Bros de Romeo Castellucci

Avant de pénétrer en salle chaque spectateur reçoit deux grandes
feuilles noires cartonnées sur lesquelles les textes inscrits sont
comme une propédeutique de ce que nous réserve ce maître à
penser qu’est, à sa manière, Romeo Castellucci.

Sur l’une, des extraits du Livre de Jérémie, ce prophète de l’Ancien
Testament à qui Dieu ordonna d’annoncer aux infidèles les pires
malheurs.

Sur l’autre sont inscrites, au recto, des « Devises », comme celle-ci, « ils
ne savent pas quoi faire ? alors ils copient » et au verso un « Index de
comportement remis aux participants inavertis ». Les participants en
question s’avèrent être ces 23 hommes recrutés peu de temps avant
le spectacle et qui devront faire montre d’une totale docilité à
l’instar des personnages qu’ils vont interpréter. « Je suis prêt à
devenir policier dans ce spectacle » telle est la première injonction à
laquelle ils obtempèrent. Elle est suivie de vingt-six autres, nombre
d’entre elles commençant par la formule » »J’exécuterai les ordres… »
l’ensemble constituant une véritable feuille de route pour un
engagement physique et moral sans restriction. La dernière nous
révèle les intentions du metteur en scène puisqu’elle fait dire aux
exécutants: « L’exécution des ordres sera mon oblation, sera mon
théâtre. »

Le spectacle va nous montrer sa mise en application.

D’entrée de jeu, ce sont des coups de feu qui nous accueillent sortis
d’une machine à tirer qui tourne au centre du plateau. Castellucci, dont nous avons pu voir presque toutes ses productions ici au
Maillon, nous a toujours surpris par ses réalisations insolites,
iconoclastes, provocantes. Cette dernière ne manque pas de
répondre à ces qualificatifs. Drôle et glaçante à la fois, telle est la
mise en scène de ce contingent de vingt-trois hommes revêtus de
l’uniforme caractéristique des policiers américains des années 40
(costumière Chiara Venturini) et qui, durant une heure, en une sorte
de chorégraphie réglée à la perfection vont montrer ce qu’il en est
de la soumission à des ordres que nous n’entendons pas mais
auxquels sans rechigner ils obéissent. Leurs déplacements, leurs
regroupements, leur alignements, rythmés par la musique de Scott
Gibbons, évoquent ces images de policiers qui ont effectué par le
passé et encore aujourd’hui, sans discussion ni scrupules, des
missions répressives contre leur propres concitoyens considérés par
le pouvoir comme subversifs ou révolutionnaires. D’ailleurs, de
temps à autre, l’un d’eux vient afficher le portrait d’un de ces leaders
de la répression qui a sévi dans le monde.

Ils apparaissent comme des êtres robotisés, redoutables par cette
absence de prise de conscience, de libre-arbitre. Comme hypnotisés,
ils s’imitent l’un l’autre. Parfois leur comportement frise l’absurde et
nous fait rire quand le moindre incident bouscule le bel arrangement et que face à l’inattendu, pris au dépourvu ils réagissent de façon
anarchique, compromettant même leur propre sécurité.

Mais le spectacle ne nous dispense pas d’assister à quelques scènes
cruelles montrant que l’obéissance aveugle entraîne blessures,
tortures, morts. Alors qu’en contrepoint viendra s’insérer dans ce
monde obscur un vieil homme vêtu de blanc tenant un enfant par la
main comme l’espoir d’un avenir moins coercitif.

Le monde de Romeo Castellucci n’est jamais simple, plutôt elliptique
mais toujours, comme ici, doué d’une forte charge politique.

 Au Maillon, représentation du 19 octobre

Par Marie-Françoise Grislin