Les Dix Plaies du patrimoine

L’historien Peter Eeckhout signe un livre sur les dangers qui
menacent notre patrimoine. Indispensable

mosquée Alep
© Dimitar Dilkoff/AFP)

C’est un vieil adage vérifié à maintes reprises : ce que l’homme a
édifié, il peut le détruire. Bouddhas de Bâmyân par les talibans
d’Afghanistan, vieille ville d’Alep par les forces du régime Assad ou
cité de Palmyre par les soldats de Daech, ces exemples viennent
s’ajouter à une longue liste de sites ou de monuments détruits ou en
passe de l’être.

Le lecteur trouvera dans le magnifique ouvrage de Peter Eeckhout ,
docteur en histoire de l’art et archéologie de l’Université libre de
Bruxelles, vingt-trois exemples qui permettent sans être
malheureusement exhaustifs de cerner les dangers qui menacent le
patrimoine de l’humanité. Des plus connus au plus confidentiels
comme le minaret de Jâm en Afghanistan ou Nan Madol en
Micronésie, il offre aux lecteurs un voyage à la fois enchanteur grâce
aux reconstitutions 3D des différents sites proposés mais également
effrayant puisque ces mêmes reconstitutions témoignent de ce que
nous avons été capables. Ainsi nous emmène-t-il derrière le décor
pour constater comme à Hyderabad ou au pied du Palais Sans Souci
du roi Christophe en Haïti, notre impéritie collective. « Chaque tombe
saccagée, chaque mur démoli, chaque sol éventré qui portait en lui des
traces du passé, c’est une part de la mémoire de l’humanité qui disparaît à
jamais » écrit ainsi l’auteur. Didactique autant qu’instructif, son livre
recense ainsi ces fameuses dix plaies qui sont en fait treize. Il innove
par sa définition de la destruction : non plus cantonnée aux guerres,
aux idéologies et à la volonté clairement affichée de réduire en
cendres ou de piller, celle-ci renvoie à une consommation de masse
qui se décline sous diverses formes : tourisme de masse sur les sites
d’Angkor Vat au Cambodge, changement climatique, urbanisation
comme par exemple à Chinchero au Pérou, cité péruvienne menacée
par la construction d’un aéroport international, défaut de gestion ou
restauration abusive avec cette fascinante étude de cas relative à
Boukhara en Ouzbékistan, victime de ce « paradoxe terrible que cette richesse même lui coûte aujourd’hui son identité, malmenée et manipulée
pour des motifs à la fois politiques et économiques » selon Peter
Eeckhout. Même les plus beaux sites de la planète sont concernés.
Ainsi des pyramides de Gizeh, menacées par la multiplication de
constructions touristiques à commencer par le projet du GEM
(Grand Egyptian Museum) de 480 000 m2 qui, paradoxalement,
risque, à long terme, de tuer la poule aux œufs d’or. Mais parler de
long terme semble aussi vain que de ralentir la destruction du
patrimoine…

Patrimoine mondial en péril est à la fois un livre fascinant et terrifiant
car il est difficile de ne pas y voir un futur livre d’archives rappelant
ce qui fut et, malheureusement, ce qui est déjà. Doit-on voir devant
Hyderabad, intoxiquée par les gaz d’échappement, lacérée par les
fils électriques et défigurée par des boutiques sauvages, un présage
de ce qui attend peut-être sa sœur Agra et son célèbre Taj Mahal,
dans quelques décennies ou siècles ? On en frémit.

L’ouvrage rend également hommage au combat de ces millions d’hommes et de femmes déterminés à protéger le patrimoine
comme ces milices de bénévoles locaux à Leptis Magna en Libye.
Elles demeurent ainsi ce qui reste de nos consciences lobotomisées
par les quêtes toujours plus insatiables de l’argent et du
divertissement. Livre essentiel à mettre entre toutes les mains,
notamment celles des plus jeunes, à intégrer dans toutes les
médiathèques et écoles pour servir de manuels éducatifs, Patrimoine
mondial en péril doit demeurer, espérons-le, le témoignage du génie
du genre humain et non de sa folie.

Par Laurent Pfaadt

Peter Eeckhout, Patrimoine mondial en péril,
Chez Passés composés, 320 p. 2021