La Jérusalem des Balkans

Une très belle exposition du musée d’art et d’histoire du judaïsme complétée d’un livre de photos nous font revivre l’atmosphère unique et à jamais perdue de la cité grecque

Il est des villes qui portent en elles la promesse d’un voyage, d’un fantasme. Des villes-monde. Odessa, Trieste, Salonique. Cité à la croisée des chemins entre Mitteleuropa et Méditerranée, elle a vu naître les grands saints de l’Église slave, Cyrille et Méthode, Mustapha Kemal, futur Atatürk ou le grand-père de Nicolas Sarkozy.


Paul Zepdji @mahj

Elle personnifia jusqu’à sa destruction par les nazis en 1943 une utopie multiethnique de communautés vivant en harmonie, les unes à côté des autres, les unes avec les autres. On s’entendait pour fermer le samedi et lors des fêtes juives. C’est ce que montre à merveille l’exposition du musée d’art et d’histoire du judaïsme de Paris. S’appuyant sur la donation photographique de Pierre de Gigord, collectionneur passionné de l’Empire Ottoman, dont elle a tiré cent cinquante clichés des photographes de la ville, Paul Zepdji à la fin du XIXe siècle puis Ali Eniss, drogman au consulat d’Allemagne de la ville, l’exposition retrace ainsi merveilleusement un demi-siècle de la vie de cette communauté juive venue s’installer ici après avoir fui les persécutions espagnoles du XVe siècle.

Entre ces murs bâtis par les Romains et où demeure toujours l’arc de Galère, cet empereur du début du IVe siècle tombé sous le charme de la cité, photographié par Zepdji et devenu la porte de ces civilisations qui construisirent avec leurs fils et leurs filles notamment juifs la légende de la ville, le visiteur est invité à entrer dans cette dernière. A l’aide de plans fort précieux, l’exposition montre ainsi la division de Salonique en trois quartiers (chrétien, juif et musulman avec une forte proportion de sabbatéens, ces juifs convertis à l’Islam). Ces derniers prennent ensuite vie sur ces tirages effectués d’après les négatifs sur verre qui emmènent les visiteurs dans ces rues nimbées de la mémoire des civilisations passées, celle des Byzantins, des Sarrasins, des Croisés, des Ottomans, des Juifs et qui maquillèrent leur architecture byzantine-ottomane de cet art déco arrivé au début du 20e siècle. Ces clichés prennent des airs de voyage dans le temps. On a l’impression de capter les odeurs de poisson du port, d’entendre les rires des enfants place de l’Olympe ou de croiser des clients sortant du Splendid Palace ou des cafés.

Les juifs majoritairement séfarades, représentèrent jusqu’à 50 % de la population. Ils sont là sur ces clichés, tantôt en costumes traditionnels, tantôt représentés en portefaix mais l’œil du visiteur qui s’attarde avec nostalgie devant ces photographies se remplit de quelques larmes devant ce monde qu’il sait disparu, d’abord dans les flammes de l’incendie de 1917 qui défigurèrent définitivement cette ville à nulle autre pareille et où près de la moitié des trente-trois synagogues furent réduites en cendres. Puis dans cet autre incendie qui allait, un quart de siècle plus tard, consumer l’Europe entière.

Par Laurent Pfaadt

Salonique, la Jérusalem des Balkans,
jusqu’au 21 avril 2024,
Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 1870-1920, Paris 3
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A lire le très beau catalogue signé Catherine Pinguet, Salonique, 1870-1920
CNRS éditions, 172 p.