
dékoulakisation et la déportation des koulaks. Mais c’est aussi une
sorte de mythe, qui parle de thèmes et de questions universels, et
cette histoire aurait pu arriver à des gens de n’importe quelle origine
ou nationalité.

Traduction : Maud Mabillard

Gouzel Iakhina, Zouleikha ouvre les yeux,
Chez Editions Noir sur Blanc, 2017, 468 p.

Laurent Pfaadt

Les légendes sont de retour

Stravinsky © Getty Images

Deuxième volume de la formidable série de concerts de la BBC

Ceux qui adorent les surprises,
surtout musicales, ne
devraient pas être déçus. Le
premier coffret des BBC
Legends nous avait enchanté
et il faut dire que ce second
volume est à la hauteur de son
prédécesseur. Car réécouter
ces légendes de la musique du
20e siècle a quelque chose
d’intemporel et de proprement
stupéfiant car l’auditeur redécouvre dans ce piano, avec ce violon et
cette baguette, des œuvres, des accords qu’il croyait connaître et qu’il
finit par redécouvrir comme si le compositeur venait de les achever la
veille.

Les BBC Legends sont d’abord une formidable série d’archives et
une incroyable machine musicale à remonter le temps. En
écoutant la symphonie Haffner de Mozart dirigé par Toscanini en
1935, on a un peu l’impression de se retrouver dans ces années,
l’oreille collée au transistor en attendant comme des milliers
d’autres auditeurs, le concert à venir.

Trésors inépuisables, les concerts de musique classique
enregistrés par la BBC représentaient un passage obligé pour
chaque grand artiste qu’il soit compositeur, chef d’orchestre ou
soliste de renom. Ce deuxième coffret se fait ainsi une nouvelle
fois l’écho de ces légendes. On ne boude pas son plaisir en
écoutant Igor Stravinsky diriger son Agon plein de fougue ou
William Walton, son concerto pour violoncelle accompagné de
l’archet bondissant du grand Pierre Fournier au festival
d’Edimbourg en 1959. Et lorsque retentit les notes de la sonate
pour piano et violon de Haydn par Benjamin Britten et Yehudi
Menuhin, on touche au sublime.

Il y là aussi les géniaux créateurs d’œuvres désormais
incontournables de la musique : le concerto pour violon de
Chostakovitch avec David Oïstrakh, accompagné pour l’occasion
d’un autre grand connaisseur de la musique du génie soviétique, le
chef Guennadi Rojdestvenski, déjà présent dans le premier
volume et que Prokofiev surnommait « super-génie ». De
Prokofiev, il en est d’ailleurs question avec Richter, main de fer dans un gant de velours, dans une huitième sonate de Prokofiev
absolument prodigieuse.

Tous ces mythes ne sauraient éclipser certains artistes que
l’histoire de la musique a trop tôt oublié comme la pianiste
britannique Myre Hess et son toucher si délicat dans le concerto
de Schumann, qui montre, s’il faut encore le prouver, que l’on peut
transmettre des émotions et révéler son incroyable talent sans
martyriser l’instrument.

Entre le caractère épique d’un Thomas Beecham dans Sibelius, la
sensibilité d’Arthur Rubinstein dans les Impromptus de Schubert
ou l’empreinte indélébile d’un Carlo Maria Giulini à la tête du
Philharmonia Orchestra dans Brahms, ce deuxième coffret des
légendes de la BBC égale assurément le premier volume et
constitue un pur moment de bonheur. Le dernier disque écouté,
on se demande déjà : à quand le troisième ?

BBC Legends: Great Recordings from the Archive,
Vol. 2, Ica Classics, 2018

Laurent Pfaadt

Salon du livre de Paris

A chacun son classique

livres © Sanaa Rachiq

A l’occasion du salon
du livre de Paris (16-
18 mars 2018)
consacré à la Russie,
plusieurs lecteurs, connus ou non, nous
livrent leur coup de
cœur russe.

