Des cendres jamais éteintes

La collection des Mondes anciens achève sa trilogie sur la Grèce antique avec un magnifique volume consacré à la Grèce hellénistique

Coincée entre la Grèce classique et l’Empire romain, entre Périclès et Hadrien, la Grèce hellénistique apparaît comme une période transitoire. Il y eut bien évidemment la parenthèse Alexandre le Grand mais après 323 av. J-C, la Grèce hellénistique semblait devoir demeurer l’épitaphe d’un monde finissant avant l’émergence puis l’apogée d’un nouveau. Une croyance que démonte ce nouveau volume de la collection des mondes anciens qui vient refermer la trilogie consacrée à la Grèce antique.


La Grèce hellénistique constitua une époque avant tout marquée par une fragmentation politique surtout après la mort d’Alexandre le Grand et la division de son empire entre ses lieutenants. Des grandes batailles d’Alexandre au Granique (334 av. J-C) ou à Issos (333 av. J-C) face au roi perse Darius III, aux luttes incessantes et moins connues mais non moins passionnantes entre les anciens lieutenants du grand conquérant et leurs successeurs comme à Raphia, près de Gaza en 217 av. J-C durant les guerres de Syrie (274-168 av. J-C) où Ptolémée IV affronta Antiochos III, le livre rend éminemment compréhensible les enjeux géopolitiques grâce à des cartes extrêmement pertinentes qui permettent de mesurer l’importance de cette reconfiguration civilisationnelle qui ne prit véritablement fin qu’avec l’intégration de l’Égypte des Lagides à la République romaine finissante. Dans cet art de la guerre qui se transforma avec une phalange devenue légion et l’émergence d’une nouvelle thalassocratie, les auteurs analysent parfaitement ces sociétés militarisées en s’aventurant grâce aux découvertes archéologiques dans la cité pour montrer justement la construction d’une armée royale appuyée sur des clans ainsi que l’évolution de l’urbanisme, du commerce et d’une vie quotidienne où perdura l’esclavage grec classique.

Une riche iconographie procurant comme à chaque fois avec les volumes de cette collection, un  plaisir non dissimulé, ménage des pauses avec ces focus sur l’autel de Pergame, monument emblématique du baroque hellénistique et qui figura un temps parmi les sept merveilles du monde, sur la victoire de Samothrace édifiée à la suite de la bataille de Cos (262/261 avant J-C) remportée par les Antigonides sur les Lagides et bien évidemment sur la Venus de Milo, chef d’œuvre de la statuaire grecque. Ces trésors permettent ainsi de prendre conscience que cette période développa une intense activité artistique tant dans la réalisation de monuments que dans la production d’oeuvres littéraires avec Polybe ou Pline l’Ancien, premiers propagandistes de cette nouvelle civilisation qui s’inscrivit dans la continuité des derniers feux de la Grèce comme civilisation prédominante de la Méditerranée. Car le livre montre également que la Grèce hellénistique ne se réduisit pas aux frontières des royaumes grecs mais s’étendit jusqu’au sud de l’Égypte et au Proche-Orient des Nabatéens de Petra et de Jésus.

Victoire Samothrace

Le livre explique ainsi très bien cette continuité avec la Grèce classique puis son influence sur Rome et son empire. Comme un passage de témoin civilisationnel. Une continuité qui se manifesta dans la transmission de l’hellénisme, ce courant politique, philosophique et artistique qui se diffusa au sein des élites romaines, de Scipion l’Africain à l’empereur Hadrien. « Le destin de l’hellénisme apparaît paradoxal : sa pérennité tient à son adoption par les élites romaines, victorieuses des cités et des rois hellénistiques » écrivent ainsi les auteurs. Un hellénisme marqué notamment par l’éphébie, ce temps d’instruction civique et militaire très prisé de certains généraux romains. Un hellénisme qui survécut à la chute de Rome et que les auteurs convoquent via des représentations tirées du Moyen-Age, de la peinture baroque et du cinéma pour mieux illustrer leur propos.

Livre politique, archéologique et sociologique, la Grèce hellénistique offre ainsi une plongée passionnante dans une époque charnière de l’Antiquité faite de ruptures et de continuité. « Et Rome, unique objet d’un désespoir si beau, du fils de Mithridate est le digne tombeau » écrivit Racine dans sa pièce Mithridate, ce roi du Pont défait par le général romain Pompée. Un tombeau qui allait devenir berceau.

Par Laurent Pfaadt

Christophe Chandezon, Catherine Grandjean, Gerbert-Sylvestre Bouyssou, La Grèce hellénistique et romaine, d’Alexandre à Hadrien (336 avant notre ère – 138 de notre ère)
coll. Mondes anciens, Belin, 816 p.

A lire également :
Laurent Gohary, Scipion l’Africain,
Realia/Les Belles Lettres, 416 p.