Encre noire

Benjamin Azoulay signe la biographie d’Abel Bonnard, plume au service du régime de Vichy

A l’instar de la couverture de l’ouvrage où Abel Bonnard se tient en retrait du maréchal Pétain, dans son ombre, l’homme a fini par être oublié de la grande histoire. Terminée la gloire littéraire dont il a joui dans l’entre-deux-guerres. Effacées les traces de son passage dans le gouvernement de Vichy. Oubliée son idéologie fasciste.


Parfois, il est de ces hommes comme Abel Bonnard qui se satisfassent de ne laisser qu’une ombre dans la mémoire collective d’une nation. Sans assumer leurs choix, ils préfèrent disparaître pour faire oublier leurs échecs et leur ignominie. Ils effacent leurs traces, surtout celles de papier pour qu’on ne les retrouve pas. 

C’était sans compter le mérite de Benjamin Azoulay, haut fonctionnaire qui a consacré un mémoire de recherche à Abel Bonnard, et s’est mué en véritable archéologue de l’histoire, convoquant une variété d’archives pour remettre Abel Bonnard sous la lumière du tribunal de l’histoire afin qu’il y soit jugé en toute objectivité. Pour suivre celui qu’il qualifie d’« ingénieur de la collaboration », l’auteur nous emmène dans ce début du 20e siècle parisien qui attire tous ceux qui rêvent de gloire littéraire, surtout les provinciaux. Abel Bonnard est de ceux-là. Dandy, poète en vue, il conquiert, à la manière d’un Rastignac, les salons parisiens, s’installe très vite dans les revues et les conversations et gagne quelques prix littéraires. Si bien qu’à cinquante ans à peine, en 1933, il est admis à l’Académie française. 

Hasard de l’histoire, sa réception précède de quelques jours la loi sur les pleins pouvoirs accordée par le Reichstag à Adolf Hitler, le nouveau chancelier allemand que Bonnard allait admirer. Benjamin Azoulay montre ainsi qu’Abel Bonnard fut un fasciste convaincu, « pur » d’une certaine manière, fervent admirateur des modèles italiens et allemands. Souhaitant la mort de la « gueuse », cette IIIe République honnie, partisan de l’ordre nouveau et de la révolution nationale, il finit par s’en éloigner lorsqu’il constata que cette dernière ne prenait pas le chemin d’un fascisme à la française. Cependant, cette démarche intellectuelle le conduisit dans une impasse : celui d’être la créature des Allemands, et en premier de l’ambassadeur du Troisième Reich en France, Otto Abetz. Et tout naturellement ces derniers l’imposèrent au ministère de l’Education nationale lors du retour de Pierre Laval en avril 1942 où Bonnard rencontra l’hostilité du corps enseignant. 

Benjamin Azoulay décortique ainsi méthodiquement, presque cliniquement son idéologie basée notamment sur une théorie de l’histoire avec la guerre comme matrice du changement et le héros comme acteur de ce bouleversement tout en concluant à son échec. « Abel Bonnard apparaît en définitive bien plus comme un agent – certes efficace et exemplaire – de la stratégie allemande que comme un acteur volontaire de l’histoire » écrit-il. Une conclusion en forme de jugement afin de dissiper toute ombre derrière laquelle se cacher. 

Par Laurent Pfaadt

Benjamin Azoulay, Abel Bonnard, plume de la collaboration
Chez Perrin, 384 p.