 

 

Vassili Grossman, Vie et destin

« Vassili Grossman est un des plus formidables correspondants de
guerre. Journaliste combattant pour la vérité, son courage était
aussi et surtout politique. Son ouvrage, interdit par le pouvoir
soviétique est un acte d’accusation contre la censure, contre le
totalitarisme. »
Charles Enderlin, journaliste et écrivain 

Léon Tolstoï, Anna Karenine

« La richesse de l’écriture de Tolstoï est multiple : il y a la beauté du
verbe, celle d’une société théâtralisée, d’une représentation de la
vie humaine, et finalement la richesse d’une Russie qui regorge de
pouvoir et de gloire. Anna Karenine sonde l’âme ; ce n’est pas une
histoire d’amour mais celle d’une passion incomprise qui dévore
les Hommes et les rend vulnérables. »
Magaly Tancray,  libraire au Furet du nord

Fiodor Dostoïevski, Les Frères Karamazov

« J’ai lu ce livre à l’âge de 15 ans, c’est à mes yeux l’un des plus
grands romans jamais écrits. Il a sans doute déterminé dans une
large mesure ma façon d’appréhender la vie. Y sont abordées ou
plutôt incarnées, sous une forme littéraire, donc avec tous leurs
paradoxes, de façon plus subtile et moins théorique que dans des
traités philosophiques, les questions fondamentales : le bien et le
mal, le sens de la souffrance, la responsabilité, la liberté. On ne
trouve pas dans ce roman de réponses, mais il a ouvert pour moi
des portes qui ne se sont jamais refermées. Le désir de le lire dans
l’original est une des raisons pour lesquelles j’ai appris le russe. »
Sophie Benech,  traductrice du russe

Mikhaïl Boulgakov, le Maître et Marguerite 

« Je garde encore le souvenir émerveillé de ma découverte de ce
livre. Je l’ai lu par hasard, sans personne pour me conseiller,  et j’ai
eu pour la première fois, dans ma vie de jeune lecteur adulte, la
sensation de tenir entre mes mains un chef d’œuvre et de
comprendre en quoi il l’était. J’ai commencé, à partir de ce
moment, à aimer les auteurs autant que leurs livres. »
Gérald Aubert, écrivain

Fiodor Dostoïevski, l’Idiot 

« L’idiot est un roman que j’ai lu il y a longtemps et que j’ai relu
récemment tant il m’avait profondément impressionné. Mychkine
est une figure christique : sa foi en l’Amour est infinie, mais il va
tenter en vain de sauver les âmes de celles qu’il aime avant de
sombrer de nouveau dans la folie. On se souvient de ce roman
riche en rebondissements et en personnages complexes et
consumés par leurs passions comme d’un rêve intense. »
Nathalie Baravian, attachée de presse

à lire ou à relire, une sélection
(non exhaustive) d’Hebdoscope :
Ludmila Oulitskaïa, le chapiteau vert, Gallimard, 2014

Le grand roman de la dissidence à travers les destins de trois amis d’enfance.

Valran Chalamov, les récits de la Kolyma, Verdier, 2003

Récit poignant et plus personnel du système concentrationnaire soviétique

Svetlana Alexievitch, la supplication, J’ai lu, 2004

La tragédie nucléaire de Tchernobyl racontée par ses acteurs. Prix Nobel de littérature 2015

Marina Tsvetaeva, Poésie lyrique (1924-1941), éditions des Syrtes, 2015

Les vers de l’une des plus grandes poétesses russes, décédée en 1942.

Laurent Pfaadt

Une symphonie blanche

Les Vaincus raconte
l’histoire d’une
ancienne famille
noble sous Staline.
Retour sur un
classique oublié.

Ils sont ceux qui ont
été défaits. Ceux que
l’histoire a choisi d’oublier, en dépit de la folie sanguinaire de leurs
adversaires et vainqueurs. Certes, ils ne défendaient pas la liberté ni
l’égalité entre les peuples mais plutôt une autocratie d’un autre âge.
Cependant, l’histoire, aidée de ses séides, a décidé de les punir. Mais
pas la littérature. Grace à elle, les vaincus, les méprisés, quels qu’ils
soient, trouvent toujours leur juste place.

