Hitler démythifié

Congres du NSDAP (parti nazi) a Nuremberg, 1929 : Adolf Hitler salue par la foule faisant le salut hitlerien — Nuremberg Rally (nazi party) in 1929 : Adolf Hitler saluted by people making hitlerian salute

L’historien
allemand Peter
Longerich signe
une remarquable
biographie du
Führer

Il fallait bien qu’il
s’y attelle. Après
son grand
inquisiteur puis
son éphémère et
crépusculaire
chancelier,
l’historien a décidé
d’ausculter l’architecte du Troisième Reich. On pensait avoir réglé
définitivement la question avec la monumentale biographie de Ian
Kershaw. Et au regard de l’égale monumentalité de ce nouvel opus
hitlérien, il semblerait bien qu’il y ait encore pas mal de choses à
dire. Ce qui frappe immédiatement lorsqu’on lit cette nouvelle
biographie est l’entreprise menée par Peter Longerich pour non
pas déshumaniser Hitler mais au contraire pour le réhumaniser en
pointant son instabilité, ses absences de lucidité notamment
militaires, obscurcis par sa mégalomanie et son obsession de la
race et de l’espace vital, et ses multiples revirements.

Evidemment, on ne peut échapper à l’analyse psychologique du
personnage. Comment ce raté, souffrant de problèmes avec les
autres, sans empathie, atteint d’un sous-développement
émotionnel et incapable de reconnaître ses erreurs, est devenu
celui qui est resté dans l’histoire comme l’archétype du tyran ? A
cette question Longerich répond qu’Adolf Hitler « avec une grande
détermination, a adopté différentes stratégies de conquête du pouvoir
(parfois parallèlement) qu’il a fini par combiner »
. A titre d’exemple,
l’auteur rappelle que son accession à la chancellerie, le 30 janvier
1933, ne constitua pas comme une partie de l’historiographie a
longtemps tenté de le démontrer, la première marche du
triomphe. Bien au contraire, sa position durant ses six premiers
mois de gouvernement, s’est révélée extrêmement fragile.

Aujourd’hui on dirait qu’Hitler fut une sorte de produit marketing
fabriqué par des intérêts communs, une sorte de Frankenstein qui
aurait échappé à ses créateurs, ces forces conservatrices qui, en
jouant avec le feu nazi, consumèrent toute une nation et une
grande partie de l’Europe. Tout en lui concédant une intelligence
toute machiavélique qu’il manifesta en offrant des gages à l’armée
(réarmement et perspectives d’annexions de l’Autriche et de la
Tchécoslovaquie), en détruisant méthodiquement les forces de
gauche et en enterrant la démocratie allemande, Peter Longerich
n’émet aucun doute quant à sa responsabilité dans la destruction
des juifs d’Europe centrale, estimant cependant qu’« il n’existe
aucune trace de la décision de lancer ce programme de massacres et de
déportations. Elle n’a pu qu’être reconstituée
» Pourtant, poursuit
l’historien « si l’on considère l’attitude de Hitler à propos de la «
question juive » sur une longue période, on en vient à la conclusion que
c’est bien lui qui, à chaque étape de la radicalisation, a adopté les
changements de cap décisifs, et a donc ce faisant pris la décision de son
développement ».

Peter Longerich démonte également le soi-disant charisme
d’Hitler qui a subjugué les foules qui l’ont suivi jusque dans le
tombeau. Soigneusement fabriqué et entretenu par des
interventions et des prises de paroles en rapport avec les victoires
militaires, ces mêmes interventions se firent plus rares lorsque la
Wehrmacht et les SS reculèrent sur le terrain. En affirmant que
l’adhésion du peuple au Führer fut moins un sentiment quasi
magique et inconscient que les conséquences d’une opinion
publique fabriquée et d’un appareil de répression toujours plus
envahissant, Longerich dédouane d’une certaine manière le
peuple allemand, ce qui ne manquera pas de susciter de nouveaux
débats et de renouveler les controverses.

La catastrophe est donc née de l’accession à la chancellerie d’un
Etat humilié et ruiné d’un déséquilibré sans aucune forme
d’empathie que certains ont cru pouvoir sous-estimé semble dire
Longerich. Ce cocktail explosif accoucha de la destruction de
l’Europe et de la Shoah. On se dit alors que la vérité n’est pas aussi
simple sauf qu’en regardant notre histoire récente, on se rend
compte qu’elle est glaçante de simplicité…

Laurent Pfaadt

Peter Longerich, Hitler,
éditions Héloïse d’Ormesson, 1248 p, 2017