Bachelard Quartet

Le TNS présente avec le TJP-CDN la dernière création de la Cie La belle Meunière « Une rêverie sur les éléments à partir de l’œuvre de Gaston Bachelard »


 Les trois interprètes, Pierre Meunier, Jeanne Bleuse, Matthew Sharpqui réservent un accueil chaleureux aux spectateurs qui progressivement gagnent leur place dans la salle. Nous sommes là pour évoquer, Bachelard, un grand philosophe, un vrai poète. Et c’est un beau projet qui mérite que, nous, les spectateurs, comme conviés à une veillée, nous soyons, pour plus d’intimité, installés dans un dispositif tri -frontal.

Pierre Meunier avec la complicité de Marguerite Bordat qui dirige avec lui la Cie « La Belle Meunière », a tenu à cette rencontre qui fait l’éloge de l’imagination et des quatre éléments constitutifs de la vie, la terre, l’air, l’eau et le feu. Il est le conteur, celui qui rapporte avec attention, respect et enthousiasme les mots de l’écrivain que lui-même a découvert en 1990 en lisant son ouvrage « L’air et les songes ». Depuis cet auteur ne l’a plus quitté et sans le citer explicitement, il a créé en 2021 un spectacle pour le jeune public, intitulé « Terairofeu » dans lequel les quatre éléments sont mis en jeu de façon ludique à l’aide de nombreux objets manipulés, ce qui caractérise souvent les spectacles de « La Belle Meunière », ce qui n’est pas le cas ici.

Car tout repose sur la voix et la musique et leur pouvoir d’évocation. Pas non plus de plateau à proprement parler pour plus de proximité avec le public (scénographie Géraldine Foucault et Marguerite Bordat) mais deux estrades(construction Florian Mèneret et Jean-François Perlicius), sur lesquelles sont installés les instruments de musique, un violoncelle, un piano. Ils seront avec ceux qui en jouent, la pianiste Jeanne Bleuse et le violoncelliste Matthew Sharp, d’extraordinaires partenaires de jeu pour le conteur, Pierre Meunier qui va de l’un à l’autre en effectuant sa causerie qui, en tout premier lieu, est un éloge de l’imaginaire, de la rêverie, deux concepts chers à Bachelard .

Il ne s’agit pas d’illustrer le propos mais d’en faire ressortir la poésie et la beauté. Une extraordinaire complicité circule entre les trois artistes. La musique parle à sa manière, le récitant se met, parfois à chantonner ou même à chanter et à esquisser des pas de danse. Parfois, aussi, de grands enthousiasmes les traversent, ils se regroupent autour du piano, trafiquent dans son ventre, se réfugient en dessous comme pour jouer à cache-cache ou se mettre à l’abri. A d’autres moments chacun regagne son lieu et joue avec talent, avec passion. Outre les improvisations, le répertoire choisi mélange les genres et les époques et l’on pourra entendre des œuvres de Gabrielli (1689) aussi bien que d’Igor Stravinsky (1913), de Béla Bartok (1915), de Meredith Monk (2003) ou d’Olivier Messiaen(1928) et de bien d’autres,  interprétés avec une formidable virtuosité dans de pertinents arrangements. (conseil à l’improvisation et au piano préparé Eve Risser)

La poésie, c’est aussi quelques jolies trouvailles, entre autres, cette boule de verre cassé qui projette une myriade de petits cercles lumineux tout autour de nous (lumière Hervé Frichet) ou ces tubes métalliques qui font des sons harmonieux en s’entrechoquant ou bien encore ces morceaux de bois à frotter pour faire jaillir l’étincelle ou la fumée qui rend imprécis les contours. 

Chaque élément sera bien sûr évoqué, La TERRE, dans laquelle la pianiste voulait creuser des trous et que le violoncelliste rêvait d’explorer en devenant égoutier.  Cette terre d’où l’on extrait le métal que le forgeron façonnera sur l’enclume, « enclume », un si beau mot dira le conteur.

Le FEU, sur lequel s’attarde Meunier qui nous conduit aussi à des révélations de bon aloi comme celle qui nous dit que, dans les temps préhistoriques les femmes connaissaient le feu avant les hommes, savaient le cacher, le conserver. On parlera du feu comme « fils du bois » puisqu’ on peut l’obtenir par frottement de deux morceaux de bois mais on peut aussi bien dire , « fils de l’homme » puisque le frottement des corps est une expérience humaine qui peut irradier les feux de l’amour et qui a peut-être été inspiratrice… On évoquera les légendes qui racontent qu’un jour un ivrogne bien imprégné d’alcool s’est enflammé de l’intérieur et les coutumes comme celle du brûlot qui voit l’alcool s’enflammer dans le verre.

Pour L’AIR, il sera question de liberté, de légèreté,  a contrario d’un jeu de mot « je pense donc je pèse » pendant que Matthew grimpe pour jouer sur le couvercle du piano et que Jeanne fait avec énergie ses gammes avec son coude. Mais on n’en reste pas là car on évoque le premier soupir poussé à la naissance et le dernier quand on rend l’âme.

Quant à L’EAU, c’est par l’intermédiaire d’un grand moment musical qu’elle sera célébrée avec le chant nuancé du violoncelliste, par un hymne à la nuit, par les musiciens jouant dos à dos et par le  récitant couché pour évoquer la mort, la nécessité de refaire un monde et de sauver des eaux des peuples qui y périssent.

Pour clore cette veillée, en toute convivialité, nous sommes invités à rejoindre le bar où les artistes nous servent le rhum encore brûlant d’avoir flambé dans la marmite.

Défense et illustration de Gaston Bachelard et de La Belle Meunière.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 26 novembre au TNS

En salle jusqu’au 2 décembre