L’écriture des vaincus a-t-elle obéi à cet impératif ? Ne pas oublier
ceux qui ont soutenu le tsar jusqu’au bout, jusqu’à la tombe, jusqu’à
l’exil ? C’est ce qu’a certainement pensé Irina Golovkina petite-fille
de Nikolaï Rimski-Korsakov, compositeur de la suite symphonique
Shéhérazade en écrivant ce roman fleuve. De princesse, il en est
d’ailleurs question même si les Vaincus sont tout sauf un conte de
fées. Cette fresque qui, non sans égaler le grand Tolstoï, rappelle
dans sa composition et dans ses personnages, le génie de Guerre et
Paix
. Car, on ne peut éviter de faire le parallèle entre les Rostov et
les Bolkonsky et ces Bologovski et ces Dachkov, un siècle plus tard
comme si, d’une certaine manière, ils en étaient les descendants.

La révolution bolchevique est terrible. Elle broie ses ennemis et
notamment ceux de la première heure dont les Bogolovski que l’on
suit entre 1929 et 1937. Leurs combats et leurs calvaires y sont
admirablement relatés dans ce qui ressemble à une symphonie
pathétique. Comme tant d’autres, ils auraient pu choisir l’exil. Mais
ils se sentaient russes avant tout et vont, comme tous ces
personnages de romans russes qui ont puisé leur existence littéraire
dans les ténèbres de l’âme russe, souffrir.

Chaque chapitre agit comme un Nocturne de Chopin, alternant
moments de joie et périodes de désespoir, où la beauté de la nature
côtoie les séances de tortures d’Oleg Dachov, qui a combattu dans
les armées blanches et périra sous le fer soviétique. Pas d’avenir
pour les ennemis du peuple. On les tolère. On leur permet de vivre,
de survivre. Les doigts d’Assia, la petite-fille de Natalia Bogolovskaia,
comtesse déchue, courent sur le clavier de l’appartement familial et
dessine un récit qui ondule, se perd, se retrouve. Les notes de la
jeune fille qui souhaitait tant danser et vibrer au son de la poésie
scandent un récit qui verra sa famille humiliée, martyrisée,
déportée, bannie. Mais c’est à une autre danse qu’Assia fut conviée
tout au long de sa vie, celle avec les loups rouges, ceux d’un régime
qui lui brisera symboliquement ces doigts qui rêvaient de liberté.

Tout au long de ces quelques mille et une pages transparaît ainsi
l’essence même de la condition humaine mais également la fin d’une
forme de monde d’hier russe écrasé par ce totalitarisme qui
prétendait libérer l’humanité. Et à travers le récit de ces
personnages, on constate qu’au lieu de les émanciper, il les a, au
contraire, asservis. Malgré la souffrance et la mort, malgré le
déclassement et le bannissement, les héros surent conserver leurs
principes et leurs racines, ces éléments indestructibles qu’ils
utilisèrent tantôt comme un bouclier, tantôt comme un glaive et leur
permirent pour certaines, de survivre.

Irina Golovkina, les Vaincus,
éditions des Syrtes, 1096 p.

Laurent Pfaadt

La Maison Russie

L’URSS racontée via
les habitants de la
Maison du
gouvernement.
Magistral

Dans chaque
immeuble, il y a ceux
pour qui on éprouve
de la sympathie et
ceux que l’on évite. Ceux qui sont prêts à vous rendre service et
ceux qui, jaloux, n’attendent qu’une chose : vous nuire. Ceux qui font
trop de bruit et dont on aimerait se débarrasser et ceux, trop
discrets, sur lesquels on glose, on fantasme. On a tous connu cela. A
notre échelle, celle d’un immeuble. Mais quand ce dernier, dans une
sorte de métaphore, figure un Etat avec ses composantes
idéologiques, sociologiques, culturelles, ses favoris et ses ennemis,
les petits arrangements, sympathies et querelles prennent alors une
toute autre dimension.

