Des empereurs à la baguette

La Wiener Akademie célèbre la musique des Habsbourg

Septembre 1791, Prague. Toutes les têtes couronnées de l’époque
ont été réunies pour assister au sacre du nouvel empereur du Saint
Empire romain germanique, Leopold II Habsbourg, couronné pour
l’occasion roi de Bohème. Les plus grands compositeurs du moment
ont été mis à contribution pour célébrer ce moment : Mozart, le
génie de l’époque à qui il ne reste que deux années à vivre, Antonio
Salieri bien évidemment, compositeur le plus connu du continent et
Michael Haydn, frère cadet de Joseph. Alors que l’empereur entre
dans la cathédrale Saint-Guy, le kyrie de la Missa Solemnis
composée quelques onze années plus tôt se met à retentir. Chacun
retient son souffle.

Cette ambiance transparaît dans le merveilleux coffret regroupant
quelques interprétations de référence de la Wiener Akademie,
ensemble fondé par Martin Haselböck voilà trente-cinq ans.
Concentré sur les périodes baroque et pré-romantique, ce coffret,
premier d’une série baptisée Resound qui reprend les
enregistrements de la Wiener Akademie, montre combien la
musique joua un rôle primordial sous les Habsbourg. Les grands
compositeurs de l’époque furent ainsi convoqués, choyés pour
glorifier la dynastie et certaines voix comme celles de la mezzo-
soprano et alto, Elisabeth von Magnus, fille de Nikolaus
Harnoncourt dans ce premier enregistrement du Te Deum de Salieri ou Thomas Hampson, porteur de lumière dans la Messe de
couronnement de Mozart clament, de la plus belle des manières, le
triomphe des empereurs dans ces enregistrements de référence.
D’autres disques, véritables découvertes, montrent également que
certains empereurs furent non seulement de brillants interprètes
mais également des compositeurs non dénués de talent. Ainsi
Leopold Ier (1658-1705), passionné de musique, composa pour sa
première épouse, l’infante Marguerite-Thérèse, le premier opéra en
langue espagnole. Ses œuvres sacrées restent marquées d’une
solennité religieuse.

Le coffret navigue dans des univers musicaux différents qui
démontre toute la palette d’interprétation de la Wiener Akademie.
Ainsi, entre les œuvres religieuses de Johann Joseph Fux,
compositeur favori de Leopold Ier, auteur d’une très belle
Deposizione dalla Croce et l’atmosphère plus viennoise d’un
Heinrich Ignaz Franz Biber ou d’un Alessandro Poglietti, Martin
Haselböck propose un incroyable voyage dans le temps,
réinterprétant les œuvres dans les lieux où elles furent créées tel cet
incroyable disque qui reprend le programme du sacre de l’empereur
Léopold II en nous permettant, les yeux fermés, d’être là, dans
l’assistance.

Et à côté de nous, en ce jour de sacre, sous les ors de la cathédrale
Saint-Guy, se trouvait le prince-archevêque de Salzbourg,
Hieronymus von Colloredo-Mansfeld, ce protecteur que Mozart
détestait et qui lui avait commandé la Messe du couronnement. Et en
entendant le kyrie de cette dernière le religieux dut en convenir :
cette musique était bel et bien celle d’un génie aimé de Dieu. Génie
aujourd’hui parfaitement restitué dans ce merveilleux coffret.

Par Laurent Pfaadt

Musica Imperialis, Resound, Wiener Klassische Akademie,
dir. Martin Haselböck, Aparté