La Nouvelle France à la conquête de l’ancienne

Le Québec sera l’invité d’honneur de la prochaine édition du Festival du livre de Paris. L’occasion de découvrir cette littérature atypique

Malgré son incontestable richesse, la littérature québécoise reste encore méconnue de ce côté-ci de l’Atlantique. Quelques auteurs ont bien réussi à percer ces dernières années comme Heather O’Neill dont on garde encore en tête son merveilleux roman Les enfants de coeur (Seuil, 2018) pourtant écrit en anglais et qui présentera cette année Perdre la tête (Les Escales, 2024), une sombre histoire d’amitié féminine dans le Montréal de la deuxième moitié du XIXe siècle, ou plus récemment Eric Chacour qui a rencontré un succès mérité pour sonCe que je sais de toi (Éditions Philippe Rey, 2023) récompensé à juste titre par le prix Femina des lycéens l’an passé, deux auteurs qui seront présents lors de cette nouvelle édition du festival du livre de Paris. Pourtant, la Belle Province recèle de nombreux auteurs de talent à découvrir qui, à l’instar de leurs homologues africains notamment, concourent à enrichir et à magnifier une langue française en perpétuelle évolution.


Aujourd’hui le Quebec publie près de 6000 livres chaque année et le monde éditorial québécois témoigne avec plus de 175 maisons d’édition agréées par le ministère de la Culture et des Communications du Québec, d’une extraordinaire vitalité. Et certaines ont ainsi décidé de partir à la conquête des librairies françaises notamment Heliotrope, maison d’édition fondée à Montréal en 2006 qui publie de la littérature, des livres illustrés, des essais et depuis 2015, des romans noirs. Elle sera présente à Paris en compagnie de trois auteurs : Vincent Brault qui, à travers son roman Le Fantôme de Suzuko (2021), évoquera lors d’une rencontre la recherche impossible d’une amoureuse disparue dans les rues de Tokyo, Martine Delvaux (Thelma, Louise et moi, 2021) qui refait le film de sa vie à travers le célèbre long-métrage qu’elle évoquera lors d’un débat, le 13 avril autour du féminisme et André Marois qui viendra présenter La Sainte Paix sortie l’an passé.

D’autres auteurs bien installés dans les catalogues des grandes maisons d’édition viendront également à la rencontre de leur public. En premier lieu Dany Laferrière, écrivain haïtien désormais immortel et résidant à Montréal qui partagera maximes, réflexions commentées et rêveries tirées de son dernier livre, Un certain art de vivre paru chez Grasset l’an passé. Il sera accompagné de Dominique Fortier qui reviendra dans son dernier livre, Les ombres blanches, sur la poésie et le deuil de la poétesse britannique Emily Dickinson, sujet de son magnifique roman précédent, Les Villes de papier, qui avait obtenule Prix Renaudot en 2020.

Ces moments de partage et de découverte autour de la littérature québécoise inciteront certainement un certain nombre de lecteurs à se tourner vers quelques romans parus ces dernières semaines et qui séduiront à coup sûr de nouveaux lecteurs à commencer par le puissant Mykonos d’Olga Duhamel-Noyer, directrice littéraire des éditions Heliotrope. Ce court roman au style incisif dépeint au vitriol ce paradis de la jet-set à l’occasion de la virée de cinq amis. Ces derniers auraient pu y rencontrer Anaïs, l’héroïne de Prendre son souffle, le dernier né des romans de Geneviève Jannelle publié dans une autre maison d’édition qui souhaite s’implanter en France, Québec Amérique. Mais voilà Anaïs a rencontré Eden et le coup de foudre fut immédiat. Mais la foudre est devenue drogue avec son addiction mortifère qui contamine les protagonistes de ce roman. Bientôt l’addiction deviendra poison. On vous laisse imaginer la suite.

Côté essais,  l’œuvre à découvrir est assurément celle de Jean-François Beauchemin, essayiste prolifique récompensé par de nombreux prix internationaux. Qu’il s’agisse des Archives de la joie, petit traité de métaphysique animale ou Le vent léger (tous deux chez Québec Amérique), chronique d’une famille au début des années 1970 qui interroge sur les notions de destin et de fatalité, les livres et la pensée de Jean-François Beauchemin ne vous laisseront pas insensibles tout comme cette merveilleuse littérature québécoise qui, à l’image des Invasions barbares de Denys Arcand, sait plonger, mieux que personne, dans les tréfonds de l’âme humaine.

Par Laurent Pfaadt