Iphigénie

C’est un spectacle qui nous a étreints. Nous en sommes sortis bouleversés, admiratifs, sans doute parce qu’il évoque la tragédie par excellence qu’est l’histoire de cette héroïne de l’Antiquité qu’est Iphigénie, surtout parce que la réécriture qu’en fait Tiago Rodrigues nous plonge dans des abîmes de réflexion et que la mise en scène d’Anne Théron est d’une rigueur et d’une justesse saisissantes.


Dans un décor très épuré constitué d’un ensemble de gros blocs gris s’apparentant à des ilots, avec en fond de plateau, sur un large écran, des images de la mer et de l’horizon, (Scénographie et costumes Barbara Kraft) là, viennent à se rencontrer les protagonistes bien connus de cette histoire écrite par Euripide et reprise mainte et mainte fois. Tous, strictement vêtus de noir, voici réunis à Aulis, le roi des Grecs, Agamemnon, son frère Ménélas, Ulysse et Achille. La flotte grecque devrait être en partance pour Troie afin de libérer Hélène, la femme de Ménélas enlevée par Pâris mais il n’y a pas de vent et seul un sacrifice peut le faire réapparaître. Il a été décidé qu’il s’agirait d’Iphigénie la fille d’Agamemnon. Prétextant un mariage avec Achille il demande à sa femme Clytemnestre d’amener la jeune fille à Aulis.

Comment ont-ils vécu cette horreur, cet inéluctable sacrifice d’Iphigénie, comment ont-ils pu le rendre nécessaire et acceptable ?

C’est ce cheminement dans leur mémoire qui est l’objet de leur rencontre telle que la met en place dans son texte Tiago Rodrigues et telle que nous la voyons représentée ici par Anne Théron. Et c’est là tout le génie créatif de l’auteur d’avoir fait surgir ces personnages que sont « le chœur » interprété par deux jeunes femmes, Julie Moreau et la danseuse, Fanny Avram auquel s’adjoint le vieillard, Philippe Morier-Genoud et qui ne vont avoir de cesse d’exiger pour chacun qu’il se souvienne de ce jour d’avant où tout était encore possible. Le chœur détient la mémoire, poussent les protagonistes à rectifier ce qu’ils imaginent avoir dit ou fait en les confrontant à leurs contradictions. Cela crée une forte tension dramatique car les silences, l’embarras, les dénégations pèsent lourd. Agamemnon se croit obligé de sacrifier sa fille alors qu’il se dit brisé et il le fait, prétend-il, pour l’honneur des Grecs. Ulysse comme Ménélas restent impitoyables et ne parlent que de « l’inévitable ». Des figures résistantes apparaissent, Achille qui brandit son épée, les femmes du chœur qui disent leur colère et surtout Clytemnestre qui tentera de contrer la décision de son mari en tenant des propos d’une grande fermeté, d’une vraie humanité, en lui proposant de tout abandonner ce qu’il dit ne pouvoir envisager. Son argumentation montre l’importance du libre-arbitre que va bientôt revendiquer Iphigénie quand, sur le point d’être sacrifiée, elle se réapproprie sa mort, refusant que, comme le veut l’histoire, cette mort soit « pour les Grecs » et réclamant qu’on l’oublie. 

Les comédiens sont tous magnifiques, Vincent Dissez un Agamemnon hésitant et tourmenté, Mireille Herbstmeyer, une voix féministe calme et implacable, Alex Descas , un Ménélas exigeant et revendicatif, Joào Cravo Cardoso, un Achille plein de fougue, Richard Sammut un Ulysse sans état d’âme et Carolina  Amaral une Iphigénie troublante.

Leurs agissements sur le plateau se font toujours d’une manière pertinente, leur gestuelle  traduisant le malaise et l’angoisse qui les habitent s’apparente à une chorégraphie que le chorégraphe Thierry Thieù Niang a contribué à mettre en place.

Marie-Françoise Grislin

Représentation  du 13 octobre au TNS

En salle jusqu’au 22 octobre

Texte édité par Les Solitaires