Ici, à la Maison du gouvernement, au même étage, on pouvait ainsi
croiser l’ambassadeur d’URSS en Tchécoslovaquie et le commandant
des gardes des camps de travail de la Kolyma tandis qu’à l’étage au-
dessus, le responsable de l’exécution de la famille du tsar saluait
tous les matins, Nikita Khrouchtchev, futur maître de l’URSS. En
poussant les portes du monumental immeuble de la Maison du
gouvernement qui accueillit commissaires du peuple, hauts
fonctionnaires, directeurs d’institut, artistes, héros et bourreaux de
l’Union Soviétique, le lecteur pénètre véritablement dans l’âme de
ce régime car comme l’écrit à juste titre Yuri Slezkine dans ce
formidable ouvrage « la Maison du gouvernement était pour l’Union
soviétique la forteresse assiégée que l’Union Soviétique était pour le reste
du monde »
. Fruit d’un travail de dix ans, l’auteur s’est plongé dans les
archives officielles et personnelles de ces centaines de résidents, a
mené une soixantaine d’interviews pour en tirer ce récit composé à
la manière d’une symphonie de Dimitri Chostakovitch pleine de
bruits et de terreur.

Tout avait pourtant bien commencé et les débuts furent idylliques.
On écoutait les lectures publiques des artistes et les bibliothèques
construites par les menuisiers de la Maison du gouvernement
étaient garnies de livres. Les jours de repos, on se retrouvait dans les
datchas pour vanter les mérites du régime. Certes, tous n’avaient
pas le même rapport à la révolution d’octobre mais qu’importe, ils
étaient les nouveaux membres de cette nomenklatura qui regardait
vers ce Kremlin où régnait Staline.

Arriva alors ce funeste 1er décembre 1934 et l’assassinat de Serguei
Kirov, le secrétaire du parti de Léningrad. Dans l’appartement 342,
celui de Vatslav Bogoutski, directeur adjoint du combinat de chimie
militaire, retentit le téléphone : « Il a répondu comme il faisait
d’habitude. Mais soudain, l’expression de son visage a complètement
changé »
. Les occupants ne le savent pas encore mais la mort de
Kirov, fomentée par Staline, signe le début des grandes purges.
Peut-être que ce dernier, de sa fenêtre du Kremlin, contemplait les
appartements de Karl Radek, membre du comité exécutif du
Komintern ou de Mikhaïl Koltsov, journaliste de la Pravda qui inspira
à Ernest Hemingway le personnage de Karkov dans l’Adieu aux
armes
, en songeant au sort qu’il allait leur réserver.

Le silence envahit alors petit à petit les couloirs de la Maison du
gouvernement. La forteresse se mua en prison et un changement
d’appartement signifiait souvent un déclassement et une expulsion,
la mort. Débuta alors la valse des locataires. Ainsi Nikolaï Ossinski,
commissaire du peuple adjoint à l’agriculture emménagea dans
l’appartement laissé vacant après l’arrestation d’Alexeï Rykov,
ancien président du conseil des commissaires du peuple avant d’être
à son tour arrêté puis exécuté. Les disparitions se multiplièrent. On
redoutait d’être réveillé en pleine nuit par des coups contre la porte
quand les agents qui possédaient les clés, ne pénétraient pas
directement dans l’appartement. La chaleur des débuts avait fui le
bâtiment et tout le monde s’évitait. Les conflits de voisinage étaient alors bien loin.

Yuri Slezkine,
La Maison éternelle, une saga de la révolution russe,
Chez La Découverte, 1300p.

Laurent Pfaadt

Festival Les Etoiles du Documentaire

Luc Maechel et Simone Fluhr ©Kamal Ourahou

Suite et perspectives

Retour sur le
Festival Les Etoiles
qui a eu lieu à
Strasbourg, au
cinéma l’Odyssée,
les 9 et 10 février.
Cette deuxième édition a connu une
fréquentation encourageante, avec un public jeune qui a été au rendez-
vous, à la grande satisfaction des organisateurs, désireux de faire
connaître le genre du documentaire à un public qui spontanément ne
s’y intéresse pas forcément.


