L’Alexandre Dumas de la peinture

Horace Vernet était à l’honneur d’une importante rétrospective au château de Versailles et d’une monographie passionnante

Nous l’ignorons mais Horace Vernet est en permanence avec nous. Dans les musées. Dans nos livres scolaires. Sur les couvertures de romans. Mais surtout dans nos têtes, parfois même sans le savoir, sans que l’on connaisse son nom. Tous les Français qu’ils soient de naissance, d’adoption ou de coeur ont grandi et vivent avec ses tableaux devenus des images familières qui ont fait de nous des citoyens.


Plus qu’aucun autre peintre, Horace Vernet représenta l’histoire de France. Peintre des batailles pour reprendre le titre d’un roman d’un célèbre écrivain espagnol, il est celui de Fontenoy, de Bouvines, du pont d’Arcole, de Valmy, de Iéna. Placé devant elles, le visiteur ne peut que s’émouvoir, se sentir, devant ces grands formats, écrasé par le poids de l’histoire.

Né en 1789, quinze jours avant la prise de la Bastille, comme un présage, Horace Vernet trouva vite en Théodore Géricault un mentor dont il réalisa le portrait et avec qui il partagea la passion des chevaux comme ceux, magnifiques de la Chasse au lion au Sahara (1836) de la Wallace collection. Du cheval au cavalier et au roi, il n’y eut qu’un pas ou un saut que Vernet effectua allègrement. Et pour célébrer ce roi de la peinture historique, Versailles convoqua, le temps d’une exposition, à la cour, nobles venus de provinces avec leurs plus beaux présents picturaux, diplomates étrangers arrivés des Etats-Unis, d’Allemagne, d’Italie ou de Lettonie et illustres inconnus avec ces tableaux issus de collections particulières à l’instar de La mort du prince Poniatowski à la bataille de Leipzig (1816). Tous ces visiteurs venant rejoindre ces Princes du sang et de la peinture installés dans la galerie des batailles.

La parade picturale pouvait donc commencer avec ces tableaux qui se regardent en cinémascope. Sur grand écran. Le spectateur est immédiatement happé et plongé dans le décor. Il devient, consciemment ou à son insu, un personnage à part entière de l’œuvre. Comme dans L’Enlèvement d’Angélique (1820) où il semble impuissant à pouvoir empêcher le rapt.

La scénographie versaillaise amène tout naturellement le visiteur vers les salles d’Afrique aménagée par le roi Louis-Philippe pour célébrer les victoires de l’armée française. Horace Vernet s’y déploie en majesté pour y célébrer cette autre majesté, le duc d’Aumale, 4e fils de Louis-Philippe dont il fut proche notamment dans la monumentale Prise de la smalah d’Abd-el-Kader par le Duc d’Aumale à Taguin (1843-1845). Avant cela, la toile inachevée de La prise de Tanger (1847) commandée par Louis-Philippe pour la salle du Maroc permet d’appréhender la technique de l’artiste : peindre en coin ou sur un côté. Comme une bataille qui se gagne par les flancs.

D’une maîtrise assez impressionnante – on raconte qu’il était capable de réaliser un portrait en une seule séance de pose, d’un seul jet de pinceau – Vernet allait ainsi faire des merveilles en racontant l’histoire de France. Son portrait de Laurent, Marquis de Gouvion-Saint-Cyr, maréchal de France (1764-1830) en1824 est emprunt d’un clair-obscur tout à fait remarquable avec ses reflets sur les broderies de l’uniforme du militaire. Et qu’il s’agisse de ses tableaux monumentaux ou de petits formats, Horace Vernet reste fascinant dans le soin apporté aux détails. Chaque visage de la multitude de soldats de ses batailles titanesques apparaît différent, avec, à chaque fois, une expression unique.

Ce souci du détail se combine à une peinture vivante, toujours en mouvement. Les épaulettes brillantes du militaire dans le Siège de Saragosse (1819) semble sortir de la toile. L’habit blanc du combattant à cheval dans Le combat de la forêt de l’Habra, le 3 décembre 1835 (1840) semble virevolter dans les airs.

C’est ce qui a permis une immédiate identification avec l’histoire de France, cette façon qu’il a eu de la rendre vivante et le permettre à tous de se l’approprier. « Pour Vernet, le récit était essentiel : tout était sujet à tableau » estime Valérie Bajou, conservatrice générale au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon dans le magnifique catalogue qui accompagne l’exposition et tient lieu de monographie de référence. Margot Renard, post-doctorante en histoire de l’art à l’université de Gand, explique d’ailleurs cette alchimie par la rencontre d’un peintre et de son époque allant même jusqu’à dire au sujet de son rapport à Napoléon que « le rôle de Vernet dans l’élaboration de la postérité napoléonienne est majeur, au point de pouvoir l’envisager comme le créateur de Napoléon Bonaparte ». Louis-Philippe dont Horace Vernet fut proche, demeura l’artisan politique de la réhabilitation et de l’intégration de l’empereur et l’Empire au récit national avec notamment le retour des cendres de Napoléon en 1840. Les tableaux des batailles de Iéna, de Friedland, de Wagram peintes en 1836 et son célèbre Napoléon sur son lit de mort (1826) participèrent également de cette réhabilitation.

Cette proximité du pouvoir lui permit d’accéder à des fonctions importantes : colonel de la garde nationale, il combattit les insurgés de 1848 pour défendre son roi. Directeur de l’académie française à Rome, il fut ensuite élu à l’académie des beaux-arts, le 24 juin 1876, devenant ainsi immortel et entrant définitivement dans nos récits nationaux.

Par Laurent Pfaadt

Horace Vernet (1789-1863), sous la direction de Valérie Bajou,
château de Versailles/éditions Faton, 448 p.