Le Nom de la rose

Le 19 février, cela fera sept ans qu’Umberto Eco nous a quitté. Le grand intellectuel italien a laissé à la postérité et à la littérature mondiale quelques grands romans, à commencer par son Nom de la Rose, magnifique enquête policière dans un monastère bénédictin de l’Italie médiévale avec en toile de fond, le mystère du second tome de la Poétique d’Aristote consacré à la comédie.


Publié en 1980, le premier roman de l’écrivain, véritable best-seller mondial traduit en quarante-trois langues, Prix Médicis étranger en 1982 et adapté en film par Jean-Jacques Annaud puis en série plus récemment reparaît aujourd’hui dans une nouvelle édition.

Pour les plus jeunes qui n’auraient jamais entendu parler du livre, de son auteur et du film, il s’agit à la fois d’un thrilller historique génial, d’un roman d’initiation et d’un cours d’histoire des religions et de géopolitique raconté de la plus belle des manières. Le tout sur fond de meurtres sanglants, de sorcières et d’Inquisition. C’est Sherlock Holmes au Moyen Age qui rencontre Indiana Jones. D’ailleurs, le héros, un moine franciscain, Guillaume de Baskerville tire son nom à la fois du persoonage de Conan Doyle et de Guillaume d’Ockham, ce philosophe et théologien qui fut accusé d’hérésie. Accompagné de son jeune discipline, Adso de Melk, il est envoyé dans ce lieu étrange pour enquêter sur une série de meurtres de moines ayant eu accès à une bibliothèque secrète et ses livres interdits.

Cette nouvelle édition est enrichie des notes préparatoires de l’auteur, des dessins de ses personnages sur des feuilles arrachées à des carnets de notes, de ses plans de la bibliothèque et de l’abbaye permettant ainsi d’entrer dans les secrets de fabrication du livre. Car comme le rappelle l’auteur dans Apostille (1983) cité en fin d’ouvrage : « Pour raconter, il faut avant tout se construire un monde, le meubler le plus possible jusqu’aux derniers détails ». Et à la lecture de ces notes, le lecteur prend conscience des diverses influences de l’auteur. Ainsi pour façonner son décor, Umberto Eco s’inspira des abbayes de Castel Urbino en Sicile et de Cluny, ouvrage majeur de l’ordre monastique clunisien, qui suit la règle de saint Benoit et dont le clivage avec l’ordre cistercien du vénérable Jorge de Burgos, le gardien aveugle de la bibliothèque, structure en partie le roman.

Voici donc une magnifique occasion de se replonger dans ce livre culte qui allait lancer la grande mode des polars médiévaux qu’il est conseillé de lire avec des gants, non pas pour se protéger du poison qui imprègne les pages mais bel et bien pour le lire et le relire à souhait !

L’histoire a parfois l’art de réserver quelques coïncidences savoureuses. Puisque c’est un 19 février de l’an de grâce 1473, soit près d’un siècle et demi après qu’Adso de Melk fut « le témoin transparent des péripéties qui eurent lieu à l’abbaye dont il est bon et charitable de taire le nom désormais » que naquit un certain Nicolas Copernic à Torun, cette ville de Pologne située sur la Vistule et classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Un savant qui contesta le système Ptolémée qui postulait que la terre était immobile au centre de la Terre, et fut le promoteur d’un héliocentrisme. Son livre,publié l’année de sa mort en 1543, comme celui du livre II de la Poétique d’Aristote dans le roman d’Umberto Eco fut condamné par une Eglise catholique qui y vit la contestation de la puissance de Dieu. Son bras armé, l’Inquisition, tenta de réduire au silence aussi bien Guillaume de Baskerville que les disciples de Copernic et en premier lieu Giordano Bruno, condamné au bûcher le 17 février 1600.

Et comme un trait d’union entre Copernic et Guillaume de Baskerville, Umberto Eco, en bon sémiologue qu’il fut, estimait, dans le courrier de l’Unesco en 1993 que « le système de Ptolémée et celui de Copernic sont effectivement incompatibles, mais on peut les confronter, montrer leur indépendance totale, mais aussi comprendre comment on a pu passer de l’un à l’autre ». Une affirmation qui, quelques quatre cents ans plus tôt, aurait valu le bûcher au savant de Bologne. L’écrivain et son personnage ayant ainsi fini par se confondre avec l’histoire réelle…Et de donner ce roman indémodable autour duquel continuent de tourner de nombreux astres.

Par Laurent Pfaadt

Umberto Eco, Le Nom de la rose, nouvelle édition
Aux éditions Grasset, 640 p.

A découvrir Toruń, la ville natale de Nicolas Copernic : https://www.pologne.travel/fr/autres-villes/torun-ville-de-copernic