Le retour des héros

MullovaLa grande violoniste Viktoria Mullova était l’invitée de l’ONBA

 

Il y a des soirées qui ne se ratent pas, surtout quand l’invitée est l’une des plus grandes violonistes de la planète. Et c’est peu dire de Viktoria Mullova qui a connu la guerre froide, l’exil et surtout un succès qui ne s’est jamais démenti jusqu’à présent. La preuve en a été donnée une fois de plus lors de ce concert où elle interpréta le concerto pour violon de Brahms qu’elle connaît sur le bout des cordes et dont elle sut restituer parfaitement l’extraordinaire technicité et l’incandescence musicale. Car l’œuvre n’est pas n’importe quel concerto. Si ce concerto pour violon en ré majeur composé par Brahms pour son ami, le célèbre Joseph Joachim, est l’un des plus joués et les plus acclamés de la planète, c’est parce qu’il recèle une musicalité qui atteint chaque être au plus profond de lui-même. Avec son explosivité (la composition en ré majeur y est assurément pour quelque chose) surtout dans son finale, le concerto traduit également les influences qui marquèrent le compositeur : beethovénienne bien entendu mais surtout tzigane qui imprègne l’ensemble de l’œuvre de Brahms.

Avec sa silhouette longiligne et noueuse, on se plaît à retrouver cette soliste qui nous accompagne depuis tant d’années sur le disque et sur scène. Avec ce visage russe si sérieux, si froid lors de ses interprétations et qui se détend sitôt les dernières notes jouées, il y a quelque chose de profondément attachant chez Viktoria Mullova. Et quand la passion et le brio sont au rendez-vous notamment lors de l’adagio où le dialogue entre le hautbois et le violon fut proprement génial, on atteint des sommets. Tandis que le miracle de la musique se produit sous nos yeux, Viktoria Mullova est là, au centre, comme un général jaugeant l’étendue de ses forces, envoyant dans cette tempête toute son ardeur et incitant les membres de l’orchestre à faire de même.

Si les spectateurs venus à l’auditorium croyaient en avoir terminé avec leurs émotions, ils ont dû vite se raviser car déjà se profilait à l’horizon une autre tempête musicale qui s’intitulait Sibelius. Ils avaient été pourtant prévenus car en ouverture du concert, le retour de Lemminkäinen avait déjà donné le ton. Avec un héroïsme et un lyrisme propres aux grandes sagas finlandaises, Paul Daniel avait décidé de ne pas faire dans la demi-mesure. Et pour cause : le concert retransmis en direct sur Radio Classique était voué à demeurer immortel sur le disque. Le chef avait certainement retenu la leçon de Colin Davis estimant que jouer Sibelius sans y mettre son cœur ne servait à rien.

La symphonie n°2 reste l’une des plus célèbres mais également l’une des plus belles du compositeur. Elle demeure dans sa facture très classique, empreinte de l’influence d’un Tchaïkovski et notamment de sa pathétique. Mais l’énergie qui s’en dégage et cette dimension minérale qui traverse l’œuvre du compositeur ont trouvé ce soir-là un écho plein de caractère, une résonance tellurique. Emmené par un hautbois et une flûte de haute volée, très inspiré dans ses cuivres, l’orchestre a délivré une grande prestation sous la baguette de son chef qui la poussé dans ses retranchements. Paul Daniel n’a jamais laissé retomber l’émotion, tenant les musiciens à bout de bras en les emmenant dans un finale magique où la coda prit la forme d’un hymne à la vie.

Laurent Pfaadt