Désactiver l’Incontrôlable !

L’homme qui tua Mouammar Kadhafi
Superamas

Dans le cadre du festival les Vagamondes, la Filature a accueilli une
proposition de théâtre documentaire et interactif sur le
renversement de Kadhafi imaginée par le journaliste politique
Alexis Poulin et le collectif Superamas. Ils ont convaincu un
véritable maître espion en poste à Tripoli de 2007 à 2011 de
témoigner à visage découvert afin de préciser les dessous de
l’implication du Libyen dans la présidentielle française de 2007 et
de son retour en grâce internationale jusqu’à sa chute planifiée le
20 octobre 2011.

© Simon Gosselin

Avec la tension du direct, Alexis Poulin est dans son rôle de
journaliste d’investigation (à un moment, il était question de publier
son enquête en livre). Il détaille l’enchaînement des faits, le rôle des
différents protagonistes matérialisés sur scène par des portraits
manipulés comme des pions sur l’échiquier international. En maître
des horloges, il accueille un ancien agent de la DGSE, l’interroge,
invite les spectateurs à poser leurs propres questions (et ils ne s’en
privent pas).

Les tenants et les aboutissants, les manipulations aussi (les fake news
avancées par Al-Jazeera) s’exposent sous nos yeux et révèlent le
narratif pour « vendre » le renversement de l’incontrôlable dictateur
Libyen par le CNT. L’ex espion (son nom n’est pas mentionné) raconte
sobrement la fin du fantasque dirigeant tempérant le
sensationnalisme de ce moment sordide dont des images avaient
circulé sur les écrans. Il s’interroge aussi sur ce geste de mort :
Qu’est-ce qui compte véritablement dans cette histoire ? Est-ce que c’est
le nom de l’homme qui a appuyé sur la gâchette ou c’est le nom de celui
qui lui en a donné l’ordre ?
C’est d’ailleurs ce sentiment d’être trahi et de ne plus agir pour
l’intérêt général qui lui a fait renoncer à cette carrière.

Le journaliste le rappelle au début : cette forme théâtrale veut
prendre le temps de l’intelligence, ce que ne permet pas le plateau
de télévision (ou les joutes des réseaux sociaux) qui attise l’urgence
et l’affrontement des postures idéologiques plutôt que de poser les
enjeux y compris sous-jacents, ceux de la géopolitique (et de
l’économie !). Contrairement à un livre, elle permet l’échange avec le
public (très impliqué ce soir-là) et donne une densité concrète à ses
événements, ses personnages.

À démonter le complot (le plot des scénarios hollywoodiens), la pièce
interpelle aussi sur la transparence et la vocation de la guerre lancée
au bénéfice d’intérêts privés ou du pouvoir de quelques-uns sous
prétexte de libérer un peuple avec le story telling émotionnel qui assure l’après-vente. La manipulation des masses n’est pas une
exclusivité des régimes totalitaires et nos démocraties ne s’en
distinguent que par quelques nuances de brutalité.
Malheureusement l’actualité nous confronte à une tragédie de plus
où quelques ego se purgent à nouveau dans le sang des autres. Des
autres toujours trop nombreux à pleurer, saigner, mourir.

• Spectacle donné dans le cadre du festival les Vagamondes avec
d’autres belles propositions jusqu’au 27 mars, dont deux expositions
à voir en marge (ou non) des représentations :
The Nemesis Machine, la vibrionnante métropole high-tech de Stanza jusqu’au 27 mars (sur la mezzanine) et l’apesanteur plastique des photographies de SMITH jusqu’au 7 mai (dans la galerie).

Par Luc Maechel

La Filature Mulhouse
représentation du mercredi 16 mars 2022