Le phénix de l’Europe

JPUn ouvrage passionnant revient sur l’histoire  de la Pologne au XXe siècle

Du fait de sa situation géographique entre
Allemagne et Russie, la Pologne a toujours joué un rôle central dans l’histoire de l’Europe et du monde. Ce pays que l’historien britannique Norman Davies a surnommé « le phénix de l’Europe » fait l’objet  d’un ouvrage tout à fait particulier. En effet, son auteur, Georges Mink, spécialiste émérite des pays d’Europe centrale et professeur au collège d’Europe à Natolin explore l’histoire récente de ce pays tout en expliquant, par un subtil jeu de miroirs, son impact sur la mémoire polonaise.

L’ouvrage contient beaucoup de sang et de larmes. Traversée par les totalitarismes du XXe siècle, nazisme et communisme, l’histoire de la Pologne de 1914 à nos jours est racontée avant tout du point de vue polonais. Ainsi, la période du gouvernement général nazi n’est évoquée que par le biais de la Résistance ou de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Les grandes périodes de l’histoire polonaise sont relatées, de la renaissance de la nation polonaise à la présidence
Kaczynski en passant par l’échec de la normalisation dans les années 80 ou la soviétisation du pays. Une galerie de portraits des grands hommes du pays, du maréchal Pilsudski, père de la nation polonaise à Tadeusz Mazowiecki en passant par Lech Walesa, Jean-Paul II ou Adam Michnik, traversent le livre de Georges Mink.

La plus-value du livre est cependant ailleurs. Avec ses assertions fort pertinentes et souvent marquées par des « usages » du passé, l’auteur questionne en permanence l’impact de la construction mémorielle de la Pologne moderne permettant ainsi de comprendre sa position dans les grandes questions qui agitent le monde et l’Europe, qu’il s’agisse de sa position dans l’UE ou de ses rapports avec
l’Allemagne ou la Russie par exemple lors de la guerre en Ukraine. Ainsi, il explique bien comment le massacre de Katyn perpétré par le NKVD en avril-mai 1940 et attribué à tort par la propagande soviétique aux nazis, demeura un sujet interdit sous la Pologne communiste et que sa commémoration à Varsovie dans les années 80 constituait un acte de résistance. Et lorsque l’avion du président Lech Kaczynski, alors en route vers Katyn s’écrasa le 10 avril 2010, de nombreux médias y virent les victimes supplémentaires du massacre de 1940.

En payant plus qu’aucun autre pays en Europe un lourd tribut aux grandes tragédies du XXe siècle et en menant une longue bataille pour la liberté face aux asservissements de tout ordre, la Pologne s’inscrivit définitivement dans la géographie de l’Europe dont elle demeure l’un des membres éminents. Cette longue quête européenne portée notamment par un Bronislaw Geremek à qui l’ouvrage est dédié, a été nourrie par une mémoire souvent tragique mais mise au service de la démocratie qui trouva son aboutissement dans l’élection de Jerzy Buzek à la présidence du Parlement européen en 2009 et la nomination de Donald Tusk à la présidence du Conseil
européen en décembre 2014.

Ignacy Paderewski, célèbre pianiste devenu Premier ministre en 1919 affirmait que : « la Pologne ne sera peut-être pas comme celle que nous avons connue, mais ce sera un pays libre, fier de son passé et confiant en l’avenir. » Ce livre est là pour en témoigner.

Georges Mink, La Pologne au cœur de l’Europe, de 1914 à nos jours,
Buchet-Chastel, 2015

Laurent Pfaadt