Le grand maître de l’alto

L’altiste est à l’honneur d’un coffret regroupant ses plus grands
enregistrements

Bashmet (© Oleg Nachinkin)
Bashmet (© Oleg Nachinkin)

L’alto a souvent été
considéré comme le
mal-aimé des cordes.
Entre le prestige du
violon et l’ombre
parfois envahissante
et grandiose du
violoncelle, il fut tiré
d’un oubli relatif aux
19e et 20e siècles par
quelques
compositeurs inspirés tels que Max Bruch, Bela Bartok, William
Walton et Alfred Schnittke qui lui écrivirent quelques pièces qui
sont aujourd’hui des classiques. Mais il fallut également quelques
grands interprètes pour faire rayonner cette musique qui
transcenda l’instrument. De William Primrose à Antoine Tamestit en
passant par Rudolf Barshaï, il se trouva une légion de virtuoses prêts
à se dévouer à cette noble cause. Parmi cette cohorte de génies, Yuri
Bashmet fait aujourd’hui figure de grand maître.

Depuis près de quarante ans et son premier prix au concours ARD
de Munich, Yuri Bashmet régale les salles de concert ainsi que les
oreilles des mélomanes. Des compositeurs contemporains lui ont
dédié certaines de leurs œuvres. Il n’y a qu’à citer Sofia Gubaidulina
et son incroyable concerto (1996) ou Gyan Kancheli et son
merveilleux Styx pour alto, chœur mixte et orchestre (1999).
Le coffret rassemblant ses enregistrements pour RCA Victor sont là
pour rappeler cet incroyable talent et montre que l’altiste, qui a joué
avec les plus grands orchestres et chefs de la planète, est également
un musicien de chambre accompli.

L’extrême virtuosité de Bashmet est perceptible sur chaque disque.
En musique de chambre, elle est éclatante notamment dans Brahms
ou Schubert. Avec la complicité du pianiste Mikhail Muntian,
Bashmet transcende les œuvres qu’il interprète, sublimant ici la
dimension romantique d’un Glinka ou là l’angoisse d’un
Chostakovitch.

A propos des œuvres concertantes, le coffret comprend de
nombreux enregistrements des Moscow Soloists, cet ensemble que
Bashmet a fondé en 1992 et qu’il dirige toujours. Il y exprime
parfaitement cette âme russe qui mêle passion et mélancolie dans la
sérénade de Tchaïkovski et magnifie la Trauermusik de Paul
Hindemith où l’on a le sentiment incroyable que Bashmet nous
raconte quelque chose d’incroyable, une sorte de destin en
mouvement que la musique accompagne peut-être vers sa fin
inéluctable sans pouvoir l’arrêter. Dans le concerto pour violon et
alto de Max Bruch sous la baguette de Neeme Järvi et accompagné
du London Symphony Orchestra, l’osmose avec Viktor Tretyakov est
telle que l’on a parfois le sentiment que les deux instruments n’en
forment qu’un seul.

L’apothéose est cependant atteinte dans Schnittke et Walton. Dans
ce concerto du compositeur russe ainsi que dans le Monologue –
tous deux dédiés à Bashmet – l’altiste se livre à des interprétations
d’une noirceur et d’une mélancolie qui font aujourd’hui référence.
Ne restait plus qu’à conclure avec le concerto pour alto de William
Walton sous la direction d’André Previn à la tête du London
Symphony Orchestra (1994) qui reste aujourd’hui la plus
extraordinaire version enregistrée de l’œuvre. A l’inverse de
Schnittke, Bashmet y déploie ici toute la chaleur de l’instrument,
toute sa sensualité.

Ce coffret achèvera donc de rappeler que Yuri Bashmet est
certainement le plus grand altiste vivant de notre temps et surtout, il
redonnera à l’alto la place qui lui revient et qui est si grande.

Yuri Bashmet, the Complete RCA Recordings,
Sony Classical, 1996

Laurent Pfaadt