Les documentaires

Trois classes de collégiens sont venues à la rencontre de Simone
Fluhr et son film Rivages, lui posant des questions aussi
pertinentes que d’une fraîcheur revigorante. Dautres collégiens
ont  beaucoup apprécié l’excellent Deux Cancres de Ludovic
Vieuille, réagissant avec des éclats de rire contagieux à la
situation qui leur est sans doute familière de ce père et fils
confrontés aux affres des devoirs. Autre public intéressé et très
présent, des étudiants en cinéma que Kijima Stories a fortement
impressionnés, à en juger par leur échange avec l’enthousiaste
réalisatrice Laétitia Mikles. Son film est effectivement d’un grand
intérêt et passionnant à bien des égards. Alliant réalisme et
poésie, Sur le rebord du monde d’Hervé Drézen est un voyage très
dépaysant au pays de Penmarc’h avec un réalisateur qui est un
véritable artiste par son engagement et par son refus du système.
Malheureusement, qui veut réaliser un documentaire est tenu de
constituer des dossiers pour séduire producteurs et chaînes de
télé, une réalité contraignante et terre-à-terre qui n’a cessé d’être
évoquée lors de ce festival, comme celle de la diffusion des
documentaires qui souffrent d’un manque aigu de visibilité par le
grand public – d’où l’intérêt de ce Festival Les Etoiles qui n’existe
pour le moment qu’à Rennes et à Strasbourg mais devrait
également trouver sa place l’an prochain à Bordeaux, Nantes et
Marseille. Quid de l’avenir du documentaire et notamment de la
place des auteurs dans l’espace frontalier ? Ce fut le sujet d’une
réunion entre professionnels de la filière image qui a eu lieu en
marge de ce Festival.

Le Transfrontalier en questions

Une séance de réflexion a réuni différents auteurs-réalisateurs de
documentaires autour de la question de leur statut, de leur travail
et des coopérations actives ou non entre les pays limitrophes de la
Région du Grand Est, la seule en France qui partage sa frontière
sur près de 760 km avec quatre pays :  l’Allemagne, la Belgique, le
Luxembourg et la Suisse. La question du transfrontalier se pose de
façon prématurée lorsque la diffusion des documentaires est le
problème crucial qui se pose au sein même de chaque pays. Grâce
au Grand Est cependant, et grâce à un réseau de salles, le
documentaire trouve sa place dans la  programmation de  salles de
cinéma. La Région Grand-Est s’investit aussi dans l’aide à
l’écriture. Avec les pays limitrophes, synergie et complémentarité
sont à trouver. Si les politiques « vendent » le « transfrontalier », il
reste un concept utopique en matière de création audiovisuelle
car chaque pays a son propre fonctionnement et sa législation du
droit des auteurs-réalisateurs. Si les lois peuvent changer, reste
que la façon de travailler et l’esprit même qui anime la création et
la réalisation d’un film diffèrent tellement que les freins restent
énormes, sans compter le problème de la langue. Qui croit que les
Alsaciens et les Allemands trouvent facilement un terrain
d’entente se trompe. Un producteur alsacien en a fait l’amère
expérience avec un film qui n’a pas trouvé preneur Outre-Rhin,
alors qu’il était tourné dans les deux langues. Les chaînes de
télévision restent frileuses en Allemagne, le côté didactique du
documentaire devant être privilégié. Tout doit y être surligné, sur-
commenté, comme si l’on ne faisait pas confiance à l’intelligence
du spectateur et à son imagination. Quant à la chaîne ARTE, elle
n’est souvent pas plus audacieuse que ses consœurs assujetties à
l’audimat. Un espoir cependant, la différence de culture, en
termes de création documentaire, est moindre entre la France et
la Belgique. Cette réunion entre professionnels du documentaire
a permis d’interroger la question du transfrontalier, certes sans
pouvoir y répondre, mais en ayant posé les jalons d’un début de
réflexion qui sera menée dans les années à venir, le transfrontalier
offrant des perspectives intéressantes tant professionnelles que
publiques. Reste comme l’a dit l’un des intervenants, en guise de
conclusion, à « écrire, écrire, écrire… »

Les étoiles du documentaire,
Du 9 et 10 Février 2018

Elsa Nagel

Livre du mois

Certains souvenirs

Des mots comme des gouttes de
pluie glissant le long d’une vitre.
Ephémères et pourtant si
précieuses. Comme les
sentiments humains. Judith
Hermann, la fabuleuse
nouvelliste allemande est de
retour. Célébrée outre-Rhin et
après un passage par le roman,
elle revient avec ces dix-sept
récits plein de force et de
puissance. Dès les premiers
mots, on reconnait immédiatement son style : absence de
dialogues, phrases courtes, mots ciselés comme du cristal qui
brillent de mille feux.

