Garde-robe littéraire

Haruki Murakami se raconte à travers ses T-Shirts. De la haute couture comme d’habitude

L’habit ne fait pas le moine. Mais il semble faire l’écrivain nous dit Haruki Murakami, figure de proue des lettres japonaises qui, à défaut de prix Nobel vient de recevoir le prix Cino Del Luca récompensant une œuvre scientifique ou littéraire au message d’humanisme et succédant notamment à Andrei Sakharov, Mario Vargas Llosa, Sylvain Germain et Joyce Carol Oates. Et plus particulièrement ses T-Shirts qu’il affectionne tout particulièrement. De cette passion est née l’idée peut-être un peu folle de confectionner une autobiographie. Il a fallu pour cela la rencontre avec le magazine japonais de mode Popeye.


Murakami aime les T-Shirts. En été, il ne porte que cela et en possède des centaines qu’il reçoit ou chine aux détours de ses pérégrinations. Accompagné de photos, le livre se promène ainsi dans les placards de notre auteur et raconte un peu plus sa vie. Il y a ce qu’on sait de lui, ses passions pour la musique et le jazz en particulier mais également Bruce Springsteen ou le célèbre groupe de rock des Ramones, pour la course à pied et le marathon, le baseball et le whisky. Parfois, le connaisseur de l’œuvre du maître trouve sur les cols de ces T-Shirts quelques poussières d’inspiration glissées ici ou là comme par exemple sa passion à chiner des vinyles qui renvoie à la nouvelle Charlie Parker plays bossa-nova (Première personne du singulier, Belfond, 2022). D’ailleurs il rappelle qu’un T-Shirt comme tout autre objet peut être une source d’inspiration. Ainsi son préféré, un T-Shirt jaune du nom de Tony Takitani, obscur candidat démocrate aux Etats-Unis qui lui inspira une nouvelle et qui elle-même devint un film.

Parfois, au détour d’une confection qui se veut confession, le lecteur découvre un Murakami qu’il connait moins. En préférant les T-Shirts sans marques floqués de logos plutôt que des T-Shirts chics, Murakami révèle cette humilité et cette simplicité qui le caractérisent. « Je ne veux pas attirer l’attention » se justifie-t-il tout en admettant que certains T-Shirts restent difficiles à porter, soit par conformisme, soit parce qu’ils demandent du courage : « les motifs qui ornent les T-Shirts sont innombrables mais oser porter ceux qui représentent des voitures constitue un acte bien plus héroïque qu’on ne le pense ». Derrière ces T-Shirts, Murakami offre ainsi une réflexion sur ce que les habits disent de nous, les messages, les idées que nous véhiculons. Plus encore, la force qu’il assigne à ce bout de tissu sans valeur marchande traduit cette capacité qu’ont les objets de posséder leur propre vie et de consigner une mémoire, celle de ceux qui les ont portés avant nous, celle des rencontres que vous avez effectuées, et celle enfin des lieux que vous avez arpenté durant votre vie (les plages d’Hawaï, les villes américaines où il a enseigné, etc.). Une mémoire projetée au cœur de l’œuvre de l’écrivain japonais quand on pense à quelques-uns de ses livres comme récemment Le Meurtre du Commandeur (Belfond, 2018).

Une nouvelle fois magnifiquement traduit par Hélène Morita, T complète ainsi une autobiographie composée de fragments épars, sorte de puzzle mental que le lecteur doit assembler à sa guise, un puzzle où se côtoient éléments factuels et ressentis. T confirme également un écrivain à la prose à la fois profonde et pleine d’humour lorsqu’il révèle à la fin du livre que « j’ai aussi une collection de shorts ». Donc comme le dit la publicité, demain Murakami enlève le bas !

Par Laurent Pfaadt

Haruki Murakami, T, ma vie en T-Shirts, Belfond, 200 p.

Belfond, éditeur historique de Murakami poursuit sa réédition des œuvres de l’écrivain avec La Ballade de l’impossible et surtout l’un de ses plus grands succès, Kafka sur le rivage. En mars 2023 sortira en salle l’adaptation de sa nouvelle Saules aveugles, femme endormie (Belfond, 2008)