Fucking Germany

Le premier roman de Christian
Kracht enfin traduit.
Choc assuré.

Il y a indiscutablement dans
Faserland du Bret Easton Ellis ou
du Don Delillo. Suivant le
périples d’un jeune Allemand à
l’abri du besoin, le roman est une
sorte de jeu de massacre
perpétuel. Tout y passe : les
bobos, l’extrême-droite,
l’extrême-gauche, la social-
démocratie, les écolos, les
intellectuels de toute nature, l’histoire, les femmes, les vieux. Le
héros, absolument infecte et voleur, se complaît dans une sorte de
beuverie permanente tout en se débattant au centre d’un
kaléidoscope macabre qui pousse très vite le lecteur à s’interroger
sur la société dans laquelle il vit. Le côté picaresque de l’histoire
donne parfois au lecteur l’occasion de rire de l’accoutrement de
certains, de situations plus que grotesques notamment le ménage
à trois formé par son ami Nigel et un ex-mannequin africain ou de
ces détails insignifiants comme cette réflexion sur une bouteille
d’eau dans le train qui le mène à Karlsruhe. Sous le portrait de son
personnage principal percent déjà les traits de ses héros à venir,
ces Don Quichotte désabusés et perdus dans le Pacifique ou au
Japon.

Présent dans de la première sélection du Médicis étranger,
l’ouvrage étale ces petites mesquineries du quotidien, ces
jugements de valeur sans fondements qui irriguent cette société
factice et l’ego démesuré de ces oisifs qui s’érigent en élites de
toutes sortes. « Aussi je lui paie la course, en ajoutant un gros
pourboire pour qu’à l’avenir, il sache qui est l’ennemi »
dit-il ainsi à
propos d’un chauffeur de taxi à Hambourg. Ce portrait au vitriol
qu’il faut prendre au second degré, n’est autre qu’une violente
charge contre ces gens qui peuplent l’ouvrage et cette société
qu’ils ont érigé en système absolu avec leurs valeurs
nauséabondes et qui n’est, au final, qu’une illusion peuplée de
parasites. Porté par l’écriture flamboyante de Kracht et une
traduction remarquable, ses mots ressemblent à ces drogues que
prennent les personnages. Car le lecteur, pris au piège, est
contaminé par cette addiction littéraire plutôt jouissive. Mais, la
dernière page refermée, le constat est plus qu’alarmant. Kracht
nous dépeint une jeunesse perdue, désespérée qui noie sa
mélancolie et sa peur de l’avenir dans des conduites à risques.
Alors, à cet instant, on ne rit plus.

Par Laurent Pfaadt

Christian Kracht, Faserland,
Chez Phébus, 160 p.