Avec cette prose, les gâteaux aux prunes d’un père sénile ou les
avions de papier d’enfants d’un couple séparé constituent autant
d’objets, de situations qui recèlent toute la beauté de la vie. Car
ces choses quotidiennes de la vie, ces objets parfois insignifiants
qui nous entourent sont les véritables catalyseurs de nos
sentiments, les véhicules de nos émotions, les liens qui nous
unissent aux autres semble dire Judith Hermann. Car ils ne sont
que les prétextes à la mise en scène des rapports humains,
permettant aux êtres de se découvrir, de se comprendre, de
s’aimer.

Laurent Pfaadt

Judith Hermann, Certains souvenirs,
Chez Albin Michel, 177p.

Les larmes de pierre

Dans son nouvel
ouvrage, la grande
romancière turque
revient sur le
martyre de la ville
de Diyarbakir

La plume d’Oya
Baydar est acérée
car elle plonge
dans le sang, celui du marxisme dont elle a fait son étendard mais
surtout celui des libertés bafouées par un pays dont elle ne cesse,
roman après roman, de dénoncer les errements et les crimes. En
2016, elle soutenait ainsi une enseignante de Diyarbakir
emprisonnée pour avoir réclamé la paix. Tiens justement
Diyarbakir, le théâtre de son nouveau roman. Cette indépendance
et cette force de conviction lui valurent la prison, l’exil et la
torture. Mais surtout elles forgèrent cette langue inimitable
qu’elle met dans la bouche de ses héroïnes notamment dans celle
de la magnifique Ulku, double littéraire de Baydar, dans son roman
Et il ne reste que des cendres. Dans ce livre bouleversant, Ulku
s’interrogeait ainsi sur le sens qu’elle donna à sa vie et aux causes
qu’elle porta.

Autres héroïnes, autres personnages mais même voix dans son
nouveau roman, Dialogues sous les remparts. Deux femmes
entretiennent une discussion devant la ville martyre de
Diyarbakir, la grande ville kurde avec son centre historique, le
fameux Sur, personnage principal du livre avec ses ombres, ses
morts, ses souffrances, ses fantômes.

On comprend vite qu’entre ces deux femmes qui partagent les
mêmes convictions, ont lutté ensemble mais dont l’une est partie
vers ce qu’elle appelle la Turquie de l’Ouest, la vie et l’histoire ont
tracé des lignes certes parallèles mais qui ne se rejoignent plus.
Dans cette ville en ruines et en flammes devenue, au fil des pages,
le théâtre de la condition humaine, les deux femmes échangent,
discutent, constatent leurs divergences. Quel est le bien-fondé de
ma vie, de mes actions, des moyens mis en œuvre pour faire
triompher mes idéaux, des compromis et des compromissions que
je peux ou que je dois accepter pour parvenir à mes fins, sont les
interrogations qui hantent les personnages. A ces questions, la
romancière turque, avec ses mots si touchants questionne ainsi
l’engagement et le libre-arbitre de chacun. Mais surtout, ces deux
femmes semblent composer une sorte d’autobiographie de cette
romancière qui fut une combattante acharnée de la cause kurde
et qui, parvenue au soir de sa vie, se met dans la peau de cette
Turque de l’Ouest venue questionner cette militante restée dans
l’arène de la lutte, cette militante qu’elle fut plusieurs décennies
auparavant. « Je suis venue pour regarder avec tes yeux, pour
connaître, ressentir par moi-même, pour te comprendre, pour devenir
toi »
dit-elle ainsi à son alter ego.

Dans ces pages naît alors une réflexion profonde sur ce qui fait
nation, sur la volonté de bâtir ensemble un avenir commun en
dépit de nos différences. Et là, Oya Baydar constate que les
politiques d’Erdogan après celles des dictatures militaires ont
assassiné cette utopie à grand coup d’islamisme, d’identités
meurtrières et de nationalisme en détruisant systématiquement
la langue, « ce pays pour les gens » et la terre du peuple kurde.

