L’Espagne au soleil couchant

Juan de Prada © Instituto Cervantes de Manila

L’écrivain espagnol
Juan de Prada
revient sur la fin
des Philippines
espagnoles

L’antienne est
connue. Le soleil
ne se couchait
jamais sur l’empire
de Charles Quint.
Du Mexique aux
Philippines en passant par Cuba ou le Maroc, les conquistadors et
autres prêtres ont fait briller la couronne espagnole pendant près
de quatre siècles. Et puis, lentement, l’empire s’est désagrégé,
étiolé. Ce fut le cas aux Philippines en cette fin de printemps 1898
sous les coups de boutoir philippins, soutenus activement par les
Etats-Unis, nouvelle grande puissance engagées dans une lutte
impériale contre l’Espagne, notamment à Cuba.

Voilà le décor du nouvel opus de Juan de Prada, Prix Planeta 1997
– l’équivalent espagnol du Goncourt-  pour la Tempête (Seuil, 2000),
et passé quasiment inaperçu depuis sa sortie en France. On avait
adoré Une imposture (Seuil, 2014) et il faut dire que Mourir sous ton
ciel
ne nous a pas déçu car une fois de plus, l’auteur s’amuse à nous
promener dans les interstices de l’histoire, là où se cache le doute,
l’incompris, la falsification.

Empruntant le titre de son ouvrage au poète philippin José Rizal,
Juan de Prada nous emmène à Baler, au nord du pays, non loin de
la capitale Manille. Là-bas, un détachement de soldats espagnols
va résister jusqu’au bout aux soldats philippins emmenés par leur
chef, Teodorico Novicio. Le romancier a ainsi construit une
incroyable épopée qui voit s’affronter deux civilisations : celle de
l’Espagne catholique, certes conservatrice et coloniale mais dont
Prada montre qu’elle ne fut pas aussi cruelle que celles de la
France ou du Royaume-Uni et celle, libérale, quasi-agnostique des
Etats-Unis qui, très vite, gagnèrent la guerre de l’opinion en
élaborant la fameuse légende noire de la domination espagnole. A
ce titre, le roman rétablit quelques vérités, ce qui a valu à son
auteur qui assume son ancrage politique à droite, des éloges d’El
Pais, le quotidien de centre-gauche !

Mais la réussite de ce roman ne serait rien sans la plume de Juan
de Prada, toujours alerte. Son récit est dense et humide comme
cette atmosphère de guerre et de ténèbres dans laquelle les
hommes transpirent et meurent. L’auteur mêle astucieusement,
en se fondant sur les mémoires éparses des quelques acteurs de
ce que l’on a appelé le désastre de 98, personnages historiques et
personnages inventés. Comment ne pas adoré la magnifique Lucia
Cifuentes, Fille de la Charité, sorte de sainte Geneviève des
Philippines qui sera grande devant Dieu et les hommes de deux
camps qui s’arracheront son cœur ou le redoutable Rutger von
Houten, trafiquant d’armes hollandais à la solde des Etats-Unis qui
tient aussi bien du Kurtz de Conrad que du Rutger Hauer de Blade
Runner.

L’alchimie est ainsi parfaite. Aventures exotiques, romantisme,
guerres, politique, amours, ésotérisme avec la société secrète
Katipunam, sorte d’avatar local de la franc-maçonnerie, tous les
ingrédients sont réunis pour faire de Mourir sous ton ciel, un très
grand roman, l’énième chef d’œuvre de l’un des plus grands
écrivains espagnols.

Laurent Pfaadt

Juan de Prada, Mourir sous ton ciel,
Seuil, 688 p, 2017