Et quand les armes se taisent, que les ruines ne sont plus que
poussière et que le sang a séché, il reste la littérature qui ne meurt
et ne s’estompe jamais. Elle raconte ce qui a été, le malheur, la folie
des hommes. Depuis Polybe, elle permet de ne pas oublier. Grâce
à Oya Baydar, la tragédie du peuple kurde, à Diyarbakir, à Cizre ne
peut plus être ignorée aussi bien par ceux qui veulent réduire les
enfants de Saladin au silence ou par ceux, trop préoccupés par des
périls de l’autre côté de la frontière turque ferment sciemment les
yeux. Pour que sous les cendres, le brasier continue à brûler. C’est
pour tout cela que ce livre essentiel constitue avant tout un
formidable message d’espoir.

Laurent Pfaadt

Oya Baydar, Dialogues sous les remparts, Phébus, 155 p

A lire également : Et il ne reste que des cendres, 10/18, 672 p

Voyage au bout de l’enfer

© Amazon

Nouveau roman
magistral de
Louise Erdrich

Tous les écrivains
américains ont leur
territoire de
chasse. Mais le
gibier qu’ils
traquent est un
peu particulier. Il est corrompu, névrosé, fantastique et obsédant.
Stephen King a son Maine, James Ellroy arpente les bas-fonds de
la Los Angeles des années 50, Jim Harrison soufflait sur ce
Montana préservé les vicissitudes de la vie moderne. Non loin de
là, Louise Erdrich a fait de l’état voisin, le Dakota du Nord où
demeurent encore vivaces les légendes indiennes, le décor de ses
romans où se côtoient ces deux mondes, ancestral et moderne,
parfois irréconciliables et souvent en confrontation. Souvent, la
parole donnée fait face au règne de l’argent et l’honneur tente de
résister tant bien que mal aux infamies de notre société.

Révélée au grand public par son deuxième roman, le pique-nique
des orphelins
en 1985 qu’il est possible de relire aujourd’hui dans
une nouvelle traduction, Louise Erdrich s’est vite imposée comme
l’une des grandes figures de la littérature américaine.

Dans son nouveau roman qui parachève le cycle de la Malédiction
des colombes
et du grandiose Dans le silence du vent, Louise Erdrich
continue d’explorer et d’expliciter la grande matrice de son œuvre
: l’identité. Roman après roman, nouvelle après nouvelle, cette
quête littéraire arbore ainsi de nombreux masques. Celui pour
rester fidèle à soi-même, à ses ancêtres et à ses coutumes mais
également celui pour affronter et vivre dans cette société
américaine qui a détruit par le fer puis par la corruption cet
héritage.

Dans Larose, Landreaux Iron est ainsi un nouvel avatar de cette
quête. Tuant accidentellement Dusty, le fils de son voisin, lors
d’une chasse au cerf, Landreaux va très vite se retrouver pris
entre deux feux et à devoir revêtir tantôt le masque de la tradition
en confiant Larose, son plus jeune fils, aux parents de Dusty,
tantôt celui de cette société qui lui rappellera en permanence sa
culpabilité.

La vie de Landreaux va devenir dès ce jour funeste un chemin de
croix permanent. Il envisagera le suicide, plongera dans l’alcool.
Avec sa femme, Emmaline, il tentera de faire face. Avec sa voix
puissante, unique, Louise Erdrich nous conte ainsi l’histoire de ce
couple hanté par le fantôme de cet enfant mort. Et à chaque fois
qu’il pensera avoir atteint la fin de sa pénitence, la vengeance
posthume du destin fera son œuvre en ravivant des haines jusque-
là contenues comme celle de ce vieux copain de classe.

A travers ce nouveau roman qui égale les précédents, Louise
Erdrich puise dans ses racines Ojibwé matière à une réflexion plus
globale sur la nécessité de s’appuyer sur son héritage, sur ses
racines pour affronter le monde contemporain. A l’image de
Landreaux Iron puisant dans ses coutumes matière à sa survie, le
message que nous délivre Louise Erdrich est plus que jamais d’une incroyable modernité.

Laurent Pfaadt

Louise Erdrich, Larose, Albin Michel, 528p.

A lire également : le pique-nique des orphelins, le livre de poche, 504p.